
Appel à communications
Penser la finitude au féminin
Colloque transdisciplinaire en littérature et en psychologie
Université de Montréal – 29 mai 2026
Nous avons le plaisir d’annoncer la tenue du colloque transdisciplinaire « Penser la finitude au féminin », qui réunira des chercheur·es et praticien·nes en littérature et en psychologie dans une perspective de dialogue et de croisement des savoirs.
La finitude constitue l’un des socles de l’expérience humaine. Vivre, c’est avancer dans la conscience de nos limites — corporelles, temporelles, relationnelles, performatives. C’est faire face à l’inéluctable : la mort, la perte, le manque, l’altérité, la contingence, l’irréversible. Si cette confrontation apparaît comme une donnée existentielle brutale, elle ouvre aussi la voie à des formes de création, de récit, de symbolisation – autant de manières de donner un sens à cette réalité que l’on dira d’abord insupportable, ineffable, invisible.
La littérature, à ce titre, déploie une multitude de formes pour dire la fin : oraisons funèbres, récits de maladie, testaments littéraires, esthétiques spectrales, mises en scène de sa propre disparition — jusqu’à l’écriture elle-même comme dernier acte de vie. Pensons aux romans de Nelly Arcan, de Sylvia Plath et de Virginia Woolf, aux journaux de Marie Uguay et d’Audre Lorde, à l’œuvre testamentaire de Vicky Gendreau, ou encore aux récits de Joan Didion et de Simone de Beauvoir sur la vieillesse et le deuil. La littérature devient un art du mourir : un espace où l’humain tente de donner forme à la disparition. La psychologie, quant à elle, n’a cessé d’explorer ces expériences « limites » ou « ultimes » que sont la naissance, la maladie, le vieillissement et le deuil. Elle interroge la tension ordinaire entre pulsion créatrice et force destructrice. Le travail psychique est souvent un travail de transformation : métaboliser le manque, résister à l’absurde, réparer la rupture, tisser du lien et des liens, pour espérer survivre psychiquement.
Bien que la littérature et la psychologie sondent des horizons communs de l’expérience humaine, les occasions de dialogue entre ces disciplines restent limitées au sein de l’université. Ce colloque propose d’ouvrir un espace de réflexion où chercheur·es et praticien·nes peuvent se rencontrer pour interroger les multiples visages de la disparition. Il s’agit d’élaborer une approche transdisciplinaire de la finitude, fondée sur la reconnaissance de la pluralité des savoirs et sur la conviction que la mise en dialogue des perspectives permet d’appréhender l’expérience de la fin dans toute sa complexité.
Dans la plupart des approches classiques de la mort en sciences humaines, la finitude est envisagée comme une condition universelle et abstraite, sans toujours interroger les modalités concrètes, incarnées, situées par lesquelles cette réalité existentielle se vit, s’exprime et se symbolise. Les concepts de mort et de finitude ont été pensés par des figures largement masculines : Heidegger, Derrida, Freud, Jung, Lacan, Sartre, Camus, Levinas, Ricoeur, Winnicott, Hentsch, etc. L’un des objectifs de ce colloque est de décentrer l’approche masculine et patriarcale du mourir en s’intéressant aux réflexions proposées par les femmes sur la question. En effet, les récits singuliers et les expériences différenciées, notamment celles des femmes ou des personnes marginalisées, demeurent peu visibles ou secondaires dans la théorisation et les représentations hégémoniques. L’omission de ces voix représente une lacune majeure, car l’expérience de la fin est, à l’instar de notre rapport au monde, nécessairement façonnée par des facteurs tels que l’identité de genre, la race, la classe sociale et l’orientation sexuelle. Face à la mort, hélas, nous ne sommes pas tous et toutes égaux·ales. Reconnaître cette disparité permet d’ouvrir la voie à une conceptualisation du mourir qui reflète la pluralité des expériences de la finitude.
Cet appel à élargir les perspectives, tant disciplinaires qu’épistémologiques, participe d’une volonté d’interroger les conceptions dominantes de la finitude. Dans le discours médical et l’imaginaire collectif, la finitude continue largement d’être pensée à travers une logique de maîtrise ou de dépassement : il faudrait la vaincre, la transcender, s’y opposer avec héroïsme. C’est la posture du sujet autonome, fort, qui refuse la vulnérabilité et ses potentialités, dans une vision encore largement marquée par les réflexes d’une pensée patriarcale. Or, de multiples manières de penser, de vivre et d’accompagner la finitude méritent d’être mises en lumière. Elles interrogent non seulement comment nous mourons, mais aussi qui meurt, qui survit, qui soigne, qui se souvient, ou de qui l’on se souvient.
Des autrices, théoriciennes et philosophes comme Elisabeth Kübler-Ross, Donna Orange, Julia Kristeva, Simone de Beauvoir, Annie Ernaux, Vinciane Despret, Lydia Flem, Marie de Hennezel, Judith Butler, Joan Tronto et Erinn Gilson ont souligné le sens et la force de la vulnérabilité des vies et des corps. Si cette vulnérabilité ontologique n’est évidemment pas l’apanage des femmes, l’apport novateur de ces dernières sur la question mérite d’être souligné. Penser la finitude « au féminin », ce n’est donc pas l’enfermer dans une catégorie de genre ou quelque essence féminine. C’est d’abord ouvrir un espace autre pour permettre l’émergence de significations plus vastes, plus incarnées de ce que signifient vivre et mourir.
Thèmes
Parmi les thématiques abordées au colloque, on pourra notamment compter :
- Les expériences du seuil, de la finitude, de l’ultime : maladie, fin de vie, douleur, trauma, deuil, grossesse, avortement, soin, soins palliatifs, aide médicale à mourir.
- Penser sa propre fin : récits de maladie ou de fin de vie, mises en scène de sa mort ou de son suicide, héritage, testaments, rituels funéraires.
- Le « travail » de la finitude : travail psychique, travail de deuil, travail d’écriture en contexte de maladie ou de fin de vie, travail du trépas, travail de mise en lien avec les morts.
- Dialogue entre littérature et psychologie : rôles de la littérature pour penser l’expérience et l’être dans le monde, rapports entre écriture de soi et soin/thérapie, fonctions du récit de vie, l’œuvre littéraire comme objet de médiation en psychologie.
Les réflexions sur la finitude pourront être ancrées dans les expériences des femmes ou de personnes s’identifiant comme telles. Elles pourront également prendre en compte les expériences de personnes marginalisées. Les propositions de communication pourront mobiliser des cadres théoriques tels que les approches féministes, l’éthique du care, l’herméneutique, la phénoménologie, les approches humanistes, la psychanalyse, les études queer.
Dépôt de proposition
Nous invitons professeur·es, chercheur·es et étudiant·es des cycles supérieurs à soumettre une proposition de communication au plus tard le vendredi 9 janvier 2026.
Les propositions de communication (300 mots) doivent être envoyées à l’adresse colloque.finitude@gmail.com. Merci d’y joindre, en plus du résumé, votre nom et vos pronoms, votre affiliation, le titre de votre communication et une brève notice biographique.
Notez que vous n’êtes pas tenu·es d'avoir achevé l'intégralité de votre recherche ni d'avoir obtenu tous les résultats pour soumettre votre proposition.
Date du colloque : Vendredi 29 mai 2026
Lieu : Université de Montréal — en présentiel uniquement
Format : Communications orales (20 minutes), suivies d’une discussion
Le comité organisateur est composé de Frédérique Collette (chercheuse postdoctorale en littérature, Université de Montréal), Alexandra Guité-Verret (doctorante en psychologie, UQÀM) et Stéphanie Proulx (chercheuse postdoctorale en littérature, Université de Sherbrooke).