
Nouvelles représentations du vivant dans les littératures de langue française de l'extrême-contemporain (univ. du Nouveau-Brunswick et univ. Saint-Thomas, Canada)
« Nouvelles représentations du vivant dans les littératures de langue française de l’extrême-contemporain »
Colloque international organisé par l’Université du Nouveau-Brunswick et l’Université Saint-Thomas (Fredericton, Nouveau-Brunswick, Canada)
Les 15, 16 et 17 octobre 2026
Julien Defraeye (St. Thomas University)
Chiara Falangola (Université du Nouveau-Brunswick)
Comité organisateur :
· Liza Bolen (Université du Nouveau-Brunswick, Campus de Saint-Jean)
· Pooja Booluck-Miller (Université du Nouveau-Brunswick, Campus de Saint-Jean)
· Corina Crainic (Institut d’Études Acadiennes, Université de Moncton)
· Morgan Faulkner (Université Saint-Francis-Xavier)
· Christine Horne (Université du Nouveau-Brunswick)
· Marie Pascal (Université de l’Île-du-Prince-Édouard)
Conférenciers·ères/invité·e·s confirmé·e·s :
· Mireille Gagné (autrice)
· Étienne-Marie Lassi (Professeur titulaire, Université du Manitoba)
· Stéphanie Posthumus (Professeure agrégée, Université McGill)
Au tournant du XXIe siècle, la théorisation de l’« Anthropocène » (Crutzen 2006) a symboliquement marqué le début d’une réévaluation critique de la place de l’humain dans son environnement et des dualismes essentialistes entre « nature » et « culture » (Descola 2005, Latour 1991) hérités de la tradition humaniste. Face au dérèglement climatique et à l’aube d’une sixième extinction de masse des espèces animales et végétales, différents domaines des sciences humaines, de la philosophie aux études littéraires, interrogent depuis quelques années les liens d’interdépendance auparavant ignorés entre « humain » et « autre-qu’humain » (Justice 2018), dans le « maillage des choses interconnectées » (Morton 2019) que constitue le vivant. Ces approches « posthumanistes » (Braidotti 2019, Haraway 1991, Marchesini 2023) émergentes forcent ainsi une remise en question de l’anthropocentrisme et ouvrent les champs du savoir aux subjectivités animale et végétale, là où d’autres modèles d’intelligence, d’existence et d’expérience du monde sont observés, envisagés et validés, peut-être même consacrés.
Dans le sillage des réflexions critiques sur le « tournant non humain » (Grusin 2015) et sur « la fin de l’exception humaine » (Schaeffer 2007), ce colloque international s’interroge sur les nouvelles trajectoires de la représentation littéraire du vivant autre qu’humain —qu’il soit animal ou végétal, voire minéral— dans les littératures de langue française, ainsi que sur les possibles reconfigurations épistémologiques liées à ces interconnexions renouées des sphères du vivant par le biais de la fiction. Nous nous intéresserons à des œuvres qui renouvellent les liens entre « nature » et « culture », à des textes mettant en scène des savoirs alternatifs et décentrés, ainsi que des modes autres qu’humains de connaître et d’habiter le monde, à des mises en récit —narratives, poétiques, filmiques, graphiques— qui envisagent la cohabitation des espèces au-delà de l’illusion de la désinscription (Plumwood 2002), et dans lesquels l’humain est réintégré au sein du vivant à travers des « parentés dépareillées » (Haraway 2020).
Du côté animal non humain, les littératures de langue française prennent acte de cette crise de la représentation du vivant, notamment en dénonçant l’instrumentalisation du corps animal et en interrogeant la légitimité des hiérarchies spécistes. Des œuvres comme Que font les rennes après Noël ? (2010) d’Olivia Rosenthal, 180 jours (2013) d’Isabelle Sorente et Règne animal (2016) de Jean Baptiste Del Amo témoignent par exemple d’un inconfort moral grandissant face à l’invisibilisation de la souffrance animale dans nos sociétés et offrent à travers des formes narratives empathiques un dépassement des dualismes humanistes. L’animal, dans son altérité certes radicale et irréductible (Derrida 2006), se réinscrit alors comme sujet dans nos récits, et force une prise de conscience éthique sur notre place parmi le règne du vivant (Despret 2012, 2019, 2020 ; Morizot 2021, 2022). La fiction explore ainsi récemment des mondes où l’animalité n’est pas subalterne, mais co-constitutive d’une pensée du vivant élargie, basée sur des formes de coexistence interspécifique fondées sur le soin et une vulnérabilité partagée (Simpson 2017), comme dans Les neuf consciences du Malfini (2009) de Patrick Chamoiseau, Le traquet kurde (2018) de Jean Rolin, La guérilla des animaux (2018) de Camille Brunel, Un chien à ma table (2022) de Claudie Hunzinger et Peine des fauves (2022) d’Annie Lulu. Il s’agit moins de « donner voix » aux animaux que de repenser nos régimes de sens, de corporéité et de relation.
Semblablement, les littératures contemporaines suggèrent la fin de l’exception humaine et imaginent une nouvelle place pour le végétal au-delà du paradigme anthropocentriste en lui accordant à la fois dynamisme et agentivité existentielle et narrative (Bouvet et Posthumus 2024 ; Desrochers 2019). En mettant en évidence des attitudes chez les plantes telles que la coopération intraespèce comme dans l’herbier Nos fleurs (2023) d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Mathilde Cinq-Mars, ou l’intelligence émotionnelle comme dans le recueil poétique Bois de fer (2022) de Mireille Gagné, ces textes contribuent à redéfinir l’univers naturel et les contours traditionnellement établis entre les règnes végétal et animal. D’autres représentent des manières alternatives d’habiter le territoire et la nature dans des textes à veine écobiographique (Pierron 2021) comme Encabanée (2018) de Gabrielle Filteau-Chiba, ou dans des écofictions dystopiques où des écocommunautés agencent de nouvelles solidarités comme dans Aquariums (2019) de J.D. Kurtness ou Viendra le temps du feu (2021) de Wendy Delorme.
La contemplation distanciée de l’humanité et le renversement du paradigme anthropocentrique sont explorés en jouant de la fluidité des frontières entre l’humain et l’autre-qu’humain, grâce à des métamorphoses et hybridations qui témoignent d’une réévaluation des frontières spécistes, comme pour la narratrice attaquée et « métamorphosée » par l’ours de Croire aux fauves (2019) de Nastassja Martin, la protagoniste-lièvre du Lièvre d’Amérique (2020) de Mireille Gagné ou les posthumains de Plasmas (2021) de Céline Minard. La mise à distance se fait aussi par une critique directe du présent où les catastrophes naturelles et climatiques dont nous sommes responsables prennent le devant comme dans Sans l’orang-outang (2007) d’Éric Chevillard ou Chaudun, la montagne blessée (2020) de Luc Bronner. On assiste également à une subjectivation et une agentivité accrues des formes autres-qu’humaines par une prise de parole textuelle, comme celle du chien dans Temps de chien de Patrice Nganang (2001), des divers personnages animaux dans Anima (2012) de Wajdi Mouawad ou de la pieuvre d’Autobiographie d’un poulpe (2021) de Vinciane Despret. Parallèlement, les perspectives du savoir ancestral des littératures autochtones continuent à décentrer les connaissances sur le vivant autre-qu’humain et à montrer la voie d’une relationnalité interconnectée et d’une capacité à habiter le territoire hors des logiques d’exploitation et de destruction, comme dans Kuessipan (2011) de Naomi Fontaine, Un thé dans la toundra/Nipishapui nete mushuat (2013) de Joséphine Bacon, Enfants du lichen (2022) de Maya Cousineau Mollen et Atiku Utei/Le cœur du caribou (2022) de Rita Mestokosho.
En ce qui concerne la théorie critique, depuis les années 1990, le vaste champ des humanités environnementales témoigne d’un foisonnement des approches interrogeant les représentations littéraires du vivant —animal, végétal et minéral. S’inscrivant dans le sillage de l’ecocriticism (Glotfelty et Fromm 1996 ; Buell 1995, 2001, 2005 ; Garrard 2004) dans les mondes anglophones, ainsi que de l’écopoétique (Blanc, Chartier et Pughe 2008 ; Schoentjes 2015 ; Defraeye et Lepage 2019 ; Buekens 2020) et de l’écocritique française/French ecocriticism (Posthumus 2017 ; Posthumus et Finch-Race 2017) du côté francophone, tout un pan de la critique sonde les formes esthétiques à travers lesquelles la littérature tisse un lien sensible avec le non-humain. Issue du champ interdisciplinaire des (human-)animal studies (Haraway 2007, Despret 2012, Calarco 2015), la zoopoétique (Simon 2021) déconstruit les dualismes et explore les modalités d’apparition de l’animal en littérature, en dehors des écueils allégoriques ou anthropocentriques, dans le but de faire émerger une agentivité animale irréductible au logos humain. Parallèlement, les (critical) plant studies/études végétales ont également vu une multiplication des études portant sur la représentation de la subjectivité des plantes dans la fiction (Termite 2014, Bouvet et Posthumus 2024 ; Bouvet, Posthumus, Bilodeau et Dubé 2024), à l’aune des théories sur la pensée végétale (Marder 2013, 2023 ; Irigaray et Marder 2016 ; Coccia 2020 ; Casey et Marder 2023), mais aussi celles en botanique et biologie (Hallé 2004 ; Hall 2011) et en neurobiologie végétale (Mancuso et Viola 2018, Mancuso 2019). Ces champs se sont récemment enrichis d’enjeux postcoloniaux et décoloniaux, qui interrogent les représentations du monde naturel dans les littératures du Sud global, les cosmovisions autochtones (Kimmerer 2021) et les écritures animistes, en remettant en cause les paradigmes extractivistes et eurocentrés. On repense ainsi les dynamismes entre enjeux formels et militants, représentativité canonique et marges littéraires, dogmatisme théorique et interdisciplinarité, ouvrant ainsi la voie à une reconfiguration profonde des modes d’analyse de la présence de l’animal et du végétal dans les littératures de langue française.
Axes de travail :
· Redéfinitions et/ou reconfigurations des frontières spécistes
· Discours animaux et végétaux : modalités des interactions, hybridations des signes et langages, formes de communication inter- et intraespèces
· Mise en récit des subjectivités et systèmes énonciatifs : voix non humaines et polyphonie, intériorité animale ou végétale, point de vue et instinct
· Le savoir dans la littérature : éthologie, zoologie, biologie, botanique, cognitivisme animal et végétal et approches épistémocritiques
· Documenter la faune et la flore : possibles héritages des bestiaires, des herbiers et des sciences naturelles
· Rapports de domination : animaux sauvages et domestiqués (dressage, culture, élevage, chasse…)
· Évolution(s) du vivant : darwinisme, eugénisme, modifications génétiques, mutations, hybridations…
· « Post-animalité(s) » : figures animales chimériques et/ou hybrides
· Discours sur la souffrance : empathie, identification, morale et éthique, théories du care
· Pratiques de l’engagement : dénonciation, militantisme, (éco)communautés
· Formes et métaphores végétales dans la littérature : l’arbre, le rhizome…
· Préservation, conservation, disparition des espèces animales et végétales
· « Zoofuturismes » : nouveaux rapports à l’altérité animale
· Héritage et tradition littéraires : réappropriations et renouvellements esthétiques
· Perspectives postcoloniales/décoloniales/autochtones : inscriptions des rapports de pouvoir coloniaux dans les dynamiques environnementales, écologiques et littéraires
· Perspectives féministes (écoféminisme, féminisme décolonial, féminisme spéculatif, féminisme intersectionnel…)
· Approches génériques (écofictions, écobiographies, herbiers, bestiaires, fables et récits animaliers, littérature jeunesse…)
· Perspectives théoriques, diachroniques/synchroniques, comparatistes et intermédiales
Les thématiques, textes et axes de travail listés dans cet appel ne se veulent nullement exhaustifs ou limitatifs, mais purement indicatifs.
Les propositions de communications, d’une longueur d’environ 250 mots, doivent indiquer le nom du/de la chercheur·e, son affiliation institutionnelle, son courriel, ainsi qu’une brève note biobibliographique. Les propositions sont à envoyer au plus tard le 12 décembre 2025 à l’adresse representationsduvivant@gmail.com.
Les participant·e·s au colloque seront également invité·e·s à soumettre une version remaniée de leurs communications en vue de la publication d’un ouvrage collectif.
Bibliographie critique
BLANC, Nathalie, Denis CHARTIER et Thomas PUGHE (dir.), « Littérature & écologie : vers une écopoétique », Écologie & Politique, vol. 2, no 36, 2008.
BOUVET, Rachel et Stéphanie POSTHUMUS (dir.), Mouvantes et émouvantes. Les plantes à travers le récit, Presses de l’Université de Montréal, 2024.
BOUVET, Rachel, POSTHUMUS, Stéphanie, BILODEAU, Jean-Pascal et Noémie DUBÉ, Entre les feuilles. Explorations de l’imaginaire botanique contemporain, Presses de l’Université du Québec, 2024.
BRAIDOTTI, Rosi, Posthuman Knowledge, Polity Press, 2019.
BUEKENS, Sara, Émergence d’une littérature environnementale, Droz, 2020.
BUELL, Lawrence, The Environmental Imagination: Thoreau, Nature Writing and the Formation of American Culture, Harvard University Press, 1995.
BUELL, Lawrence, Writing for an Endangered World. Literature Culture and Environment in the U.S. and Beyond, Belknap University Press, 2001.
BUELL, Lawrence, The Future of Environmental Criticism: Environmental Crisis and Literary Imagination, Blackwell, 2005.
CALARCO, Matthew, Thinking through animals. Identity, Difference, Indistinction, Stanford University Press, 2015.
CASEY, Edward S. et Michael MARDER, Plants in Place: A Phenomenology of the Vegetal, Columbia University Press, 2023.
COCCIA, Emanuele, Métamorphoses, Payot et Rivages, 2020.
CRUTZEN, Paul Joseph, « The “Anthropocene” », dans EHLERS, Eckart et Thomas KRAFFT (dir.), Earth System Science in the Anthropocene, Springer, 2006, p. 13-18.
DEFRAEYE, Julien et Élise LEPAGE (dir.), « Approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l’extrême contemporain », Études littéraires, vol. 48, no 3, 2019.
DERRIDA, Jacques, L’animal que donc je suis, Galilée, 2006.
DESCOLA, Philippe, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.
DESPRET, Vinciane, Habiter en oiseau, Actes Sud, 2019.
DESPRET, Vinciane, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, Les Empêcheurs de penser en rond, 2012.
DESPRET, Vinciane, Quand le loup habitera avec l’agneau, Les Empêcheurs de penser en rond, 2002.
DESROCHERS, Julien, « ‘Cette grâce entière, insaisissable et mystérieuse’ : formes et enjeux de l’éco-épiphanie dans trois romans québécois contemporains », dans DEFRAEYE, Julien et Élise LEPAGE (dir.), « Approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l’extrême contemporain », Études littéraires, vol. 48, no 3, 2019, p. 51-65.
GARRARD, Greg, Ecocriticism, Routledge, 2004.
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HARAWAY, Donna, The Companion Species Manifesto: Dogs, People and Significant Otherness, Prickly Paradigm Press, 2003.
HARAWAY, Donna, When Species Meet, University of Minnesota Press, 2007.
HARAWAY, Donna, Vivre avec le trouble, Les mondes à faire, 2020.
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MANCUSO, Stefano et Alessandra VIOLA, L’intelligence des plantes, Albin Michel, 2018.
MANCUSO, Stefano, La révolution des plantes. Comment les plantes ont déjà inventé notre avenir, Albin Michel, 2019.
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MORIZOT, Baptiste, Sur la piste animale, Actes Sud, 2021.
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MORTON, Timothy, La pensée écologique, Zulma, 2019.
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