On avait pu lire les prolégomènes dans la revue Multittudes, mais c'est la collection "Theoria incognita" des éditions Ithaque qui en accueillent la complète traduction : Sianne Ngai se penche sur Nos catégories esthétiques, ou tout au moins à ces trois valeurs que sont Le zinzin, le mignon et l’intéressant, qui saturent la culture postmoderne, façonnent son art et (ou) ses marchandises et les sentiments ambivalents que de tels objets inspirent. Elle est y propose "une théorie des catégories esthétiques que nous utilisons pour interpréter le monde du capitalisme tardif hyper-marchand, massivement médiatisé et axé sur la performance". Comme style de performance indissociable d’un intense travail émotionnel, le zinzin est couplé aux processus de production et il engage notre espièglerie autant que notre sensibilité au désespoir. L’intéressantaccompagne la circulation des discours et engendre aussi bien de l’intérêt que de l’ennui. Le mignon imprègne notre consommation et suscite simultanément de la tendresse et de l’agressivité. Au fil de ses lectures de Kant, Schlegel, Nietzsche, Adorno ou Jameson, et sur des exemples tirés de la poésie, de l’art contemporain ou des sitcoms, Sianne Ngai montre comment ces catégories du quotidien défient l’esthétique classique – et ce que leur analyse requiert d’imagination philosophique. L'essai est donc à lire comme un traité, un manifeste, un pamphlet et un manuel tout à la fois.
(Illustr. : Les sculptures géantes de Monsieur Rose signées par Philippe Katerine pour l'exposition Mignonisme au Bon Marché, février 2022)