Frontières et clandestinités littéraires : plagiats, contrefaçons, apocryphes dans l'Europe du XIXe siècle (Rilune. Revue des littératures européennes, vol. 20, 2026)
Frontières et clandestinités littéraires : plagiats, contrefaçons, apocryphes dans l’Europe du XIXe siècle
Rilune, vol. 20, 2026, sous la direction de Michele Morselli
Le nouveau numéro de Rilune (vol. 20, déc. 2026) souhaite revisiter la notion de « clandestinité » littéraire dans l’Europe du XIXe siècle, pour mettre en lumière la circulation internationale des textes et des imaginaires à l’aube de la littérature contemporaine.
La « clandestinité » doit être conçue littéralement, comme activité en marge ou en violation des lois. Elle peut concerner l’identité de l’auteur, échappant aux mailles de la censure (textes pseudonymes ou anonymes) ; la production du texte, ce dernier état le plagiat ou le prolongement non autorisé d’un autre ouvrage ; sa réception, le lectorat étant la dupe d’attributions frauduleuses de l’ouvrage de la part de l’éditeur (textes apocryphes).
Si la littérature est une “marchandise” qui peut attirer des ennuis à son propriétaire ou que l’on vole pour s’enrichir, les clandestinités littéraires révèlent leur puissance poétique surtout lorsque confrontées aux frontières des littératures nationales. Malgré l’infraction du principe d’originalité qui, depuis l’époque romantique, constitue le premier garant de la littérarité du texte, la clandestinité des auteurs et de leurs ouvrages présuppose une littérature qui échappe à tout prétendu génie national, et qui circule librement dans l’Europe entière par ses formes, ses pratiques, ses thèmes.
Les études de Robert Darnton (Censors at Work, 2014 ; Pirating and Publishing, 2021) ont mis en évidence que la circulation de textes clandestins est cruciale pour la diffusion de la culture non seulement dans l’Ancien Régime français, mais dans l’Europe des Lumières. Pendant et après la Restauration, la relative libéralité de la censure à l’égard du livre nous encourage néanmoins à intégrer la notion juridique de « clandestinité » avec la nouvelle sensibilité romantique.
Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, le « sacre de l’écrivain », selon la formule chère à Paul Bénichou, fait écho au « sacre du sujet » (Alain Vaillant, Dictionnaire du romantisme, 2012-2023), opérant une révolution esthétique de portée copernicienne. L’originalité n’est plus seulement l’émanation d’un principe législatif, ni la garantie d’une propriété intellectuelle que l’auteur, personne morale, doit protéger, mais la précondition de toute littérarité, puisque expression unique du soi.
En même temps, le nouveau siècle est marqué par un « triomphe du livre » (Lyon, Le Triomphe du livre, 1987), qui jure avec l’originalité de l’écrivain. Des études comme celle de James Smith Allen (Popular French Romanticism, 1981) ont depuis longtemps dépeint l’activité éditoriale effrénée des débuts du XIXe siècle (Durand, Glinoer, Nyssen, Naissance de l’éditeur, 2008 ; Lyon-Caen, La Lecture et la vie, 2006). Dans les cabinets de lecture (Parent-Lardeur, Lire à Paris au temps de Balzac, 2e éd., 1999), des abonnés de presque tout milieu social attendent avec impatience la parution de nouveaux romans. Pour satisfaire la voracité du lectorat, le marché ne peut que contrevenir au « sacre du sujet », produisant fébrilement une littérature « à la manière de » Scott, Radcliffe ou Pigault-Lebrun. Aux côtés des futurs protagonistes de la querelle romantique, des faiseurs de romans aujourd’hui oubliés multiplient les pseudonymes pour diversifier les catalogues ; ils présentent des œuvres originales sous forme de traductions libres d’auteurs à la mode ou plagient des passages d’autres romans ; ils exploitent le succès de vaudevilles ou de mélodrames, jusqu’à en transposer entièrement la matière dans leurs propres textes.
Comme la célébration de l’originalité romantique passe également par les contraintes industrielles d’une littérature de masse, des pratiques comme le plagiat, la contrefaçon, la pseudonymie ou l’anonymat se prétendent clandestines puisqu’elles violent les principes d’authenticité et de spontanéité que présuppose le pacte avec le nouveau lectorat romantique.
D’après les Questions de littérature légale (1812-1828) de Charles Nodier, le franchissement de la frontière entre imitatio et plagiat, tribut et vol, est d’autant plus grave lorsque la victime est un auteur « moderne et national ». Sans parler des dommages économiques du plagiat (Godefroid, Aspects inconnus et méconnus de la contrefaçon en Belgique, 1998), Nodier paraît aussi sous-entendre que le concept de contrefaçon peut s’étendre aux mouvements culturels, aux modèles littéraires et aux formes narratives.
En effet, le romantisme a consacré l’écrivain non seulement comme sujet, mais aussi comme expression suprême du génie national, dans le sillage du Literarischer Nationalismus. Le “vol” de pratiques, de thèmes, d’imaginaires littéraires se manifeste lorsque le génie national s’impose par son altérité irréproductible : « Une traduction, ou même une imitation exacte », écrit Constant à propos de son Wallstein (1809), tiré de la trilogie de Schiller, « était impossible », tandis que, vingt ans plus tard, Vigny avoue n’avoir joué qu’un « prélude de Shakespeare » dans sa traduction d’Othello (1827).
À la circulation internationale de modèles, formes et thèmes correspond souvent la circulation clandestine de textes, leur attribution douteuse, sinon leur vol. Songeons à la prolifération européenne des apocryphes napoléoniens, bien avant et longtemps après la publication du Mémoriel de Sainte-Hélène (1823). C’est également le cas de la circulation de la Vera istoria di due amanti infelici, édition pirate des Ultime lettere di Jacopo Ortis (1802), ou de l’influence – authentique – qu’un faux comme l'œuvre d’Ossian (1760) a pu avoir sur la vie littéraire européenne, de Goethe à Leopardi. Songeons également à l’engouement pour les vampires (Sangsue, « Les vampires littéraires », 1989), mode romantique qui invite néanmoins à la mystification littéraire sous plusieurs formes : récit de Polidori attribué à Byron, The Vampyre (1819) est prolongé par le roman Lord Ruthwen (1820), attribué à tort à Charles Nodier, qui adapte néanmoins le texte de Polidori en mélodrame (Le Vampire, 1820).
Les contributions mettant en lumière toute forme de clandestinité littéraire ou éditoriale, à travers le prisme de la circulation européenne des livres, des textes et des imaginaires, seront les bienvenues. Un intérêt particulier est porté à la première moitié du XIXe siècle, époque marquée par la codification de pratiques poétiques et éditoriales, ainsi que civiques et politiques, qui résonnent encore aujourd’hui. Cependant, des propositions faisant référence à des périodes historiques et littéraires adjacentes sont également encouragées. Nombre de phénomènes littéraires de la première moitié du XIXe siècle trouvent leurs racines au XVIIIe et perdurent jusqu’au début du XXe : nous songeons aux imitations et aux suites de romans comme Le Paysan parvenu (1734-1735) sous l’Ancien Régime ou à la présence de Herlock Sholmes chez Maurice Leblanc, sans oublier les plagiats qui émaillent la littérature populaire de la seconde moitié du XIXe siècle, comme L’assassinio di rue Saint-Roch (1860-1861) d’Alexandre Dumas, plagiat d’Edgar Allan Poe paru (en italien) dans L’Indipendente.
Les propositions (500 mots max.), en français, anglais ou italien, doivent être soumises au plus tard le 12 décembre 2025 à l’adresse diplingmod.rilune@unibo.it, avec copie à M. Michele Morselli (michele.morselli3@unibo.it). Les propositions doivent également inclure une brève notice bio-bibliographique (150 mots max.). Les articles, rédigés en français, anglais ou italien, ne doivent pas dépasser 40 000 caractères, espaces compris, et seront soumis à une évaluation en double aveugle.
Les normes éditoriales de la revue, que nous demandons de bien vouloir respecter scrupuleusement, sont disponibles sur le site web de Rilune à l’adresse suivante (https://rilune.org/index.php?option=com_content&view=article&id=273&Itemid=141).
NB. Pour les versions anglaise et italienne de l’appel, veuillez visiter le site de Rilune https://rilune.org/index.php?option=com_content&view=article&id=272&Itemid=140.
Calendrier
Clôture de l’appel : 12 décembre 2025
Avis du comité scientifique : fin décembre 2025
Soumission des articles : 1er juin 2026
Retour des évaluateurs : 15 juillet 2026
Soumission des articles corrigés : 1er octobre 2026
Parution : novembre 2026