
Cicéron, philosophe de la nature ?
La place de la physique dans la philosophie cicéronienne
English version below
Organisation : Sabine Luciani (AMU – TDMAM) et Jeanne Ravaute (ENS de Lyon – HiSoMA)
Date du colloque : 25-26 juin 2026
Lieu : ENS de Lyon
Dans le prologue du second livre du De diuinatione, écrit après la mort de César, Cicéron, interrompant la discussion in utramque partem sur la divination engagée avec son frère Quintus, recense l’ensemble de ses écrits philosophiques. Véritable « catalogue raisonné » (Schofield 1986) de son œuvre, cet extrait semble livrer des clés de compréhension de l’ensemble du programme philosophique de Cicéron. En ce sens, l’ordre dans lequel il présente les différents ouvrages a suscité de nombreuses questions (par exemple, Grilli 1971). Si l’ordre n’est pas strictement chronologique, puisque le De republica, pourtant entamé dès l’année 54, n’est pas présenté en premier, il semble pouvoir être considéré comme programmatique, dans la mesure où il donne sens à l’ensemble de son œuvre philosophique. Cicéron y présente ses ouvrages par groupes et associe notamment le De natura deorum, le De diuinatione et le De fato, encore à l’état de projet au moment de l’écriture du prologue :
Après avoir exposé ces matières, j’ai achevé trois livres Sx,ur la nature des dieux, qui contiennent l’ensemble de la question (toti huic quaestioni). Pour qu’elle soit traitée de façon vraiment complète et dans toute son étendue, j’ai commencé à écrire ces livres Sur la divination ; si, comme c’est mon intention, j’y adjoins un traité Du destin, j’aurai largement satisfait à toute cette question. (Cicéron, Diu. II, 3. Trad. J.-F. Guillaumont).
Si l’on suit la tripartition bien connue de la philosophie ancienne (Hadot 1979), ces trois ouvrages appartiennent au domaine de la physique, c’est-à-dire à l’étude de la φύσις, qui désigne, selon l’acception élargie par les stoïciens, l’étude de l’univers et des dieux (voir par exemple, DL, VII, 138). Mais on peut s’étonner que, selon la présentation cicéronienne, la physique se limite à la question des dieux et du destin. Cicéron ne nomme d’ailleurs pas plus précisément cette quaestio et il semble nécessaire d’examiner le vocabulaire employé pour traiter de physique. Il peut parler de natura, mais aussi de physica (notamment dans Ac. I, 25), terme qui réapparaît régulièrement dans les philosophica. Ce terme recoupe-t-il aussi l’étude de la nature, des astres, de la place qu’occupe l’être humain dans le monde ? Cette thématique fait-elle partie du programme philosophique de l’Arpinate ?
Si l’on en croit Cicéron, « Socrate le premier invita la philosophie à descendre du ciel » (Tusc. V, 10) et fit ainsi de l’éthique le domaine principal de l’enquête philosophique. Selon cet exposé, les philosophes dits « présocratiques », comme Démocrite, Empédocle ou Pythagore, s’intéressaient, quant à eux, à l’ensemble des phénomènes naturels. Il faudrait donc remonter à ces philosophes de la nature que Cicéron nomme physici pour retrouver les origines de la physique, dont se seraient ensuite inspirées les différentes écoles hellénistiques. Dans la République, Cicéron explique en effet que l’intérêt de Platon pour les questions naturelles serait issu non pas de l’enseignement de Socrate mais de celui du pythagoricien Archytas de Tarente et d’un certain Timée de Locres (dont l’existence historique est nettement débattue) qu’il aurait rencontrés en Sicile (Rep. I, 16). Cette partition entre une éthique issue de Socrate et une physique issue des présocratiques mériterait d’être réinterrogée à la lumière du projet philosophique de Cicéron à Rome. Les épicuriens, comme les stoïciens, n’ont pas délaissé les questions naturelles pour privilégier l’éthique, aussi bien en Grèce qu’à Rome (voir Lucrèce, Sur la Nature ou Sénèque, Questions naturelles). Dès lors, comment Cicéron se positionne-t-il par rapport aux doctrines philosophiques de son temps sur le plan de la physique ? et comment se positionne-t-il par rapport aux physici, contre lesquels il dit avoir écrit les Académiques (Tim. I, 1) ?
Si l’on se penche plus précisément sur son œuvre, on remarque qu’un certain nombre d’ouvrages, parfois moins explorés que le triptyque De natura deorum – De diuinatione – De fato, traitent également de la philosophie de la nature, de cosmologies, ou encore de la place que l’être humain occupe dans le monde. Citons par exemple : les Aratea, le Somnium Scipionis du De republica, le Timaeus, ou encore les Tusculanes et les Académiques, dont le premier livre a été récemment réédité dans la Collection des Universités de France (Lévy, Hunt & Malaspina 2025). Il s’agit donc d’une question qui, bien qu’elle ne semble pas être traitée frontalement par Cicéron, traverse manifestement l’ensemble de son œuvre, depuis sa jeunesse – avec les Aratea – jusqu’aux ouvrages philosophiques de la dernière période.
Alors que les études sur l’éthique ou la théorie de la connaissance chez Cicéron sont fort nombreuses, le rôle de la physique dans l’ensemble des philosophica n’a encore été que peu exploré. L’ouvrage collectif sur le concept de nature à Rome (Lévy 1996) montre bien l’intérêt de poser cette question à propos du corpus cicéronien. L’influence de Platon sur Cicéron a été largement étudiée, et les spécialistes se sont interrogés sur les positionnements doctrinaux du philosophe romain. Son rapport au Timée, œuvre fondamentale de la physique platonicienne, a été surtout analysé par le biais de la médiation stoïcienne (Reydams-Schills 1999 ; 2013 ; 2015), mais il a également été question du positionnement de Cicéron dans l’histoire du platonisme, entre la fin de la Nouvelle Académie en tant qu’institution (Lévy 1992) et les débuts du « médio-platonisme » (Lévy 2008). Des études approfondies ont été menées sur chaque dialogue du triptyque De natura deorum, De diuinatione et De fato (Auvray-Assayas 2019 ; Guillaumont 2006 ; Di Meglio 2019) ; quelques-unes seulement ont cherché à en dégager l’unité d’une pensée philosophique (Auvray-Assayas 2025) ou d’une théologie (Wynne 2019). De nouvelles perspectives ont cependant été récemment ouvertes sur certains de ces ouvrages, notamment le De fato (Bellorio 2021), ou le Timaeus, parfois considéré comme le quatrième opus qui devait être ajouté au triptyque physique (Lévy 2003 ; Sedley 2013 ; Auvray-Assayas 2022 ; Ravaute 2024 ; Revello 2025). En parallèle, le rapport de Cicéron à l’astronomie a été étudié dans le De Republica par le biais des questions politiques (Atkins 2011 ; 2013) et du thème de la révélation (Lévi 2014) ou dans les Aratea par le biais de questions esthétiques (Ciano 2019) ou culturelles (Gee 2013 ; Volk 2015 ; Bishop 2019).
Mais une question demeure : Cicéron se veut-il aussi un « philosophe de la nature » ? Comment se situe-t-il sur ce sujet parmi les différentes doctrines philosophiques et quelle place l’enquête sur la nature occupe-t-elle dans son projet ? C’est à ces questions que le colloque se propose de répondre.
Plusieurs axes pourront être explorés :
- Les liens entre la physique et les autres parties de la philosophie : comment Cicéron articule-t-il la théorie néo-académicienne du doute et l’enquête sur la nature ? Quel rôle la physique peut-elle jouer dans le cadre des questions éthiques et politiques ?
- Les rapports de Cicéron aux doctrines grecques : quels rôles tiennent les philosophes présocratiques dans la démarche cicéronienne ? Comment Cicéron se positionne-t-il par rapport aux physiques hellénistiques ?
- Cicéron, « professeur de philosophie du peuple romain » (Lévy 2008) : en quoi le travail de Cicéron contribue-t-il à la circulation des savoirs sur la nature, le monde, les astres à la fin de la République ? Observe-t-on une démarche de « romanisation » de la physique dans la philosophie cicéronienne et sous quelles formes ?
- Seront bienvenues également des propositions visant à comparer la démarche de Cicéron avec celle d’autres philosophes antiques, ou à insérer son travail philosophique dans l’histoire intellectuelle de la fin de la République.
Informations pratiques
Le colloque aura lieu les 25 et 26 juin 2026 à l’ENS de Lyon.
L’hébergement et les repas seront pris en charge par l’organisation du colloque. Le transport sera à la charge des participant-es. Une aide pourra cependant être apportée aux jeunes chercheuses et chercheurs pour le financement des trajets.
Les communications, d’une durée de 25 min, pourront porter sur un ou plusieurs axes mentionnés et se faire en anglais ou en français. Les propositions de communication, d’environ 500 mots, accompagnées d’une notice bio-bibliographique dans un second document, sont à envoyer à sabine.luciani@univ-amu.fr et jeanne.ravaute@ens-lyon.fr avant le 1er décembre 2025. Les réponses seront données au début du mois de janvier.
Comité d’organisation
- Sabine Luciani (sabine.luciani@univ-amu.fr)
- Jeanne Ravaute (jeanne.ravaute@ens-lyon.fr)
Comité scientifique
- Anne Balansard (AMU)
- Maëlys Blandenet (ENS de Lyon)
- Matthew A. Fox (University of Glasgow)
- Sabine Luciani (AMU)
- Stéphane Marchand (Paris 1 – Panthéon Sorbonne)
- Gernot M. Müller (Universität Bonn)
- Jeanne Ravaute (ENS de Lyon)
- Katharina Volk (Columbia University)
Is Cicero a natural philosopher?
The status of physics in Cicero’s philosophy
English version
Steering committee: Sabine Luciani (AMU – TDMAM) and Jeanne Ravaute (ENS de Lyon – HiSoMA)
Date: June 25th-26th 2026
Place: ENS de Lyon, France
In the prologue to the second book of the De diuinatione, written after Caesar’s death, Cicero stops the in utramque partem disputatio about divination between his brother Quintus and himself, to list all his philosophical writings. Truly a “catalogue raisonné of the whole philosophical œuvre” (Schofield 1986), this excerpt seems to provide the keys to understanding Cicero’s whole philosophical program. For this reason, the order in which he lists his various works has been much questioned (e.g., Grilli 1971). It is not a chronological order, since the De republica, although begun in 54, is not presented first. It seems however possible to consider it as a programmatic order, intended to give meaning to the whole of his philosophical work. Cicero presents his works in groups, including as a unit De natura deorum, De diuinatione and De fato, which was still as a draft stage when he wrote the prologue:
After publishing the works mentioned I finished three volumes On the Nature of the Gods, which contain a discussion of every question under that head (toti huic quaestioni). With a view of simplifying and extending the latter treatise I started to write the present volume On Divination, to which I plan to add a work on Fate; when that is done every phase of this particular branch of philosophy will be sufficiently discussed. (Cic. Diu. 2, 3. Transl. W. A. Falconer).
According to the well-known tripartition of ancient philosophy (Hadot 1979), these three works belong to the field of physics, i.e., the study of φύσις which refers, in a sense broadened by the Stoics, to the universe and to the gods (e.g., DL, VII, 138). It may however come as a surprise that, according to this presentation, physics in Cicero’s philosophy is limited to the question of gods and fate. He doesn’t even specify this quaestio more precisely, and it seems necessary to examine the vocabulary used to discuss physics. He may refer to natura, but also to physica (e.g. Ac. 1, 25), a term that reappears regularly in other philosophical dialogues. Does this term also cover the study of nature, the stars, and the place of human beings in the world? Is this topic part of Cicero’s philosophical program?
As Cicero puts it, "Socrates was the first to call philosophy down from the heavens" (Tusc. V, 10), making ethics the main field of philosophical inquiry. According to him, so-called presocratic philosophers, such as Democritus, Empedocles, or Pythagoras, were interested in all natural phenomena. We must therefore go back to those presocratic philosophers, whom Cicero calls physici, to find the origins of physics, which would later inspire the various Hellenistic schools. In the Republic, Cicero explains that Plato’s interest in physics stemmed not from the teachings of Socrates, but from those of the Pythagorean Archytas of Tarentium and a certain Timaeus of Locres (whose actual historical existence is much debated), whom he met in Sicily (Rep. I, 16). This division between ethics derived from Socrates and physics derived from the presocratic philosophers deserves to be re-examined in light of Cicero’s philosophical project in Rome. The Epicureans, like the Stoics, did not abandon questions of nature in favor of ethics, both in Greece and in Rome (see Lucretius’s On Nature or Seneca’s Natural Questions). Therefore, how did Cicero position himself regarding to physics in relation to other philosophical doctrines of his time? And how did he position himself in relation to the physici, against whom he claimed to have spoken in his Academics (Tim. I, 1)?
Some of Cicero’s works, although less discussed than the triptych De natura deorum – De diuinatione – De fato, also deal with the inquiry on nature, cosmological views or the place that human beings have in the world. Examples include the Aratea, the Somnium Scipionis from De republica, the Timaeus, the Tusculan Disputations and the Academics, whose first book has recently been republished in the Collection des Universités de France (Lévy, Hunt & Malaspina 2025). This question, although not dealt with head-on, clearly runs through the whole of Cicero’s work, from his youth – with the Aratea – to the philosophical works of the last period.
While studies of Cicero’s ethics and theory of knowledge are numerous, the status of physics in the philosophica has been less discussed. Lévy’s book on the concept of nature in Rome (Lévy 1996) clearly shows how relevant it is to ask this question about Cicero’s works. Plato’s influence on Cicero has been widely studied, and scholars have questioned Cicero’s doctrinal positions. His relation to the Timaeus, a fundamental work of Platonic physics, has been analyzed primarily through Stoic mediation (Reydams-Schills 1999; 2013; 2015), but there has also been discussion of Cicero’s positioning in the history of Platonism, between the end of the New Academy as an institution (Lévy 1992) and the beginnings of medio-platonism (Lévy 2008). In-depth studies have been written on each dialogue of the triptych On the nature of gods, On diuination and On fate (Auvray-Assayas 2019; Guillaumont 2006; Di Meglio 2019), and only a few have sought to draw out the unity of a philosophical thought (Auvray-Assayas 2025) or of a theology (Wynne 2019). However, new perspectives have recently been opened up on some of these works, notably On fate (Bellorio 2021), or the Timaeus, sometimes regarded as the fourth opus to be added to the physical triptych (Lévy 2003; Sedley 2013; Auvray-Assayas 2022; Ravaute 2024; Revello 2025). In parallel, Cicero’s relations to astronomy has been interrogated in On Republic through political issues (Atkins 2011; 2013) and through the theme of revelation (Lévi 2014), or in the Aratea through aesthetic (Ciano 2019) or through cultural issues (Gee 2013; Volk 2015; Bishop 2019).
But a question remains: does Cicero consider himself as a “natural philosopher”? How does he situate himself among the various philosophical doctrines on the subject, and what place can the inquiry into nature have in Cicero’s project? These are the questions the conference aims to answer.
Several issues shall be discussed:
- Links between physics and other parts of philosophy: how does Cicero articulate the neo-academic theory of doubt and the investigation of nature? What role can physics play in ethical and political questions?
- Cicero’s relationship with Greek philosophies: what role do the presocratic philosophers play in Cicero’s roman philosophical approach? How does Cicero place himself in relation to Hellenistic physics?
- Cicero as a "professor of philosophy to the Roman people" (Lévy 2008): how does Cicero’s work contribute to the transmission of knowledge about nature, the universe or the stars in late-Republican Rome? Is there a "romanization" of physics in Cicero’s philosophical works?
Papers may address one or more of these questions. Proposals which aim to compare Cicero’s approach with that of another ancient philosopher or to place his philosophical work in the intellectual history of the Late Republic will also be welcome.
Practical information
The conference will take place on June 25 and 26, 2026 at ENS de Lyon (France).
Accommodation and meals will be provided. Participants are responsible for their own transport. However, financial support may be provided to young researchers to help cover their travel expenses.
Papers should last 25 minutes and may address one or more of the issues mentioned above, in English or French. Proposals of around 500 words, accompanied by a short cv in a second document, should be sent to both sabine.luciani@univ-amu.fr and jeanne.ravaute@ens-lyon.fr by December 1st, 2025. Responses will be announced in January.
Steering committee
- Sabine Luciani (sabine.luciani@univ-amu.fr)
- Jeanne Ravaute (jeanne.ravaute@ens-lyon.fr)
Scientific committee
- Anne Balansard (AMU)
- Maëlys Blandenet (ENS de Lyon)
- Matthew A. Fox (University of Glasgow)
- Sabine Luciani (AMU)
- Stéphane Marchand (Paris 1 – Panthéon Sorbonne)
- Gernot M. Müller (Universität Bonn)
- Jeanne Ravaute (ENS de Lyon)
- Katharina Volk (Columbia University)