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Appels à contributions
Les voies du silence (revue Mosaïque)

Les voies du silence (revue Mosaïque)

Publié le par Marc Escola (Source : Rebecca Legrand)

Appel à contributions : "Les voies du silence".

Revue Mosaïque n° 26 (à paraître en décembre 2026)

Le silence n’est pas simple absence de sons ou de parole. Qu’il soit imposé ou choisi, intime ou collectif, indifférent ou engagé, il agit : il dissimule et révèle, protège et opprime, résiste et se fait complice. Cette ambivalence en fait un objet fécond pour les sciences humaines. Comme l’écrivait André Malraux dans Les Voix du silence, les œuvres d’art, souvent figées dans le silence des musées, transmettent des voix invisibles : elles résonnent bien au-delà de leur apparente immobilité. Le silence, loin d’être une absence, devient ainsi une forme active de présence et de mémoire.

À cet égard, Vladimir Jankélévitch propose dans La musique et l’ineffable la nécessité de distinguer entre deux facettes du silence : l’indicible et l’ineffable. Alors que l’indicible réduit au silence, nous mettant face à ce qui, absolument négatif, ne peut être formulé (la mort en est l’exemple, de Jankélévitch lui-même, dont il n’y aurait rien à dire) ; l’ineffable, au contraire, « qualifie ce que l’on ne peut dire parce que précisément il y a trop à en dire, parce qu’il n’y a pas assez de mots, ni de bouches, ni d’oreilles, pour dire, exprimer et recevoir dans l’instant ce que la situation évoque. Le moment est trop riche pour pouvoir être commenté… ». Ce double aspect – paradoxe qui se rajoute à la dialectique – vient conditionner la possibilité de parler du silence.

Impossibilité de parler face à l’horreur, réduction au silence des victimes, mais aussi incapacité à dire ce qui dépasse tout langage, le silence se déploie dans une multiplicité qui ne peut que nous donner voix. Le silence de la mort face au silence sur l’amour, impossible à dire par son excès plutôt que sa négativité. Polymorphe et polychrome, le silence se déploie tantôt en réflexions esthétiques, éthiques, politiques, théologiques, etc.

À travers ce spectre, en silence, nous pourrions retrouver une même difficulté : celle de savoir à quelles conditions ce silence peut nous atteindre. S’empare-t-il de nous malgré nous face à la détresse ? Est-il un acte violent visant à réduire l’autre à moins-que-rien, à celui qui ne compte plus ? Ou doit-on apprendre à l’écouter et si oui comment le faire ? L’écoute et/ou son refus, le silence semble habiter le lieu qui rend possible ou impossible le rapport à autrui.

Dans les champs de la littérature et de l’histoire, le silence peut se manifester par la censure, l’autocensure, la répression politique, l’oubli des archives ou des mémoires interdites. Mais il s’étend également à des narrations manquantes, à des espaces où les voix marginalisées sont souvent étouffées ou effacées.

Le silence ne cesse d’être lieu d’une réflexion esthétique, politique et même théologique. Du self help et le développement personnel qui voient dans le silence l’antidote au bruit contemporain, aux réflexions religieuses sur la venue devant Dieu (Sarah, La force du silence ; Pozzi, Silence ; Iyer, Aflame. Learning from Silence), en passant par la pensée du silencing des minorités (Gilligan, « La silenciation des filles » ou encore les réflexions des colleuses féministes1), le silence ne cesse de fournir à la pensée un terrain fécond de développement que ce soit pour l’ennoblir ou le critiquer, le rejeter ou l’encenser.

Ce numéro souhaite, à partir de là, interroger les formes, fonctions et enjeux du silence dans une perspective critique, interdisciplinaire et diachronique. Il s’intéresse à la manière dont le silence peut être porteur de sens, de contestation ou de mémoire, d’exclusion comme de création de communauté dans et par son épreuve, et comment il est représenté, dénoncé ou loué, performé ou reconstruit.

Cet appel à contribution hérite d’un passé lourd de références et de sens (Alain Corbin en fournit un panorama dans son Histoire du silence), mais il s’inscrit aussi dans un présent où les appels à penser le silence ne cessent de résonner2. Le présent numéro de Mosaïque souhaite prolonger ces multiples réflexions, en ne restreignant pas les époques ou les disciplines, et en offrant une perspective croisée entre littérature, histoire, philosophie, sociologie et éventuellement anthropologie. Le caractère hétéroclite des réflexions attendues permettra peut-être de faire émerger des lignes de force de ces silences pluriels, au cœur des recherches actuelles.

Quelques axes possibles (non exhaustifs) :

  • Silence et pouvoir : censures politiques, non-dits institutionnels, amnésies collectives, historiographies officielles
  • Silence et littérature : stratégies narratives de l’ellipse, personnages muets ou effacés, poésie du non-dit
  • Silence et art : tout art peut-il représenter le silence, le dire, le montrer ? Certains seraient-ils plus à même de le faire ?
  • Mémoires muettes : résistance discrète, mutisme volontaire, silence spirituel ou mystique, oubli des guerres, des violences coloniales, des traumas ; témoignages interrompus ou impossibles.
  • Silence des « voix »/« voies » minorisées : invisibilisation des voix minoritaires, genre et silence, silence non-humain, quid du silence du non-vivant sans voix ?
  • Langage du silence : mise en scène du silence dans le théâtre, le cinéma, les arts visuels ou performatifs.
  • Silence et écoute : de la thérapie à l’éthique de la discussion, quelle place pour le silence dans une pensée de l’accueil de l’autre (et non de son exclusion) ?

Modalités de soumission :

Les propositions de contributions devront être envoyées avant le 15 décembre 2025 aux trois adresses suivantes : revue.mosaique@univ-lille.fr">revue.mosaique@univ-lille.fr ; oliver.norman@ac-poitiers.fr">oliver.norman@ac-poitiers.fr ; rebecca.legrand@univ-lille.fr">rebecca.legrand@univ-lille.fr

Elles ne devront pas excéder 500 mots et devront être accompagnées d’une courte biobibliographie (titre de la thèse, institution(s) de rattachement, directeur ou directrice de thèse, date de soutenance si la soutenance a eu lieu).

La revue Mosaïque est une revue de jeunes chercheurs et chercheuses : de fait, dans le cadre de cet appel à contributions, les propositions sont réservées aux doctorant.es, aux postdoctorant.es et jeunes docteur.es sans poste universitaire pérenne.

Les articles rédigés ne devront pas dépasser 45 000 caractères espaces compris. Ils devront respecter les normes de présentation de la revue, disponibles sur la page suivante : https://www.peren-revues.fr/mosaique/1999.

Calendrier :

  • Date limite d’envoi des propositions : 15 décembre 2025
  • Réponse aux auteurs et autrices : début janvier 2026
  • Envoi de l’article entièrement rédigé : 1er avril 2026
  • Premier retour aux auteurs et autrices : début juin 2026
  • Publication du numéro de la revue : décembre 2026

Bibliographie indicative :

Alkemie, revue semestrielle de littérature et philosophie, Le Silence, Classique Garnier, n° 13, 2014.

BINDEMAN, S. L., 2017, Silence in philosophy, literature, and art, Boston : Brill-Rodopi.

CHESTIER, A., 2003, La Littérature du silence, essai sur Mallarmé, Camus et Beckett, Paris : L’Harmattan

CHRETIEN, J. -L., 1998, L’Arche de la parole, Paris : PUF

CHRETIEN, J. -L., 1997, Corps à corps. A l’écoute de l’œuvre d’art, Paris : Editions de Minuit

CORBIN, A., 2017, Histoire du silence, de la Renaissance à nos jours, Paris : Albin Michel

EDOUARD, S., 2009, « Dire les silences - De la subversion à l’identité », « Littérature-Monde » francophone en mutation, Paris : L’Harmattan

FOUCAULT, M., 1997, Histoire de la sexualité, t. 2 L’Usage des plaisirs, Gallimard : Tel.

GENETTE, G., 1982, Palimpsestes, Paris : Seuil

GLENN, C., 2004, Unspoken: A Rhetoric of Silence, Southern Illinois University Press.

HANUS, F. et NAZAROVA, N. (dir.), 2013, Le Silence en littérature de Mauriac à Houellebecq, Paris : L’Harmattan

HERTMANS, S., 2022, Poétique du silence, trad. du néerlandais par Isabelle Rosselin, Paris : Gallimard

IYER, P., 2025, Aflame. Learning from Silence, Riverhead Books

JANKELEVITCH, V., 2015 [1961], La Musique et l’ineffable, Paris : Points

LAVELLE, L., 2005 [1942], La Parole et l’écriture, Paris : Le Félin

LE MEUR, C., « Le silence du texte. La fondation du langage adressé », Poétique, 2011/1 (n° 165), p. 73-89.

LEVINAS, E., 2011, « Parole et silence » in Œuvres complètes, vol. 2, Paris : Grasset, p. 65-104.

MALRAUX, A., 1951, Les voix du silence, Paris : NRF

MINKOWSKI, E., 2021 [1936], Vers une cosmologie, Paris : Compagnons de l’Humanité

PICARD, M., 2019 [1948], Le Monde du silence, Genève : La Baconnière

POZZI, G., 2014, Silence, Paris : Payot

PUCCINELLI ORLANDI, E., 2004, Les Formes du silence, Paris : éditions des Cendres

SARAH, R., 2016, La force du silence : contre la dictature du bruit, Paris : Fayard

SERISIER, T., 2018, Speaking Out: Feminism, Rape and Narrative Politics, Palgrave Macmillan

SONTAG, S., 2013 [1969], « The Aesthetics of Silence », Styles of Radical Will, Londres : Penguin Modern Classics

VAN DEN HEUVEL, P., 1985, Parole, mot, silence : pour une poétique de l’énonciation, Paris : José Corti.

1 <https://www.nouvelobs.com/idees/20240601.OBS89129/carol-gilligan-la-voix-humaine-est-une-voix-de-resistance-au-patriarcat.html>; <https://www.liberation.fr/culture/livres/feminisme-coller-cest-comme-poser-des-cris-silencieux-dans-les-rues-20221129_EXRAECKE5JFDBJCX7UAYTQT5HE/>

2 En 2025 avons-nous assisté à de multiples manifestations et éditions autour de cette thématique : « Quand le silence devient parole : l’expression du non-dit dans les productions littéraires et culturelles francophones » (McMaster University, Ontario), « La voix du silence et Le silence de la voix » (Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ben M'sik Casablanca), « Rythme, souffle et silence dans les arts » (Université catholique de l’Ouest-Angers), « Le silence de l'oubli : l'absence et le vide de la mémoire dans la culture et la littérature » (Université de la Colombie-Britannique, Vancouver), « Quand dire, c’est taire. Parole, silence et performance de l’acte de langage à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle) » (Bruxelles) ; le séminaire doctoral interdisciplinaire « Travaux en cours » des doctorants de l’ED 131 à Paris Cité qui a consacré une année à « Silence ! » ; et les numéros de la revue Atlante, n° 22, 2025 : « Aux confins du silence : langages et métamorphoses du silence dans le monde hispanique du Moyen-Âge à nos jours », de la revue Intercâmbio, n° 17, 2025 : « Le silence dans les lettres françaises et francophones » et de la revue Silence(s), n° 1, 2024 : « Faire Silence, d'une discipline à l'autre ».