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Lire, relire, situer Inès Cagnati (Bologne)

Lire, relire, situer Inès Cagnati (Bologne)

Publié le par Marc Escola (Source : Filippo Fonio)

Lire, relire, situer Inès Cagnati

Bologna, 28 avril 2026

Inès Cagnati, écrivaine française d’origine italienne, a publié trois romans et un recueil de nouvelles : Le Jour de congéen 1973 (Prix Roger-Nimier 1973), Génie la folle en 1976 (Prix des deux-Magots et Prix Fiction 1977), Mosé ou le Lézard qui pleurait en 1979 et Les Pipistrelles en 1989 (Prix de la Nouvelle 1990), auxquels il faut ajouter la pièce Galla ou le Jour de congé (1980) et trois traductions de l’espagnol faites en collaboration. Ses œuvres ont eu un succès critique considérable à l’époque de leur parution. En prévision de l’assignation du Prix Goncourt en 1976, Michel Tournier a parlé d’elle ainsi :  

Avec des moyens remarquablement sobres, une précision impitoyable dans le détail concret, un ton toujours contenu, Inès Cagnati sait ouvrir des abîmes de tristesse et appeler une pitié infinie. Du très grand art[1]. 

Dans les œuvres de Cagnati, la France rurale de l’enfance de l’auteure sert toujours de décor. Ses personnages vivent aux marges de la société et sont confrontés à une réalité hostile, que ce soit au sein de l’unité familiale ou en dehors de celle-ci. Galla, la protagoniste du Jour de congé, tente de sortir sa famille de la pauvreté en fréquentant le lycée, où elle se rend en parcourant des dizaines de kilomètres sur son vieux vélo, tandis que Marie, la protagoniste de Génie la folle, fait tout son possible pour gagner l’amour de sa mère, contrainte à subir l’exclusion et l’humiliation de la part de la communauté. Les jeunes narratrices des Pipistrelles, filles d’immigrés, doivent faire face à l’ignorance de leurs parents et aux vexations des enseignants et des camarades. Pour finir, le protagoniste de Mosé ou le Lézard qui pleurait est un vieil immigré italien qui, accusé d’avoir tué sa femme, raconte dans un long monologue sa vie et son désir irréalisable de voir l’océan.

Ces œuvres reflètent en partie l’expérience personnelle de l’auteure, fille de paysans vénitiens émigrés dans la Lot-et-Garonne dans les années 1930, dans le contexte d’une des plus importantes vagues migratoires vers la France de la première moitié du XXe siècle. Ayant quitté ce milieu pour devenir professeure de lettres au lycée, Cagnati évoque son enfance comme une période de grande souffrance, caractérisée par l’expérience d’une double étrangéité : en tant qu’enfant, incomprise par le monde des adultes, et en tant que fille d’immigrés. Cette deuxième forme d’étrangéité l’accompagne tout au long de sa vie ; en commentant sa naturalisation française en 1989, elle en parle comme d’une « tragédie »,[2] d’une nouvelle perte d’identité. 

Malgré son succès initial, l’œuvre de Cagnati, peut-être à cause de la réticence de l’auteure à participer à la vie intellectuelle du pays, a été oubliée au cours des décennies suivantes. C’est grâce à la New York Review of Books, qui a publié la première traduction anglaise du Jour de congé en 2019, que Cagnati a été récemment redécouverte dans le monde anglophone, en Espagne (où Génie la folle a été traduit en 2019) et en Italie (les éditions Adelphi ont enchaîné les traductions de Génie la folle en 2022, du Jour de congé en 2023 et des Pipistrelles en 2024). Au niveau des études critiques, ces dernières années l’attention a été portée en particulier sur la représentation de la marginalité ainsi que sur la condition des femmes, confrontées, dans les romans de Cagnati, à une société rurale patriarcale et violente qui punit toute forme de différence. Quelques mémoires et thèses ont été consacrés à l’analyse de ce thème. Une autre approche critique, de nature essentiellement sociologique, s’est intéressée à Cagnati en tant que témoin de l’émigration italienne dans le Sud-Ouest de la France.

En revanche, tout ce qui relève de l’aspect stylistique de son œuvre a été jusqu’à présent négligé par la critique. Et pourtant son écriture, comme le soulignait déjà Tournier, se caractérise par un équilibre remarquable entre sobriété et lyrisme, fruit d’un regard lucide sur la réalité, capable d’en révéler la poésie secrète. L’emploi du monologue intérieur dans la plupart de ses textes est très savamment dosé. La même chose peut être dite du recours systématique à la répétition, qui donne lieu à de véritables refrains le long du texte.

Migrante de deuxième génération, Cagnati se situe à plein titre dans le mouvement de la littérature transculturelle, des instances hétérolingues émergeant régulièrement dans ses œuvres. Sa manière d’aborder la situation existentielle de personnages d’origine italienne en France fait de son œuvre un cas prototypique qui la relie cependant à une constellation d’écrivains comme par exemple Renata Ada-Ruata, Cavanna, Mirella Muià, tout en ouvrant de nouvelles perspectives dans le cadre de la « rital-littérature ». 

Dans l’effort d’approfondir ces approches critiques et de dégager de nouvelles pistes de réflexion, l’Université de Bologne, en partenariat avec l’équipe ISA-UMR Litt&Arts de l’Université Grenoble Alpes, organise une journée d’études autour des œuvres d’Inès Cagnati. Notre conviction est qu’il faut redécouvrir cette auteure exceptionnelle et lui redonner la place qui lui revient dans le panorama de la littérature contemporaine d’expression française en raison de l’universalité de ses thèmes, de l’originalité de son style et de la portée de son témoignage. 

Les propositions de communication pourront s’inscrire dans des perspectives variées. On en propose quelques-unes :

-              La question de l’altérité et du rapport entre individu et collectivité ;

-              La symbolique des lieux : l’opposition entre la campagne et la ville, l’espace de l’école, l’ailleurs réel et imaginé ;

-              Le rôle de l’imagination et de la rêverie ;

-              La représentation de la mémoire individuelle et collective ;

-              L’emploi du monologue intérieur et de la narration non fiable ;

-              Inès Cagnati comme transfuge de classe, son rapport avec le milieu d’origine ;

-              Le rapport entre vie réelle et fiction et la fonction de témoignage, voire la contribution à la mémoire culturelle de l’immigration italienne en France ; 

-              L’écriture sensorielle (par exemple, la fonction de l’odorat) ; 

-              L’écriture translingue et l’hétérolinguisme ;

-              Les questions éditoriales et le rôle de la traduction dans la redécouverte de Cagnati ;

-              L’intermédialité : l’adaptation théâtrale du Jour de congé.

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La journée d’étude aura lieu le 28 avril 2026 à l’Université de Bologne.  

Nous vous invitons à envoyer, avant le 15 janvier 2026, un résumé de 350 à 500 mots maximum, accompagné d’un titre provisoire, d’une bibliographie essentielle, de 5 mots-clés et d’une bio-bibliographie d’une page maximum aux adresses suivantes : 

filippo.fonio@univ-grenoble-alpes.fr

marta.giacomelli@studio.unibo.it

mariachiara.gnocchi@unibo.it

anna.taglietti@univ-grenoble-alpes.fr

La journée d’études fera l’objet d’une publication sous forme de dossier dans la Revue Italienne d’Études Françaises (en accès ouvert). 

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Organisation

Filippo Fonio (ISA-UMR Litt&Arts, Université Grenoble Alpes)

Marta Giacomelli (LILEC, Université de Bologne)

Maria Chiara Gnocchi (LILEC, Université de Bologne)

Anna Taglietti (ISA-UMR Litt&Arts, Université Grenoble Alpes)

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Comité scientifique 

Olga Anokhina (ITEM-CNRS)

Laura Brignoli (IULM, Milano) 

Sara De Balsi (Université Cergy-Pontoise)

Filippo Fonio (ISA-UMR Litt&Arts, Université Grenoble Alpes)

Marta Giacomelli (LILEC, Université de Bologne).

Maria Chiara Gnocchi (LILEC, Université de Bologne)

Marika Piva (Université de Padoue)

Anna Taglietti (ISA-UMR Litt&Arts, Université Grenoble Alpes)

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Bibliographie

BONUCCI Cristina, « Il trauma muto e la comunità. Génie la matta di Ines Cagnati », Interazioni, n. 1, 2022, p. 127-130. DOI: 10.3280/INT2022-001013.

CORDERO Claudie N., The Feminine Condition in the Twentieth Century as Seen by Women Authors of French Expression since World War Two (1948–1976), Mémoire de maîtrise, University of Wyoming, 1980.

CORRIZZATO Cosima, Figure del materno. La madre nelle opere di Inès Cagnati, Annie Ernaux, Elena Ferrante, Mémoire, Università di Padova, 2023. 

ISAKSSON Malin, Adolescentes abandonnées. Je narrateur adolescent dans le roman français contemporain, Thèse de doctorat, Umeå Universitet, 2004 (Skrifter från moderna språk, 16). 

MORIN Sonia, Le regard dans Génie la folle d’Inès Cagnati, Mémoire de maîtrise, École des études supérieures de l’Université d’Ottawa, 1994. 

ROUCH Monique, « L'arrivée et l'implantation des Italiens dans le sud-ouest (1920-1939) », dans PIERRE MILZA (dir.), Les Italiens en France de 1914 à 1940, Roma, École Française de Rome, 1986 (Publications de l'École française de Rome, 94), p. 693-720. https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1986_mon_94_1_3175.

SCHILLINGER Liesl, « Inès Cagnati: The Insider Who Always Felt Like an Outsider », Literary Hub, 5 décembre 2019. https://lithub.com/ines-cagnati-the-insider-whoalways-felt-like-an-outsider/.

TEULIÈRES Laure, « Perdus dans le paysage ? Le cas des Italiens du Sud-Ouest de la France », dans MARIE-CLAUDE BLANC-CHALÉARD et al. (dir.), Les Petites Italies dans le monde, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 185-196. http://books.openedition.org/pur/6581.

TEULIÈRES Laure, « Recovering Memory is Regaining Dignity: Collective Memory and Migration in France », dans RAINER OHLIGER et al. (dir.), European Encounters: Migrants, Migration and European Societies since 1945, Ashgate Publishing, 2003, p. 302-320. 

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[1]« À qui pensent les Goncourt ? », Le Monde, 3 novembre 1976, p. 25. https://www.lemonde.fr/archives/article/1976/11/03/a-qui-pensent-les-goncourt_2945558_1819218.html.
[2] INÈS CAGNATI, RTS (Hôtel), 23 novembre 1989. https://www.rts.ch/archives/tv/culture/hotel/3467153-ines-cagnati.html.