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Raconter autrui : biographies et biofictions

Raconter autrui : biographies et biofictions

Publié le par Alexandre Gefen

*English below

Appel à contributions

Raconter autrui : biographies et biofictions

5-7 mai 2026 

University of Chicago John W. Boyer Center in Paris

41, rue des Grands Moulins, 75013 Paris

Le terme anglais « life writing » recouvre un vaste champ de genres et de pratiques que la tradition française peine à désigner d’un seul mot, allant du journal intime aux biopics cinématographiques. Dans les deux langues, la biographie (biography), malgré l’étymologie, n’est pas un terme équivalent mais désigne en général un genre plus précis, à savoir la relation des événements de la vie d’autrui, envisagée dans sa totalité. Dans le monde anglophone, en particulier, les biographies représentent une part importante et croissante du monde de l’édition, dans la catégorie plus large de la « non-fiction » : récits (autorisés ou non) des vies de célébrités ; biographies d’auteurs ou de personnalités historiques, vies d’individus illustres ou oubliés. Outre les ouvrages plus commerciaux, des formes du biographique investissent également les sciences sociales, non sans soulever des questions de méthodologie et d’échelle : des récits de vie de la microhistoire, centrés sur les gens ordinaires ou marginaux (Maza 2020), aux biographies intellectuelles retraçant la marche des idées (Dosse).

À première vue, les « vies imaginaires » relèvent d’une autre tradition, s’affranchissant des contraintes de la recherche historique et de la vérification factuelle pour laisser libre cours à l’imagination – que ce soit pour réinventer des personnages historiques réels ou pour donner vie à des figures inventées. Cependant, les « contaminations » (Schabert 1982) ou les hybridations du fictionnel et du factuel prolifèrent. Pratique expérimentale lorsqu’elle est nommée biofiction par Alain Buisine en 1991, l’écriture de fictions biographiques est devenue une mode littéraire pléthorique en France et un genre mondial. Par-delà les exemples connus de Roberto Bolaño, de José Saramago, de Joyce Carol Oates ou de Pierre Michon, la biofiction se déploie aujourd’hui dans des territoires variés, où des voix originales réinventent les frontières entre histoire et invention. L’Argentin Patricio Pron explore la mémoire politique de son pays à travers des récits qui hésitent entre enquête biographique et reconstruction imaginaire, révélant les trous de l’histoire officielle. En Belgique, Koen Peeters met en scène des vies d’artistes ou de chercheurs pour réfléchir au « bon angle » d’approche et à la part de vérité que l’écriture peut restituer. L’Australienne Kelly Gardiner redonne chair à des héroïnes historiques comme Mademoiselle de Maupin, interrogeant la représentation du genre et de la sexualité à travers la fiction biographique. La romancière irlandaise Maggie O’Farrell redonne vie à Agnes Hathaway, l’épouse de Shakespeare (Hamnet), ou à Lucrezia de’ Medici (The Marriage Portrait). Aux États-Unis, Bárbara Mujica privilégie une « vérité symbolique » plutôt qu’archivistique dans ses portraits de figures féminines (Frida Kahlo, Dolores del Río), pour souligner la force critique des récits de vie imaginés. La Britannique Susan Sellers, dans son Vita & Virginia, joue sur le « playgiarism » et la réécriture ironique des sources, questionnant l’éthique de la reprise biographique. Le Trinidadien Anthony Joseph fait dialoguer biofiction et mémoire musicale dans Kitch, qui retrace la trajectoire du calypsonien Lord Kitchener, entre histoire diasporique et mythe culturel, tandis que des écrivaines comme Naomi J. Miller (Imperfect Alchemist, 2020) ont proposé une réinvention fictionnelle de figures oubliées comme Mary Sidney, alchimiste et poète, pour valoriser des héritages féminins effacés ou éclipsés. Ensemble, ces œuvres illustrent combien la biofiction, loin d’être un genre confidentiel, constitue un espace d’expérimentation transnational, où se négocient enjeux de mémoire, d’éthique et de formes narratives.

Si les définitions restent flottantes et les débats nombreux (une biofiction ne peut-elle que porter sur un personnage historique célèbre ? Doit-elle raconter tout un parcours de vie ? Peut-elle se croiser avec l’autofiction et mettre en scène l’auteur autant que le sujet de la biographie ?), le genre recouvre désormais des interrogations variées, de méditations métaphysiques sur l’existence et les possibles à des problématiques politiques concrètes centrées sur la question de la visibilité et de l’attention. Ses enjeux pour la théorie littéraire restent majeurs à l’heure où la vérité semble fragilisée : la biofiction, en brouillant parfois les frontières entre récit factuel et invention littéraire, pose avec acuité les grandes questions théoriques héritées des débats de la fin du XXᵉ siècle sur le partage entre histoire et fiction. Genre hybride par excellence, elle associe documents, traces et figures historiques à des procédés romanesques tels que la focalisation interne, les voix fictives ou l’usage de faux documents, produisant un contrat de lecture instable entre vérité et invention. Elle prolonge ainsi les interrogations de Dorrit Cohn (1999) sur la capacité unique de la fiction à représenter la vie intérieure, tout en rappelant, à la suite de Hayden White, que l’histoire elle-même est toujours récit et mise en intrigue. Comme l’autofiction dont il constitue le symétrique, l’écriture à la troisième personne de la vie d’autrui déroule des rapports très complexes à la référence, allant de l'enquête documentaire de non fiction à la fantaisie la plus débridée, en engageant parfois des pactes complexes et instables avec la vérité historique. Elle nous invite au demeurant à nous interroger autant sur les poétiques littéraires et les styles de la biofiction que sur les pratiques historiennes qui, à la suite du courant de la nouvelle histoire, ont parfois recouru à des procédés “littéraires” pour faire revivre des personnages historiques – ne pensons qu’au Léonard et Machiavel de Patrick Boucheron. 

Dans ce contexte, la biofiction ne se réduit plus à une variante postmoderne de la biographie classique, méfiante à l’égard des illusions positivistes. Elle entretient avec la biographie factuelle, avec les modèles romanesques, et avec l’écriture de l’histoire des rapports complexes, que ce colloque se propose d’esquisser. Par-delà les enjeux de partage de territoire, la biofiction et d’autres formes biographoïdes sont centrales dans une réflexion sur l’herméneutique et l’éthique littéraire car elles remplissent une fonction critique : en mêlant faits et imaginaire, elles interrogent les versions officielles de l’histoire et offrent une relecture des figures du passé. On le constate par exemple à la manière dont la figure du biographe est mise en scène et à son discours, parfois très spéculatif sur le bon point de vue à épouser : les biofictions soulèvent des enjeux éthiques dans la représentation des vies d’autrui (respect de la personne réelle et refus du surplomb, fidélité à la vérité, possibilité de faire la biographie d’un non-humain comme un animal, etc.). Le genre implique une quête d’une justesse de point de vue et d’information et questionne en profondeur la question de l’altérité. Le champ biographique devient à la fois un laboratoire critique où se redéfinissent les frontières entre littérature, histoire et mémoire, un espace politique où s’élabore une réécriture des vies oubliées ou marginalisées et un espace éthique où se joue la capacité de la littérature à nous permettre de sortir de nous-mêmes et d’accéder à autrui.

 

Thèmes possibles:

  • biographie, biofiction et écriture de l’histoire

  • enjeux éthiques et politiques de l’écriture des vies d’autrui

  • biographies fictionnelles et biographies factuelles, vies réelles et vies imaginaires

  • vies mémorables, vies minuscules 

  • les récits de vie dans les sciences sociales

  • le personnage du biographe et la question du point de vue biographique

  • le voisinage avec l’essai, les biothéories

  • les genres de la biofiction : vies de peintres, vies de criminels, vies de poètes, etc.

  • les réécritures des vies antiques et de la tradition hagiographique 

  • la question de la sérialité

  • la biofiction comme genre mondial

  • énonciations biographiques directes et indirectes, “hétérobiographies”

  • cas limite de l’énonciation biographique : altérités inaccessibles, autres vivants

Les propositions de communication de 250 mots (en français ou en anglais), ainsi qu’une brève bio-bibliographie, sont à soumettre en ligne via le lien suivant à avant le 1er janvier:

https://forms.gle/2bVQj58udU1kTzqa9 

Les communications dureront 20 minutes. 

Organisation: 

Alexandre Gefen, CNRS/THALIM, alexandre.gefen@cnrs.fr 

Alison James, University of Chicago (asj@uchicago.edu

 

Dates:

Envoi des propositions de communication: 1er janvier 2026

Communication de la décision et retour des expertises: 15 janvier 2026

Date du colloque: 5-7 mai 2026 



Call for Papers

Narrating Others: Biography and Biofiction
May 5–7, 2026

 

University of Chicago John W. Boyer Center in Paris
41, rue des Grands Moulins, 75013 Paris

The English term life writing covers a wide range of genres and practices that the French tradition struggles to capture in a single word, from diaries to cinematic biopics. Biography, despite its etymology, is not an exact equivalent in either language. Instead, it usually refers to a more specific genre: an account of another person’s life considered as a whole. In the English-speaking world especially, biographies form a significant and growing sector of publishing, falling under the broader category of non-fiction: authorized or unauthorized accounts of celebrities’ lives; lives of authors and historical figures; stories of both illustrious and overlooked individuals. Aside from these more commercial works, biographical forms have also taken root in the social sciences, raising methodological questions about scales of analysis—from “microhistories” centered on ordinary or marginal figures (Maza 2020) to intellectual biographies tracing the development of ideas (Dosse).

At first glance, “imaginary lives” seem to belong to another tradition, breaking away from the constraints of historical research and factual verification in order to give free rein to the imagination—whether by reinventing real historical figures or giving life to invented ones. Yet cross-contaminations and hybrid forms of fact and fiction abound (Schabert 1982). First identified as biofiction by Alain Buisine in 1991, biographical fiction has since become both a flourishing literary trend in France and a global genre. Beyond well-known works by Roberto Bolaño, José Saramago, Joyce Carol Oates, or Pierre Michon, biofiction today extends into varied territories, where original voices redraw the boundary between history and invention. The Argentine author Patricio Pron explores his country’s political memory through narratives that waver between biographical investigation and imaginative reconstruction, exposing gaps in the official record. In Belgium, Koen Peeters stages the lives of artists and researchers to reflect on the “right angle” of approach and the degree of truth that writing can convey. The Australian writer Kelly Gardiner resurrects historical heroines such as Mademoiselle de Maupin, investigating gender and sexuality through biographical fiction. The Northern Irish novelist Maggie O’Farrell reimagines Shakespeare’s wife Agnes Hathaway (Hamnet) or Lucrezia de’ Medici (The Marriage Portrait). In the U.S., Bárbara Mujica privileges “symbolic truth” over archival fidelity in her portraits of female figures (Frida Kahlo, Dolores del Río), underlining the critical power of imagined life stories. The British writer Susan Sellers, in Vita & Virginia, engages in “playgiarism” and ironic rewriting of sources, raising ethical questions about biographical re-use. The Trinidadian author Anthony Joseph creates a dialogue between biofiction and musical memory in Kitch, which retraces the calypsonian Lord Kitchener’s trajectory at the intersection of diasporic history and cultural myth. Writers like Naomi J. Miller (Imperfect Alchemist, 2020) have offered fictional reinventions of forgotten figures such as Mary Sidney, an alchemist and poet, reclaiming erased or overshadowed female legacies. Together, these works show that biofiction is far from being a niche genre; rather, it is a transnational space of experimentation where issues of memory, ethics, and narrative form are continually renegotiated.

While definitions remain fluid and debates abundant—must a biofiction necessarily feature a famous historical figure? Must it recount a full life story? Can it intersect with autofiction, staging the author as much as the subject?—the genre now encompasses a varied set of concerns, from metaphysical meditations on existence and possibility to concrete political problems of visibility and attention. Its stakes for literary theory are considerable in an era when the status of truth feels fragile. Sometimes blurring the boundaries between factual narrative and literary invention, biofiction brings into sharp focus the major late-twentieth-century debates on the division between history and fiction. As a quintessentially hybrid form, it combines documents, traces, and historical figures with narrative devices such as internal focalization, fictive voices, or forged documents, creating an unstable reading contract between truth and invention. It thereby extends Dorrit Cohn’s (1999) reflections on fiction’s unique ability to represent inner life, while reminding us, with Hayden White, that history itself is always a matter of narrative and emplotment. Like autofiction—its mirror image—third-person narration of the lives of others entails complex relations to reference, ranging from nonfictional documentary investigation to unbridled fantasy. It sometimes enters into complex and uncertain pacts with historical truth. In any case, it invites us to question not only the literary poetics and styles of biofiction but also historiographical practices that, in the wake of the New History, have themselves sometimes used “literary” techniques to bring historical figures to life—for example Patrick Boucheron’s Léonard et Machiavel.

In this context, biofiction can no longer be reduced to a postmodern variant of traditional biography, one more wary of positivist illusions. Its relationship with factual biography, with novelistic models, and with historical writing is complex, and it is this complexity that this conference aims to explore. Beyond boundary disputes, biofiction and other “biographoid” forms play a central role in reflections on hermeneutics and literary ethics, fulfilling a critical function. By mixing facts and imagination, they interrogate official versions of history and offer new readings of figures from the past. We see this, for example, in the way biofiction often stages the figure of the biographer, as well as in its often highly speculative discourse on the appropriate point of view to adopt. Such works raise ethical issues in representing the lives of others: these include the respect for real people and rejection of an overarching perspective; fidelity to truth; or the possibility of writing the biography of a non-human subject, such as an animal. The genre implies a quest for accuracy of viewpoint and information, and a profound engagement with the question of alterity. The biographical field thus becomes a critical laboratory where the boundaries between literature, history, and memory are redefined; a political space for rewriting forgotten or marginalized lives; and an ethical space, in which literature enacts its capacity to help us step outside ourselves and encounter others.

Possible Topics

  • Biography, biofiction, and the writing of history

  • Ethical and political stakes of writing others’ lives

  • Fictional and factual biographies, real and imaginary lives

  • Memorable lives, small lives

  • Life writing in the social sciences

  • The figure of the biographer and the question of perspective

  • Borderlines with the essay, biotheories

  • Genres of biofiction: lives of painters, criminals, poets, etc.

  • Rewritings of ancient lives and the hagiographic tradition

  • The question of seriality

  • Biofiction as a global genre

  • Direct and indirect biographical enunciation, “heterobiographies”

  • Limit cases of biographical discourse: inaccessible otherness, other living beings

Submission Guidelines

Proposals of 250 words (in French or English), along with a brief bio-bibliography, should be submitted online by January 1, 2026, via the following link:
https://forms.gle/2bVQj58udU1kTzqa9

Papers will be 20 minutes in length.

Organizers:

Alexandre Gefen, CNRS/THALIM – alexandre.gefen@cnrs.fr
Alison James, University of Chicago – asj@uchicago.edu

 

Important Dates

  • Deadline for proposals: January 1, 2026

  • Notification of acceptance and reviewer feedback: January 15, 2026

  • Conference dates: May 5–7, 2026

 

Bibliographie indicative / Selected Bibliography

 

Boldrini, Lucia. Autobiographies of Others: Historical Subjects and Literary Fictions. London: Routledge, 2012.

Boldrini, Lucia, Laura Cernat, Alexandre Gefen and Michael Lackey, eds. The Routledge Companion to Biofiction. London and New York: Routledge, 2025. 

Buisine, Alain. “Biofictions.” Revue des sciences humaines, no. 224, p. 7-13. 

Cohn, Dorrit. The Distinction of Fiction. Baltimore, MD and London: The Johns Hopkins University Press, 1999.

Dosse, François. Le Pari biographique. Écrire une vie. Paris: La Découverte, 2011. 

Gefen, Alexandre. Inventer une vie: la fabrique littéraire de l’individu. Bruxelles: Les Impressions nouvelles, 2015. 

KU Leuven English Literature Research Group. Conference on “Biofiction as World Literature/La biofiction comme littérature mondiale.” Leuven, September 15-18, 2021.

Lackey, Michael. Biofiction: An Introduction. London and New York: Routledge, 2021.

Maza, Sarah. “Biography or Microhistory?” Central European History, vol. 53, no. 1, 2020, p. 213–20. 

Novak, Julia, and Caitríona Ní Dhúill, eds. Imagining Gender in Biographical Fiction. Palgrave Studies in Life Writing. London: Palgrave Macmillan, 2022. 

Rademacher, Virginia Newhall. Derivative Lives: Biofiction, Uncertainty, and Speculative Risk in Contemporary Spanish Narrative. Biofiction Studies. New York and London: Bloomsbury Academic, 2022. 

Schabert, Ina. “Fictional Biography, Factual Biography, and their Contaminations,” Biography, vol. 5, no. 1, 1982, p. 1-16. 

———. In Quest of the Other Person: Fiction as Biography. Tübingen: Francke, 1990.