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Le virage théâtral de Julien Green (Cahiers Julien Green n° 5, 2026)

Le virage théâtral de Julien Green (Cahiers Julien Green n° 5, 2026)

Publié le par Mihai Duma (Source : Carole Auroy)

Le virage théâtral de Julien Green 

« Une lettre de Louis Jouvet qui veut que je lui écrive une pièce. A-t-il su que Jean-Louis Barrault m’avait conseillé, lui aussi, d’en écrire une ? » (10 octobre 1950)

 Sollicité par des metteurs en scène prestigieux, Julien Green se décide en 1950 à répondre à la demande de Louis Jouvet qui déjà, à la lecture de ses premiers romans, vingt ans plus tôt, avait pressenti en lui un talent de dramaturge[1]. Il se lance donc dans l’écriture de Demain n’existe pas. Son journal donne alors à suivre sa découverte de l’écriture théâtrale, au fil de quelques remarques qui entrent en écho avec la description qu’il propose, à la même époque, de la genèse de ses œuvres romanesques[2] : surgissement de personnages qu’il lui faut suivre en leurs dialogues, sans plan préconçu ; découverte progressive de ce qui naît sous sa plume – « J’écris ma pièce pour savoir ce qu’il y a dedans[3] », affirme-t-il. L’impression de facilité, qui le déconcerte tout d’abord, s’évanouit vite cependant, tandis que s’avive la conscience des difficultés spécifiques de l’écriture pour la scène, qui prive les personnages du soutien masqué offert à leurs homologues romanesques par la voix narrative et ses adroites stratégies de persuasion. Le volume IV du Journal intégral inédit, publié en novembre 2025, couvrant l’essentiel des années 1950, permettra de suivre la maturation de la création théâtrale de Julien Green, de Sud à L’Ennemi et à L’Ombre.

Mais cette version non expurgée n’ouvre pas seulement le secret des efforts de l’écrivain à sa table de travail. Elle fait aussi revivre autour de lui le monde du théâtre de cette époque, et enrichit considérablement la découverte de ses réactions au contact des acteurs et actrices, de la direction des salles, lors des négociations de contrats, des répétitions et face à un public dont l’accueil se donne à observer au fil des représentations. Elle rappelle également combien il était courant alors pour des écrivains qui avaient conquis leur renommée sur le terrain du roman ou de la philosophie de se risquer à la scène et dévoile sans retenue le regard porté par le diariste, observateur désormais impliqué dans l’aventure, sur les tentatives de ses confrères.

Julien Green, après l’échec relatif d’Épaves, se reconnaissait le courage d’avoir osé déconcerter son lectorat, plutôt que d’exploiter la recette du succès connu par ses romans précédents. En passant au théâtre, l’homme de lettres reconnu aventurer son écriture sur un terrain nouveau et affronte l’inconfort d’entrer en tant que créateur dans les coulisses d’un milieu qui ne lui était certes pas inconnu, mais qu’il ne fréquentait encore qu’en spectateur et ami des auteurs et artistes œuvrant au spectacle. De surcroît, ce n’est pas son seul talent qu’il soumet au jugement, mais la substance même de ses tourments intimes, projetés sur scène en ses drames comme ils s’infusaient en ses romans, mais doués d’une forte incarnation.

Le prochain numéro des Cahiers Julien Green recueillera les analyses qu’appelle la matière neuve offerte par le Journal intégral pour observer le renouvellement de l’écriture et de la posture de l’écrivain qui se risque à la scène. Elles pourront ainsi prolonger les réflexions ouvertes par Jeanyves Guérin dans un article où il situait les pièces de Green au sein du théâtre français des années 1950[4] et désignait, en examinant leur réception critique à court et plus long terme, les freins qui ont bloqué leur succès – lesquels n’ont pourtant pas fait obstacle à leur rassemblement en un volume chez Flammarion en 2008. Il conviendra aussi d’observer, en contrepoint, l’accueil des représentations à l’étranger. En relisant les œuvres elles-mêmes, on tentera de mesurer la complexité des recherches d’écriture nécessaires pour transformer en dramaturge un romancier dont le sens théâtral frappait les gens du métier. Il faudra s’interroger sur la concentration des expériences d’écriture pour la scène de Julien Green dans les années 1950, avant un retour marqué à l’écriture romanesque et autobiographique, puis la reprise au tournant des années 1980 des projets dramaturgiques abandonnés trente ans plus tôt : simple virage expérimental vers le théâtre, ou appel plus impérieux inscrit dans la dynamique de son itinéraire créateur ? On s’intéressera également aux ramifications d’une entreprise qui a conduit l’écrivain à se faire scénariste, adaptateur, en collaboration avec Robert de Saint Jean et surtout Éric Jourdan, et même à investir le genre des pièces radiophoniques.

On ne s’interdira pas pour autant de remonter en amont des années 1950, pour interroger les traits qui permettaient de discerner une qualité théâtrale dans les romans de Julien Green, et pour examiner ses réactions de spectateur au théâtre, préparant son propre passage à l’écriture pour la scène. En aval, l’intérêt porté à son œuvre par les cinéastes et sa curiosité pour le septième art pourraient être éclairés par les expériences scéniques et scénaristiques de l’écrivain – mais ils feront l’objet d’un numéro ultérieur, qui intégrera les apports de la parution du cinquième volume du Journal intégral, couvrant les années 1960.

Il va de soi que seront bienvenues les études comparatives avec les itinéraires d’autres auteurs qui, comme Green, ont aventuré au théâtre une écriture qui s’était d’abord épanouie sur d’autres terrains.

Calendrier 

5 janvier 2026 : envoi des propositions d’articles (titre et résumé de 500 mots)

2 février 2026 : réponse du comité de rédaction (une feuille de style pour la mise en forme des articles retenus lui sera jointe)

1er juillet 2026 : envoi des articles

15 juillet 2026 : réponse du comité de lecture

Merci d’envoyer les propositions d’articles à Jean-Claude Brochu (sans-genie@bell.net) et Carole Auroy (carole.auroy@univ-angers.fr)

Responsables : Jean-Claude Brochu et Carole Auroy


 
[1] Voir Julien Green, Journal intégral, t. I, Paris, Robert Laffont, 2019, 7 janvier 1930, p.  154 : « Veut que je fasse du théâtre. […] Chez moi, l’action, et les dialogues lui paraissent tout à fait scéniques. »
[2] Voir Julien Green, Genèse du roman, conférence donnée à Bruxelles le 16 octobre 1950, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, t. III, p. 1458-1473.
[3] Voir Julien Green, Toute ma vie. Journal intégral (1946-1950), t. III, Paris, Robert Laffont, 2021, 11 novembre 1950, p. 978.
[4] Voir Jeanyves Guérin, « Entre littérarité et théâtralité : Julien Green et le théâtre français des années 1950 », dans Julien Green et alli, dir. Carole Auroy et Alain Schaffner, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 325-335.