
Littérature et imaginaire végétal : modèles théoriques, formes poétiques et processus de composition (Lisbonne)
Colloque international et interdisciplinaire
Littérature et imaginaire végétal : modèles théoriques, formes poétiques et processus de composition
22, 23 et 24 avril 2026
Université Nova de Lisbonne – Faculté de Sciences Sociales et Humaines (NOVA FCSH)
Institut d’Études de Littérature et Tradition (IELT)
Les séances auront lieu en présentiel au Colégio Almada Negreiros (Campus de Campolide, 1099-085, Lisbonne).
L’imaginaire occidental est traversé par une multitude de métaphores végétales, qui nourrissent une pensée complexe et nuancée, révélatrice de notre rapport au monde. La prolifération d’images comme la racine, l’arbre, la graine, le fruit, la croissance, la ramification, la greffe, entre autres, traduit l’empreinte ancienne et profonde du végétal dans de nombreux champs du savoir, y compris en littérature. En effet, ces images ont toujours fonctionné, dans le domaine littéraire, comme des modèles de pensée, à travers lesquels s’articulent des forces et des valeurs hétérogènes, génératrices de formes, de sens et de possibilités infinies. Dans son « Prélude » à La Fraîcheur de l'herbe. Histoire d'une gamme d'émotions (Paris : Fayard, 2018), l’historien Alain Corbin nous rappelle comment, de Pline aux auteurs contemporains (on pense notamment aux divagations de M. Palomar, dans l’œuvre éponyme d’Italo Calvino, qui découvre dans la « prairie infinie » un modèle d’univers «innombrable, instable dans ses confins, s’ouvrant lui-même à d'autres univers »), en passant par Ronsard, Rousseau et sa passion pour l’herborisation (Rêveries du promeneur solitaire), les poètes romantiques ou les précurseurs du modernisme comme Withman (Leaves of Grass), de nombreux écrivains ont été attirés par les images herbacées, évoquant le choc (matériel, cognitif et poétique) provoqué par la seule vue de l’herbe. Aussi bien l’idylle que la poésie pastorale de l’Antiquité, ou encore la Reverdie cultivée au Moyen Âge, constituent des modalités lyriques où le végétal devient un principe générateur et structurant de formes poétiques spécifiques. Pour traduire une manière unique de ranger la matière narrative, l’organisation arborescente, le Moyen Âge invente un nouveau terme tout aussi révélateur, la branche, qui apparaît pour la première fois dans le Roman de Renart pour désigner l’une des parties (la branche IV, qui raconte les mésaventures du loup Ysengrin, piégé au fond d’un puits après avoir succombé à l’astucieuse stratégie rhétorique du renard) d’un récit kaléidoscopique par excellence. Dans son essai intitulé La métamorphose des plantes (Versuch die Metamorphose der Pflanzen zu erklären, 1790), Goethe propose lui aussi une vision organique, dynamique et intuitive du monde végétal, considérant que toutes les parties de la plante dérivent des modifications successives d’une forme archétypale commune, qu’il appelle la « plante primordiale » (Urpflanze). Ainsi, contrairement à la pensée scientifique mécaniciste et classificatoire de son époque, centrée sur des structures hiérarchiques, linéaires ou anthropocentriques, Goethe voit dans la plante un processus dynamique de transformation continue, générateur d'une multiplicité proliférante, ouverte et décentralisée, anticipant ainsi la pensée rhizomatique de Deleuze et Guattari dans Mille Plateaux (1980)[1]. Les deux philosophes présentent le concept de rhizome comme un modèle de pensée et de création qui imite la croissance des plantes, fondé sur des connexions horizontales et multiples, se traduisant par des récits fragmentés et ouverts qui s’étendent par affinité et contagion. Suivant ce modèle épistémologique, la littérature s’organise selon des processus de germination, de ramification et d’interdépendance. Le végétal devient ainsi l’opérateur d’une esthétique de la relation. Des auteurs comme Édouard Glissant renforcent cette idée en défendant une poétique de la relation, qui adopte le rhizome comme modèle d’un langage littéraire qui doit être dynamique et intégrer la diversité et la complexité du monde, en valorisant la multiplicité et l’interconnexion[2].
Penser la littérature à partir des plantes et des systèmes végétaux, c’est donc adopter la logique du végétal comme principe générateur de la création littéraire elle-même. En ce sens, nonobstant l’importance de sa valeur poétique, culturelle et symbolique, la plante n’apparaît pas seulement comme un simple thème ou motif intégrant le processus dynamique de la représentation, mais plutôt comme un modèle (imagétique et conceptuel) créateur (générateur) de nouvelles façons de penser le phénomène littéraire et un principe de composition/organisation du matériel littéraire lui-même. En évoquant la croissance organique, la multiplication, la transformation ou la connexion, l’imaginaire végétale offre à la pensée occidentale une grammaire vivante de la métamorphose et de la relation, qui façonne notre façon de penser, d’écrire et de représenter le phénomène littéraire. Le végétal devient ainsi une philosophie (on pense à l’ouvrage collectif Philosophie du végétal paru en 2019 chez Vrin), une authentique forme de pensée - que Michael Marder désigne comme Plant-thinking (2013) - et propose un épistème alternatif à la rationalité occidentale, marquée par des centralités, des hiérarchies et des binarismes, ainsi que par un anthropomorphisme (déjà profondément déconstruit par Julien Offray de La Mettrie dans son L'Homme-Plante paru en 1748, à Potsdam) et un universalisme tout aussi réducteur. On comprend dès lors l’intérêt croissant de la théorie et de la critique littéraires pour la question du végétal dans la littérature. Des auteurs et théoriciens tels que Michael Marder, Eduardo Kohn, Monica Gagliano, Emanuele Coccia, Rachel Bouvet, Stéphanie Posthumus, Patrícia Vieira, Jacques Tassin, entre autres, proposent une manière nouvelle - ou renouvelée - de penser les plantes, en les repositionnant dans la pensée contemporaine en tant que présence active, sujets éthiques, ontologiques et épistémologiques, producteurs de sens.
Partant de ce cadre conceptuel, l’objectif de ce colloque est de réfléchir sur la possibilité de penser le végétal non seulement comme un thème ou une métaphore de la littérature, mais comme un modèle épistémologique et formel qui conditionne directement nos manières de composer et d’imaginer le littéraire. L’objectif est de promouvoir le dialogue entre questionnements théoriques et pratiques compositionnelles / artistiques, à partir d’une approche essentiellement plurielle et interdisciplinaire.
Nous sollicitons, donc, des propositions de communication dans le domaine des humanités environnementales, à savoir la littérature et la théorie littéraire, la philosophie, l´’histoire, l’écocritique, les études animales et végétales, etc.
[1] DELEUZE, Gilles, GUATTARI, Félix, Capitalisme et schizophrénie. Mille Plateaux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980.
[2] Glissant, É. 1990. Poétique de la relation - Poétique III. Paris : Gallimard.
Langues du colloque: portugais, français, anglais et espagnol.
Envoi des propositions: Les propositions de communications doivent être envoyées à l’adresse literaturavegetal@fcsh.unl.pt avant le 30 novembre 2025, accompagnées d’un résumé (maximum 250 mots) et d’une courte biobibliographie (maximum 150 mots).
Calendrier:
● 30 novembre 2025 : date-limite pour l’envoi des propositions;
● 20 décembre 2025: réponse de l’organisation;
● 31 janvier 2026 : date-limite pour l’inscription au colloque;
● 28 février 2026: divulgation du programme;
● 22, 23 et 24 avril 2026 : réalisation du colloque.
Frais d’inscription:
● Participants sans présentation de communication : sans frais d’inscription.
● Chercheurs de l’IELT avec présentation de communication : 50€.
● Participants avec présentation de communication : 120€
L’inscription ne sera effective qu’après paiement des frais et réception du justificatif à l’adresse literaturavegetal@fcsh.unl.pt, accompagné des informations qui devront figurer sur le reçu, ainsi que de la fiche d’inscription qui sera disponibilisée sur la page du colloque. Le paiement sera effectué par virement bancaire sur le compte de FCSH - Universidade NOVA de Lisboa, dont les coordonnées sont les suivantes :
Publication: Après le colloque, les participants seront invités à soumettre la version écrite de leurs communications pour une sélection en vue de la publication d’un livre électronique.
Organisation:
Carlos Carreto (IELT - NOVA FCSH) Márcia Seabra Neves (IELT - NOVA FCSH)