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L'incarnation philosophique. Voix, corps et images de la philosophie (Nice)

L'incarnation philosophique. Voix, corps et images de la philosophie (Nice)

Publié le par Marc Escola (Source : Thomas Morisset)

L’incarnation philosophique

Voix, corps et images de la philosophie

31 mars et 1er avril 2026 , Université Côte d’Azur  
 

Événement organisé par le CRHI  dans le cadre du Festival ProPhilia

S’interroger sur la matérialité de la philosophie signifie généralement porter l’attention sur cette discipline en tant que pratique sociale, en la replaçant dans les dynamiques des rapports socio-économiques matériels (Althusser) ou de son environnement technique (Stiegler), ou encore en étudiant les normes et les idéaux sociaux qui structurent son institutionnalisation et ses transformations historiques par rapport à celles de l’ensemble de la société (Karsenti). 
Au cours de notre journée d’étude, nous souhaiterions plutôt nous intéresser à une autre matérialité, celle du geste philosophique : plus précisément, la matérialité de la voix et des corps de celles et ceux qui philosophent. La pensée philosophique passe par les cordes vocales, se module dans la respiration, effleure les lèvres et se propage dans l'air : cette matérialité, dans son intimité constitutive au sujet philosophant, nous oblige à mettre en cause l’opposition entre esprit et matière. C’est la raison qui nous conduit à parler d’ “incarnation philosophique”

Le problème philosophique de l’incarnation a une riche et longue histoire philosophique. Elle a pu être posée au regard de la question métaphysique de l’union de l’âme et du corps, de celle, plus théologique, de l’Incarnation divine ou encore de celle de l’expérience incarnée, que ce soit par une enquête phénoménologique dans notre manière d’habiter le monde ou par les réflexions de philosophie esthétique sur la puissance d’incarnation des danseurs et des circassiennes. Toutes ces traditions formeront à n’en pas douter l’arrière-fond et le matériau conceptuel de ce colloque qui souhaiterait s’intéresser plus précisément à « l’incarnation philosophique », expression qui peut être entendue en deux sens : la manière dont la philosophie s’incarne et, inversement, la manière dont une dimension incarnée peut ou pourrait modifier la philosophie.

La première est sans doute bien résumée par l’image d’Épinal du philosophe malingre, le dos voûté et les yeux abîmés par la lecture : la philosophie, sans le vouloir ou sans le théoriser explicitement entrainerait un certain nombre d’attitudes et de postures corporelles. Ces attitudes philosophiques rencontrent, croisent, développent ou affrontent celles qui relèvent de notre classe, de notre genre ou acquises par notre histoire personnelle. Michèle Le Dœuff, réfléchissant sur ses années d’étude, a ainsi pu bien montrer comment une femme ne pouvait incarner pleinement la philosophie et quel préjudice cela a pu porter aux étudiantes réelles qui faisait le choix de l’étudier. On voit ainsi que le terme incarnation recouvre un double sens. Le premier fait de l’incarnation une forme d’exercice permettant l’incorporation de la pratique philosophique. L’autre est, en miroir, l’ensemble de conditions normatives qui permet de reconnaitre telle ou telle personne comme portant la voix de la philosophie par l’effet, non seulement d’une maîtrise technique ou de préjugés pré-philosophiques, mais de tout le travail de l’“imaginaire philosophique” (Le Dœuff).  

Réfléchir sur l’incarnation philosophique est ainsi un double travail permettant de mettre au jour ce qui est incorporé dans l’étude de notre discipline et l’image renvoyée par celles et ceux qui, non seulement la pratiquent, mais aussi l’incarnent. Trois directions problématiques apparaissent alors : quelles idées et pratiques font de la philosophie un exercice d’incarnation ? Quel « partage du sensible », pour reprendre l’expression de Jacques Rancière, se joue alors dans la philosophie et dans les modalités actuelles de son apprentissage ? Et quelle influence peut avoir le fait d’aborder réflexivement ces dispositions (qui semblent de prime abord étrangères à la philosophie elle-même) sur le contenu et sur le format de la philosophie ?

Il y a en effet des voix qui se taisent, parce qu’elles ont été réduites au silence au moment où ce qu’elles avaient à offrir a été jugé impropre, ne pouvant s’intégrer comme perspective différente dans la tradition philosophique. C’est ce qui est arrivé à de nombreuses femmes, mais aussi à de nombreux enfants ou travailleurs (Sharp ; Tozzi) : quelles pratiques d'émancipation ont été inventées pour faire resonner à nouveau ces voix ?

Cette question ouvre la voie vers le deuxième sens annoncé : l’incarnation comme source de transformation possible de la philosophie. Il faut bien sûr se garder de penser qu’une telle transformation serait un geste essentiellement contemporain ou émancipateur. La mise en garde de Platon contre l’écriture dans le Phèdre était en un sens une mise en garde contre la désincarnation du savoir que produit le livre et, par-là, contre l’éloignement du maître comme dispositif de contrôle incarné de l’ordre du savoir. Il s’agit alors d’étudier ce qui se joue politiquement et épistémologiquement dans le contact sensible avec le savoir philosophique.

Un premier champ de recherche est l’usage de la philosophie dans des dispositif corporels requérant d’autres usages du corps que ceux traditionnellement associés à l’étude. Parce que ces usages peuvent être mis en place à l’initiative d’artistes spécialistes du corps, de philosophes ou bien d’une collaboration interdisciplinaire, le statut de ces créations, ateliers, performances pose question. Le supplément d’incarnation qu’elle donne est-elle un accessoire permettant à la pensée philosophique de se diffuser ? Ou bien y a-t-il dans cette incarnation quelque chose d’authentiquement philosophique qui en ferait des œuvres philosophiques à part entière et dont le texte ne serait, un peu comme le texte d’une pièce de théâtre, qu’une trace partielle ?

Le concept-clef pour interroger cet aspect nous semble alors être celui de voix. Lorsque Franck Salaün, dans sa préface à la correspondance choisie de Louise d’Epinay, parle de la « voix philosophique » de cette dernière il n’entend pas seulement les idées de celle-ci. Il faut y entendre la négociation singulière entre ces idées et toute l’inscription sociale et sensible, la situation, donc, de ce que représentait être une femme philosophe au XVIIIe siècle et, en même temps, la manière de faire entendre cette singularité dans un monde masculin. La voix philosophique ce n’est ainsi pas que l’oralité, dont il faudrait par ailleurs interroger la place et le pouvoir en philosophie, mais également ce qui, parfois, a besoin d’un certain dispositif d’écriture pour exister en tant que tel. On retrouve alors la question de la matérialité comme format de la philosophie : si faire entendre de nouvelles voix, c’est aussi créer de nouvelles écritures philosophiques, qu’est-ce que cela change à la définition de ce qui constitue une œuvre philosophique ? Si notre discipline a l’habitude de travailler à partir des théories, ce colloque aimerait au fond poser la question : qu’est-ce que cela ferait à la philosophie de travailler la voix autant que les idées ? 


 
Informations pratiques 

Le colloque se tiendra le 31 mars & le 1er avril 2026, durant la deuxième édition du Festival ProPhilia de la diffusion philosophique (https://creates.univ-cotedazur.fr/recherche/projets-de-recherche/prophilia/festival-prophilia).

Les propositions d’interventions sont à envoyer avant le 15 octobre 2025 à Stefania Ferrando (stefania.ferrando[at]univ-cotedazur.fr) et à Thomas Morisset (thomas.morisset[at]univ-cotedazur.fr). Celles-ci comprendront un titre, un résumé d’une longueur comprise entre 400 et 600 mots ainsi qu’une courte notice biographique. Les notifications d’acceptation ou de refus seront envoyées début novembre. 


 
Bibliographie indicative

Louis Althusser, Sur la philosophie, Paris, Gallimard, 1994. 
Anne Boissière, Voix du corps. Philosopher autrement, Paris Hermann, 2025. 
Louise d’Epinay, Amitiés philosophiques, éd. F. Salaün, Paris, Payot, 2023. 
Maughn Rollins Gregory et Megan Jane Laverty (éd.), Ann Margaret Sharp. Aux sources de la philosophie pour enfants Textes et études, Paris, Vrin, 2023. 
Bruno Karsenti, D’une philosophie à l’autre. Les sciences sociales et la politique des Modernes, Paris, Gallimard, 2013. 
Michèle Le Dœuff, L’imaginaire philosophique, Paris, Payot, 1980. 
Vanina Mozziconacci, Apprendre à philosopher en féministe, Paris, La Dispute, 2025. 
Jacques Rancière, Le partage du sensible, Paris, La fabrique, 2000. 
Bernard Stiegler, i, Paris, Mille et une nuits, 2012. 
Michel Tozzi, Nouvelles pratiques philosophiques, Lyon, Chroniques sociales, 2012.