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« (In)visibilisation des récits d'expérience par les institutions » - colloque exploratoire interdisciplinaire (Cergy Paris Université)

« (In)visibilisation des récits d'expérience par les institutions » - colloque exploratoire interdisciplinaire (Cergy Paris Université)

Publié le par Mihai Duma (Source : AMarie Petitjean)

« (In)visibilisation des récits d'expérience par les institutions »

- colloque exploratoire interdisciplinaire - 

Les institutions portent-elles une attention suffisante aux récits qui nous constituent ? Dans le mouvement de valorisation du sujet qui caractérise, aujourd’hui plus que jamais, l’épistémologie et les théories de la connaissance, la place et le rôle des institutions semblent ne pas avoir été interrogés à leur juste mesure. Dans leur pluralité et leur diversité, les institutions - « terme polysémique qui désigne communément des structures organisées ayant pour fonction de maintenir un état social » (Tournay 2011) -, paraissent éloignées des histoires individuelles et collectives, particulièrement celles qui portent trace des intimités et des vulnérabilités. L’école, l’université, l’hôpital, les structures politiques et juridiques, même les organismes sociaux, sont volontiers pensés comme des instances qui « instituent » des normes et assurent la pérennité de cadres « institués » (instituo : établir, installer), non comme des organes, adaptatifs et dynamiques, de prise en compte des expériences rendues accessibles par les récits qui en sont faits.

Or la représentation d’un pouvoir des institutions n’est pas neutre dans notre appréhension de la réalité et nos modes de réaction à notre environnement. L’idée que les institutions sont régies par des principes rationnels et de récompense du mérite incite toujours davantage à ignorer les « liens faibles » (Granovetter 1973, Gefen & Laugier 2020) et les logiques buissonnières, affectives et affectées, éventuellement métaphoriques ou symboliques, que l’on pourrait décrire avec J. Bruner (1991) comme « la connaissance que l'homme a de lui-même, de son monde social, de sa culture ». Pour en aborder l’étude, ce colloque privilégie donc l’approche narrative. Les recherches sur l’agentivité des récits conduisent de fait à identifier, dans la lignée de Paul Ricoeur, à la fois la manière dont les récits stabilisent une identité à travers les âges, la reconfigurent au fil des événements voire des traumatismes individuels, et la manière dont la circulation de narrations plurielles participe à la constitution d’une histoire commune (Offenstadt 2011, Gefen 2017, Baroni & Paschoud 2021, Krause & Saaybi 2025). C’est donc le récit d’expérience comme opérateur de lien social et comme principe prospectif d’un avenir commun qui est au centre de ce colloque. 

De récentes actions publiques en manifestent l’intérêt : citons l’accueil par l’Académie Française, par le tribunal de Paris[1] ou par le Secrétariat général pour l’investissement[2] de récits d’avenir écrits par des jeunes, également l’organisation d’ateliers d’écriture par le Samu Social de Paris[3], la présentation de dispositifs médico-narratifs à l’Hôtel Dieu ou au Columbia Global Center de Paris[4], et encore des initiatives se faisant identifier sous le terme de « cliniques narratives » (Niewiadomski 2019 ; Jamoulle 2013) pour la santé mentale et le bien-être au travail. Outre ces exemples, ce colloque a pour ambition de recueillir d’autres manifestations de ces inventions collectives de dispositifs narratifs et d’évaluer leur rapport aux institutions. Il a également pour ambition de permettre des analyses de fond sur la présence et la sollicitation éventuelle de récits situés, voire « affectés », et de formats artistiques et littéraires contemporains dans des environnements institutionnels. Ces analyses pourront faire cas d’un mouvement potentiellement contradictoire entre une aspiration citoyenne à la reconnaissance des récits d’expérience et la contestation de toute institutionnalisation des espaces de libre expression personnelle. 

Sont les bienvenus les résultats d’enquêtes, les études participatives, l’analyse de productions, celle de textes littéraires et œuvres artistiques contemporains convoqués dans des dispositifs pour faire écrire, sans limitation disciplinaire. Les études critiques et témoignages réflexifs de pratiques devront porter sur des données stables et convoquer des critères d’analyse explicites. Plusieurs axes seront aménagés en fonction des contributions, en privilégiant les perspectives suivantes :

·      L’expression de la citoyenneté (les cahiers de doléances, les narrations post-attentats, les récits situés dans des espaces périphériques, ultramarins ou de grande ruralité, les traces narratives des arts urbains)

·      Le rapport à la maladie, aux vulnérabilités sociales et migratoires (la médecine narrative, les dispositifs d’écriture en structures d’accueil, les récits d’exil ou de maltraitance professionnelle)

·      La place du « je » dans les écrits scolaires, dans les formations universitaires ou en écoles d’arts (les ateliers d’écriture, les cursus de création, la recherche-création)

·      L’enquête située dans l’expérience en littérature et sciences sociales (récits d’enquête, recueils narratifs de voix, montages intermédiaux narratifs).

  

Bibliographie indicative

Baroni, R., Paschoud, A., (2021), « L’héritage de Ricœur : du récit à l’expérience », Cahiers de Narratologie n°39, mis en ligne le 20 juillet 2021; DOI : https://doi.org/10.4000/narratologie.12239.

Bruner, J. (1991), « The Narrative Construction of Reality », Critical Inquiry, n° 18 p. 1-21.

Cabral, M. de J., (2025), « Temps, identité, soin : Paul Ricœur et la trans/formation narrative de la médecine », Revue des sciences humaines, n°358, p.225-238.

Crivello, M., & Pelen, J.-N. (dir.), (2008), Individu, récit, histoire, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence. https://doi.org/10.4000/books.pup.5921.

Delacroix, C., Dosse, F., Garcia, P. (dir.), Paul Ricœur et les sciences humaines, La Découverte, coll. « armillaire », 2007.

Gefen, A. (2017), Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Paris, Édition Corti.

Gefen, A., Laugier, S. (dir.), (2020), Le pouvoir des liens faibles, Paris, CNRS éditions, 2020.

Granovetter M.S. (1973). “The strength of weak ties”, American Journal of Sociology, vol. 78, no 6, p. 1360-1380.

Grenier, J.-Y., Grignon, C., Menger, P.-M. (dir.), (2001), Le modèle et le récit, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme.

Hosselet-Herbignat, M.  (2024), « Maltraitances institutionnelles, Revue Quart Monde, n°271(3), p.2-2 ; accessible en ligne : https://doi.org/10.3917/rqm.271.0002.

Jamoulle, P.  (2013), « Santé mentale en contexte social et pratiques du récit de vie », Les Politiques Sociales, 1-2(1), p. 56-69 ; accessible en ligne : https://doi.org/10.3917/lps.131.0056.

Krause, P., Saaybi, Y. (dir.), (2025), « L’art de guérir. Introduction aux humanités médicales herméneutiques », Revue des sciences humaines, n°358, Lille, Presses du Septentrion [accessible en ligne : https://doi.org/10.4000/142je].

Kreiswirth, M. (1995), « Tell Me a Story: The Narrativist Turn in the Human Sciences », dans Constructive Criticism : the Human Sciences in the Age of Theory, M. Kreiswirth et T. Carmichael (dir.), Toronto, University of Toronto Press, 1995, pp. 61-87.

Niewiadomski, C. (2019), « Clinique narrative », dans C. Delory-Momberger, Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique , Toulouse, Èrès, p. 312-315 ; accessible en ligne : https://doi.org/10.3917/eres.delor.2019.01.0312.

Offenstadt, N.  (2011), « Histoires, écritures, récits », L'historiographie, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », p. 49-60. 

Ricœur, P. (1990), Soi-même comme un autre, Paris, Seuil.

Tournay, V.  (2011). Introduction. Sociologie des institutions (p. 3-8). Presses Universitaires de France. https://shs.cairn.info/sociologie-des-institutions--9782130585565-page-3?lang=fr.

Uribelarrea, G., Alves de Carvalho, D., Amaré, S., Hadj-Brahim, Y., Kalonji, B., Koné, Y., Lévy, J., Machet, V.,  Mendo Medjo, Y., Ruiz, P.  (2023), « Considérer l’hospitalité des centres d’hébergement : Une enquête participative », Presses de Rhizome ; accessible en ligne : https://doi.org/10.3917/chlv.urib.2023.01.

Worms, F. (2010), Le moment du soin : à quoi tenons-nous ?, Paris, Presses universitaires de France.

  

Calendrier 

Les propositions sont à envoyer pour le 15 janvier 2026 aux trois adresses suivantes : amarie.petitjean@cyu.fr ; francois.germinet@cyu.fr; charles.autheman@gmail.com

Elles devront comporter un titre, un résumé de la communication (5.000 signes maximum - espaces comprises) et une courte notice bio-bibliographique. 

Retours du comité scientifique pour acceptation ou refus des propositions : 31 janvier.

Le colloque se tiendra du jeudi 2 avril après-midi au samedi 4 avril matin à Cergy puis à Paris. 

  

Comité d’organisation : Charles Autheman, François Germinet, AMarie Petitjean

 

 


 
[1] Lectures publiques organisées par Isabelle Carré et Delphine Saubaber, le 18 avril 2025 au tribunal de Paris et le 8 février 2024 à l’Académie française ; https://www.academie-francaise.fr/actualites/lecriture-lhonneur-les-enfants-decrivent-le-monde-de-demain.
[2] Cf. « Butterflye 2050 » : https://www.info.gouv.fr/organisation/secretariat-general-pour-l-investissement-sgpi/butterfly-2050.
[3] Projet de recherche-action financé par l’IRESP, sous la conduite du professeur Roberto Poma : https://iresp.net/projets_finances/ateliers-de-pratiques-narratives-en-sante-des-leviers-deducation-en-sante-pour-les-personnes-en-situation-dexclusion/.
[4] La communauté des spécialistes de médecine narrative se réunit régulièrement au Columbia Global Center de Paris ; cf. « Soins narratifs : table ronde sur la santé publique en France », le 30 mars 2024 : https://globalcenters.columbia.edu/events/soins-narratifs-table-ronde-sur-la-sante-publique-en-france. Ses membres participent également au festival de RéciThérapie, coordonnée par Michèle Levy-Soussan et Mathieu Simonet à l’Hôtel-Dieu de Paris.