
Périodisations historiques et synchronies imaginaires
1er colloque de l’ANR PASSIM
12-13 mars 2026, Université d’Artois, Arras
Coordonné par Anne Besson et Justine Breton
Date limite de réception des propositions : 16 novembre 2025
Le colloque « Périodisations historiques et synchronies imaginaires » est organisé dans le cadre de l’ANR PASSIM (Passés imaginaires : représentations littéraires et médiatiques des périodes historiques dans les fictions populaires contemporaines) et marque le lancement d’une réflexion transversale sur les imaginaires historiques des quatre grandes périodes de l’histoire telles que représentées et façonnées dans la littérature de genre, les jeux, les séries télévisées ou le cinéma, les cultures numériques, etc.
En effet, les images que nous nous faisons aujourd’hui des périodes historiques (leur « imaginaire », dans le sens large de système de représentations telles que les envisage Stuart Hall par exemple, et celui plus spécifique d’imagination non réaliste) sont configurées par des fictions, narrées et/ou pratiquées, prétendant plus ou moins au réalisme, mais relevant chaque fois d’une construction du passé, dans le sens défini par Gil Bartholeyns (2010). Uchronies, fantasy historique et autres récits placés dans un « avant » réinventé servent de supports narratifs « esthétiques et dramatiques », de mondes où se projeter pour se raconter des histoires, à notre présent baigné de fictions. Le projet PASSIM vise à identifier, décrire et interroger les imaginaires historiques associés aux grandes périodes, et ce premier colloque, plus spécifiquement, à interroger pour commencer cette périodisation elle-même, tant ses porosités méritent d’être approfondies. Quels usages les fictions et genres « chrono-orientés » font-ils (ou non) des découpages historiques institués, qu’il s’agisse des quatre grandes périodes bien sûr, mais aussi de la division par siècle (« Grand siècle », « Siècle des Lumières ») ou encore des époques désignées par des chrononymes (« Renaissance », « Terreur ») ? Ces divers types de périodisation sont-ils investis, subvertis, ignorés, par les fictions historisantes, pourquoi et comment ?
La séparation des quatre grandes périodes historiques, souvent pratique sur le plan scientifique mais nécessairement arbitraire (Le Goff), là où des transitions progressives mais moins aisées à nommer constitueraient une réalité historique plus avérée, reste une donnée largement consensuelle, transmise notamment par le bagage scolaire. Elle trouve des échos importants jusque dans les imaginaires collectifs : chaque époque, dans son nom même, convoque un imaginaire précis, parfois paradoxal mais aisément reconnaissable. L’on associe un certain nombre d’idées, de valeurs, mais aussi d’images, de couleurs et de sonorités à chaque moment de l’histoire, en partie variables en fonction des aires géographiques (Breton et Tuaillon Demésy). L’Antiquité sera ainsi rayonnante, le Moyen Âge violent, la Renaissance glorieuse, etc. Depuis près de vingt ans maintenant, des travaux ponctuels interrogent cependant la pertinence de ces chrononymes traditionnels ainsi que leurs implications sur le plan scientifique comme auprès du grand public (Bacot et al. ; Kalifa). Si l’expression « Moyen Âge » est par exemple connotée négativement dès son apparition sous la plume des intellectuels de l’époque moderne, elle est toutefois loin d’être la seule à véhiculer un bagage idéologique, parfois variable selon les périodes et les aires culturelles (Palmer). L’adjectif « classique » apparait ainsi particulièrement riche dans ses usages historiographiques.
Cet appel invite à interroger la manière dont les productions à destination du grand public, qu’il s’agisse de littérature, de cinéma, de musique, de jeux vidéo ou encore de publicités, entretiennent et renforcent ces imaginaires, mais aussi dont elles façonnent une vision de « moments historiques » ne coïncidant que partiellement avec la périodisation et les chrononymes institués.
Deux tendances semblent en effet coexister, dont il conviendra de démêler les méandres, et qui correspondent plus globalement au fonctionnement du cliché ou du stéréotype dans les genres populaires en régime médiatique : d’une part une concrétion d’images toutes faites, très largement partagées, associant par exemple des « grandes figures » à un contexte historique qu’elles seraient chargées de résumer (Christophe Colomb pour les « grandes découvertes », Marie-Antoinette et Robespierre pour la Révolution française) ; d’autre part leur mélange, voire leur confusion, dus justement à leur constant réemploi, entraînant un besoin de renouvellement et l’exercice d’une grande créativité dans leurs usages :
- Chevauchements : certains imaginaires historiques redistribuent les tropes associés à différentes périodes en les fusionnant partiellement. Ainsi le péplum, traditionnellement considéré comme référant à l’Antiquité, mêle-t-il en réalité de façon frappante les répertoires de cette période à ceux du Moyen Âge, comme a commencé à le montrer le colloque « Immortel Péplum » (Nîmes, 2025, org. Pauline Ducret, Florian Besson et Romain Millot). À l’autre extrémité du Moyen Âge, sa distinction d’avec la Renaissance (dont la date de naissance est elle-même très variable !) est beaucoup plus poreuse dans l’aire anglophone (Hansen et Wetmore) qu’en Europe, par exemple dans la pratique populaire états-unienne, bien établie, des « Renaissance Fairs », là où la France promeut des fêtes et festivals « médiévaux ».
- Coexistences : plusieurs moments de notre Histoire peuvent aussi exister de manière simultanée dans les fictions du passé, suscitant de nouvelles synchronies. La construction de « mondes secondaires » dans les genres de l’imaginaire amène ainsi souvent leurs créateurs et créatrices à inventer plusieurs continents ou régions qui distribuent géographiquement ce que notre monde a connu de manière chronologique : dans Game of Thrones (d’après les romans de George Martin adaptés en série télévisée, 2011-2019), le continent d’Essos est antiquisant (arènes, pyramides…) tandis que celui de Westeros associe divers imaginaires médiévaux (des vikings pour les îles des Fers-Nés à l’Andalousie arabo-musulmane pour la péninsule de Dorne). Des chocs plus frontaux sont orchestrés, jouant de l’anachronisme pour confronter chevaliers médiévaux et empires galactiques (Les Croisés du cosmos de Poul Anderson, 1960), Cow-boys et Aliens (film de Jon Favreau, 2011), Écosse du XVIIIe siècle et Seconde Guerre mondiale (Outlander, romans de Diane Galaldon, adaptés en série télévisée, 7 saisons depuis 2014), Amazones et Nazis dans Wonder Woman (2017)…
- Homogénéisation : le traitement de la matière historique peut au contraire privilégier la représentation d’un passé large et diffus, où les évolutions et distinctions se trouvent comme aplanies. Une grande part des fictions dites « médiévales-fantastiques » n’entretiennent ainsi avec le Moyen Âge qu’un rapport indirect : elles se situent plutôt dans une ère préindustrielle longue et indéterminée, et cela vaut plus largement pour des mondes de fantasy qui font ressurgir des mythes anciens ou des pratiques folkloriques pensées comme immémoriales au sein de contextes historiques variés. Les fictions « de capes et d’épée », si on s’accordera à les associer plutôt à la Modernité cette fois, recouvrent elles aussi une temporalité vague et syncrétique. Il semble que plus la période considérée soit longue, plus elle se prête aux raccourcis : la préhistoire, mal connue dans ses bornes chronologiques immenses, est particulièrement touchée – voir la coexistence de dinosaures des ères les plus diverses dans un parc « jurassique » bien mal nommé… De même, l’armure de métal fait si profondément partie de l’image du chevalier que son apparition historique tardive (XVe siècle) ne l’empêche pas de vêtir les paladins au fil des siècles du long Moyen Âge.
- Redécoupage : enfin, l’investissement créatif collectif peut prendre le pas sur les divisions héritées de la mémoire historique partagée, et l’accumulation et la fusion des répertoires, dans le cadre contemporain d’une participation active des publics en ligne, aboutir à l’élaboration d’imaginaires temporels alternatifs. Le cas du steampunk, qui explore un XIXe siècle (anglais, mais aussi européen, américain, etc.) doublement bouleversé par une technologie uchronique (vapeur, éther, machine de Babbage…) et une porosité complète au surnaturel, est ici le plus marquant, qui a profondément reconfiguré les frontières et caractéristiques (notamment temporelles) des fictions « néo-victoriennes ». De nombreux sous-genres « punks » (diesel punk, radium punk, atom punk) lui ont emboîté le pas, les nouveaux préfixes renvoyant chaque fois à une technologie ou à une énergie caractérisant un univers passé en découpant une tranche d’histoire associée à un répertoire culturel spécifique (les conflits européens et l’esthétique des années 1920 à 1940, l’Amérique des années 1950…).
Ce colloque propose d’explorer à partir d’exemples variés toute la richesse de ces croisements d’imaginaires temporels, en prenant en compte l’ensemble des périodes et leurs interactions. Les communications retenues auront pour but d’approfondir la réflexion sur les chrononymes et les connotations qu’ils impliquent, mais aussi, à travers les usages reproductifs ou créatifs qu’en tirent les fictions, les régimes de (trans)historicité qui s’y mettent en place.
Les propositions de communication, d’une longueur d’environ 2000 signes, sont à envoyer conjointement à Anne Besson (anne.besson@univ-artois.fr) et Justine Breton (justine.breton@univ-lorraine.fr) pour le 16 novembre 2025 au plus tard.
Bibliographie indicative
Bacot Paul, Douzou Laurent, Honoré Jean-Paul, « Chrononymes. La politisation du temps », Mots. Les langages du Politique, n° 87, 2008, p. 5-12.
Bartholeyns Gil, « Le passé sans l’histoire. Vers une anthropologie culturelle du temps », Itinéraires [En ligne], 2010-3. URL : http://journals.openedition.org/itineraires/1808.
Breton Justine et Tuaillon Demésy Audrey, Les Langues anciennes et leurs imaginaires, Autun, VIII Éditions, 2024.
Hall Stuart, Representation. Cultural Representations and Signifying Practices, Londres, Sage Publications, 1997.
Hansen Adam et Wetmore Kevin J. (dir.), Shakespearean Echoes, Londres, Palgrave Macmillan, 2015.
Kalifa Dominique (dir.), Les noms d’époques. De la « Restauration » à « Années de plomb », Paris, Gallimard, 2020.
Le Goff Jacques, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, Paris, Seuil, 2014.
Palmer Ada, Inventing the Renaissance. Myths of a Golden Age, New York, Apollo, 2025.
Comité scientifique
Anne Besson, Université d’Artois
Fabien Bièvre-Perrin, Université de Lorraine
Justine Breton, Université de Lorraine
Jessy Néau, Université de Poitiers
Sandra Provini, Université de Rouen Normandie