
"À peine l’Italie, la France et le reste du monde ont-ils célébré, il y a trois ans, le centenaire de sa naissance, que nous voici, à Chaminadour, prêts à rendre hommage à Pier Paolo Pasolini (1922-1975) pour rappeler qu’il est mort il y a 50 ans, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975 et que les circonstances exactes de son assassinat n’ont toujours pas été éclairées par la Justice.
Quelques intellectuels, écrivains, avocats, journalistes émettent cependant des hypothèses de plus en plus précises. Mais nous ne parlerons pas seulement de sa mort si emblématique ait-elle été.
Nous tenterons de retracer, avec nos sensibilités diverses, nos générations diverses, nos langages divers, le parcours de ce Prométhée du XXe siècle qui, né poète sous le fascisme, d’un père militaire et d’une mère institutrice catholique, est mort sous les coups de délinquants probablement achetés par des fascistes, terroristes ou au pouvoir.
Il lui aura suffi de moins de trente années pour imposer sa voix de romancier-poète-cinéaste-agitateur des consciences au-delà des frontières d’un pays auquel il vouait amour et haine, et qui le lui rendait bien. Il devenait iconique et indésirable. Sa vocation pédagogique (qui le destinait à être un historien de l’art) a été vite contrariée par un besoin impérieux d’expression artistique et politique, et par des pulsions qui le projetaient hors de tout cadre conventionnel de vie, de création et de réflexion.
Du Frioul de sa jeunesse qui l’a rejeté à la Rome bouillonnante de sa maturité et aux pays du Tiers-Monde, il a été l’un des principaux acteurs de la culture italienne de l’après-guerre, tant dans les librairies, que dans les rédactions de journaux et que sur les écrans. Inclassable catholique non croyant et communiste exclu du Parti, il transfigure le néo-réalisme par ses aspirations mystiques et par un langage que ne connaissaient avant lui ni le roman, ni la poésie, ni le cinéma, ni le journalisme politique ou littéraire.
Une vie violente, Les Cendres de Gramsci, Mamma Roma, Théorème, Les Écrits corsaires, Salò, Pétrole : autant de titres qui firent scandale et révolutionnèrent l’usage de l’art pour changer la société. On se demande souvent : quel est l’héritage de Pasolini ? Nous nous réunissons pour jeter nos lumières et exposer aussi nos doutes sur ce poète du roman, du cinéma, de la politique.
Philosophes, romanciers, acteurs, poètes, chercheurs, traducteurs, cinéphiles, peintres, metteurs en scène, chacun de nous (dont certains l’ont connu de son vivant et ont collaboré avec lui, et d’autres sont nés plusieurs décennies après sa mort) a trouvé, à un moment de sa vie et de sa formation, en lui, un guide, un miroir, un modèle, un contradicteur, un provocateur, un ami-ennemi, un ange-démon, comme il aimait à les représenter dans son Décaméron et dans ses Contes de Canterbury.
Source d’inspiration ou de réflexion, que les cinquante années qui nous séparent de sa mort n’ont jamais tarie.
« Je suis une force du passé », « pauvre comme un chat du Colisée », « la disparition des lucioles », « Adulte ? Jamais… » Tant de formules et de fragments de poèmes sont devenus des slogans dans le cœur de ses lecteurs. Tant d’images de ses films, tant de pages de ses livres ont bouleversé notre connaissance de l’Antiquité, de la sexualité, de la spiritualité, de l’amour filial, du cinéma, de la criminalité, de la perception esthétique, de l’action politique… et même de la chanson.
Ce sont ces bouleversements et ces vibrations dont nous allons tenter d’être les témoins vivants et que chacun de nous espère relayer. Débats, projections, expositions, lectures, spectacles animeront ce dialogue avec une voix qui ne s’est pas éteinte le jour de son assassinat." — René de Ceccatty
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