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Archives et historiographies des théâtres arabes (revue Regards)

Archives et historiographies des théâtres arabes (revue Regards)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Toufic El-Khoury)

Archives et historiographies des théâtres arabes

Ce numéro se propose d’interroger l’historiographie des théâtres des mondes arabes et de la relire à la lumière de son rapport aux archives des arts du spectacle. Il se penchera, en particulier sur les raisons et conjonctures qui poussent à conserver les traces des arts du spectacle, ainsi qu’aux présupposés et méthodes de l’écriture de l’histoire du théâtre. 

L’histoire du théâtre arabe est souvent associée à des vides, des silences flagrants, ou encore à un manque de représentation et de reconnaissance dans le paysage théâtral mondial. Dans la préface de son ouvrage al-Masraḥ al-munawwaʿ, Tawfīq al- Ḥakīm (1956) déplorait le fait que « notre création théâtrale contemporaine surgît ainsi de rien ou de presque rien, de quelques rares expériences […], œuvrant par-delà un abîme vertigineux que les efforts fournis au fil des générations par les prédécesseurs n’ont pas réussi à combler » (7). 

Cet « abîme » dans l’histoire des arts du spectacle arabes serait-il dû, comme le suppose Roger Assaf (2024), à une « parallaxe » (7) et à des lacunes inhérentes à l’historiographie du théâtre qui s’est détournée des pratiques des arts du spectacle arabes antérieures au XIXe siècle, réfrénant en conséquence la préservation des archives de ces pratiques ? « L’abîme » historiographique résulterait-il lui-même de la précarité et de la fragmentarité des archives, sinon de l’absence de traces des formes traditionnelles du théâtre arabe ?

L’oralité, l’interactivité, l’absence de texte fini, la composition des spectacles à partir de canevas, ces caractères intrinsèques aux pratiques théâtrales traditionnelles arabes sont-ils les premiers à interroger face à l’absence de documents précis et complets ? 

Même quand ils existaient, les textes dramatiques arabes sont souvent demeurés inaccessibles, comme le signalent les chercheurs, qui attribuent cela aux réticences des maisons d’éditions arabes à publier des textes théâtraux, qui plus est en dialectes locaux. Les textes qui ont été publiés dans des anthologies sont, par ailleurs, tributaires des critères de choix adoptés par les auteurs et les éditeurs (voir par exemple les justifications que donnent Muḥammad Krayyim, 2000, 213 ou  Muḥammad Yūsuf Naǧm, 1963).

À leur tour, les « archives vivantes » – selon Pavis (1996), la transmission d’un savoir-faire et de partitions « incorporées » par les acteurs – se disséminent souvent, empêchant la continuité des expériences fondatrices dans les mouvements théâtraux arabes. 

Plus généralement, un grand nombre de chercheurs et artistes ont mis en avant l’impossibilité, commune à toute création théâtrale, de garder des traces « vivantes » de la totalité de « la séance théâtrale » (Biet, 2013) et des processus complets de la performance (Schechner, 2020).

Cela nous pousse à interroger la nature même du document préservé, « figé », considéré comme archive de théâtre, ainsi que le choix de sa conservation et la subjectivité de sa lecture. Les recherches menées sur les archives des arts du spectacle, ainsi que les réflexions critiques sur les historiographies du théâtre, ne manquent pas de souligner l’aspect inévitablement lacunaire et partial de ces deux pratiques. Georges Banu (2017) notait en ce sens qu’« au théâtre, la conservation correcte – comme dans la vie – est impossible, mais, justement, c’est parce qu’on ne peut y parvenir qu’il faut s’y essayer » (8). 

Pour sa part, Assaf (2024) argue que « l’histoire du théâtre au sens strict du terme est impossible, puisque l’élément principal du phénomène théâtral, la représentation, est essentiellement éphémère » (7). Pour autant, il entreprend dans ses ouvrages l’écriture d’une « non-histoire » du théâtre qui désavoue l’universalité présumée de son histoire, réduite « au modèle européen que le XIXe siècle a généralisé » (8), dénigrant ainsi non seulement les pratiques performatives des mondes arabe et asiatique mais aussi celles du Moyen-âge et du baroque européens. Partant, Assaf s’attèle à la tâche de décrire et relire toute œuvre théâtrale dont la trace nous est parvenue en tenant compte, autant que faire se peut, des « nécessités de la scène » et du cadre socioculturel où cette œuvre a vu le jour et été reçue (2024, 14). Il veille de même, dans son panorama historique du théâtre mondial, à réhabiliter la place du « théâtre dans le monde musulman » (2009, 165-235).

Sans afficher de programme spécifique aux archives théâtrales, l’Institut de Théâtre Arabe (al-Hayʾa al-ʿarabiyya lil-masraḥ, 2025) inclut, quant à lui, au nombre de ses objectifs « la documentation de la culture théâtrale dans le monde arabe » et s’emploie depuis 2009 à publier des facsimilés de documents historiques, des précis d’histoire du théâtre, des études de cas et biographies, ainsi que des historiographies des théâtres de dix-huit pays arabes. 

Parallèlement à leur fonction patrimoniale, les usages des archives des arts du spectacle sont susceptibles de corroborer ou de révoquer les histoires conventionnelles des théâtres arabes. D’ailleurs, les archives sont souvent elles-mêmes menacées de disparition non seulement à cause de la négligence et de la revendication de l’éphémère de la part des artistes mais aussi du fait de politiques d’occultation et de suppression. La décision de conserver et de mettre en lumière une expérience au détriment d’une autre émane souvent des exigences et des spécificités des politiques culturelles prédominantes à une époque donnée. La convocation des archives dans ces contextes permet de documenter des œuvres, des trajectoires et des espaces dont l’existence et la mémoire sont sciemment et systématiquement détruites ou obstruées. C’est ainsi qu’à la faveur de la découverte des archives laissées par François Abou Salem à son ami Amer Khalil – directeur actuel du Théâtre National Palestinien fondé par Abou Salem – que Najla Nakhlé-Cerruti (2025) retrace l’itinéraire de ce dernier, en soulignant son rôle fondamental pour l’émergence et l’établissement du mouvement théâtral en Palestine. 

En somme, nous nous intéressons, dans ce numéro, à l’étude de l’interrelation entre les archives et l’historiographie des théâtres arabes, à la lumière des contextes esthétiques, sociologiques et idéologiques où ont été produits et reçus les arts du spectacle, leurs archives et leurs historiographies. En partant de cas et d’exemples concrets, les contributions aborderont donc essentiellement les rapports entre l’écriture des histoires des arts du spectacle arabes et les archives de ces derniers. 

Axes de recherche (liste non exhaustive)

Chercheurs, historiens et artistes des théâtres arabes sont invités à réfléchir, entre autres, aux questions suivantes :

-       À quel moment et dans quel but cherche-t-on à archiver une expérience théâtrale ?

-       Quel usage font les historiographes des théâtres arabes des archives ? Dans quelle mesure ont-ils dû exhumer, traiter, voire « fabriquer » ces archives (Denizot, 2014, 93) au cours de leur travail ?

-       Comment les archives dévoilent-elles ou expliquent-elles les « oublis » de l’histoire théâtrale ? Quels éclairages apportent ces « oublis » et éventuelles « réminiscences » quant aux contextes artistiques, sociopolitiques, et épistémologiques dont ils résultent ? 

-       Comment l’étude de l’histoire du goût du public et de son évolution peut-elle éclairer les

choix archivistiques ainsi que les choix historiographiques et leurs éventuelles remises en question ultérieures ?

-       Quelles traces persistent, dans les archives, de la matérialité des représentations théâtrales (costumes, décors, etc.) et des techniques de la scène utilisées dans les théâtres arabes ? 

-       Quelle place les archives des arts du spectacle accordent-elles aux lieux du théâtre – espaces, places dans les villes que les arts du spectacle arabes avaient investis avant l’hégémonie du théâtre à l’italienne ?

-       Dans quelle mesure les archives et l’historiographie du théâtre arabe révèlent-elles l’impact majeur des échanges et circulations sur le développement du mouvement théâtral, non seulement entre l’Occident et le monde arabe, mais au sein même du monde arabe (voir par exemple, Trabelsi, 2023) ?

-       Dans quelle mesure la critique locale et régionale des pièces fait-elle partie intégrante des archives, voire supplée-t-elle aux silences de l’historiographie des théâtres arabes ? 

-       Comment la dimension intime que peuvent receler les archives personnelles des artistes témoigne-t-elle des « dispositions » et de l’« habitus » de ces artistes dans le champ du théâtre arabe ? Comment explique-t-elle leurs choix esthétiques et les positions qu’ils ont occupées – ou non – dans leurs carrières ?

-       Comment certaines pièces cherchent-elles à « performer l’archive » des arts du spectacle ou à combler les lacunes des archives et des historiographies des théâtres arabes ? 

Des études de pièces qui mettent en spectacle une vision personnelle de l’histoire des théâtres arabes peuvent également faire l’objet d’une communication. 

Modalités de soumission :

Les chercheurs désireux de soumettre un abstract (en français, anglais ou arabe) sont invités à l’envoyer à l’adresse suivante : regards@usj.edu.lb, avant le 15 novembre 2025.
Le message doit comporter :
• Le résumé (abstract) de l’article (approx. 500 mots).
• Les mots-clés.
• Une notice bio-bibliographique (approx. 100 mots).
• Une bibliographie

Les abstracts seront examinés par le comité de rédaction, et les auteurs recevront une réponse avant le 30 novembre 2025.

La date limite de soumission de l'article final (environ 5000 mots) est prévue pour le 30 janvier 2026.

Comité scientifique

• Hamid Aidouni, PR (Université Abdelmalek Essaadi, Maroc)
• Karl Akiki, MCF (Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban)
• Riccardo Bocco, PR (Graduate Institute of International and Development Studies Genève, IHEID, Suisse)
• Fabien Boully, MCF (Université Paris Nanterre, France)
• André Habib, PR (Université de Montréal, Canada)
• Dalia Mostafa, MCF (University of Manchester, Angleterre)
• José Moure, PR (Université Paris Panthéon Sorbonne – Paris 1, France)
• Jacqueline Nacache, PR (Université de Paris, France)
• Ghada Sayegh, MCF (IESAV, Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban)
• Kirsten Scheid, Associate PR (American University of Beirut, Liban)

Rédacteur en chef :

Joseph Korkmaz, (Professeur - Université Saint-Joseph de Beyrouth - Liban) 

Directrices du dossier thématique : 

• Marianne Noujaim (Professeure – Université Saint-Joseph de Beyrouth, Institut d’Études Scéniques, Audiovisuelles et Cinématographiques – Laboratoire Littératures et Arts)
• Ons Trabesli (Maîtresse de conférences, Université de Lorraine – CERCLE)

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Bibliographie (indicative, non exhaustive)

الحاج علي، ح. (٢٠١٠). تياتر بيروت. بيروت: دار أمار. 

الحكيم، ت.  (١٩٥٦).  المسرح المنوّع، ١٩٢٣-١٩٦٦. الجماميز، مصر: مكتبة الآداب ومطبعتها.

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عساف، ر. (٢٠٠٩). سيرة المسرح. أعلام وأعمال، جدول تاريخي للمسرحيين والمسرحيّات. ٢ القرون الوسطى. بيروت: دار الآداب.

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كريّم، م. (٢٠٠٠). المسرح اللبناني في نصف قرن، ١٩٠٠-١٩٥٠. بيروت: دار المقاصد. 

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