
Colloque international
ÉCRITURES POTENTIELLES :
L’ORDINAIRE ET L’INFRA-ORDINAIRE
Université de Vigo-Université de la Sorbonne Nouvelle
Directeurs : Hermes Salceda et Alain Schaffner
Vigo : 24-25 avril 2026
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Comité scientifique : Maryline Heck (Université de Tours), Christelle Reggiani (Université de Paris Sorbonne), Christophe Reig (Université de Perpignan), Maxime Decout (Université de Paris-Sorbonne), Éric Beaumatin (Université de la Sorbonne Nouvelle), Marc Lapprand (Université de Vitoria), Carla Figueiras (Université de Vigo), Ricard Ripoll (Université Autonome de Barcelone).
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Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? (Georges Perec, « Approches de quoi » (1973).
En exergue de notre argumentaire cette phrase de Georges Perec, qui n’a cessé d’explorer et les potentialités de l’écriture sous contrainte et les modes d’approche du quotidien, et les intersections entre ces deux domaines, pourrait synthétiquement présenter les objectifs de recherche du colloque que nous proposons.
Créé en 1960 par Raymond Queneau et François le Lionnais, l’Oulipo s’est donné dès sa fondation comme objectif d’explorer les possibles de la langue en vue de créer toute la littérature qu’il serait possible à un être humain d’imaginer, au moyen de contraintes d’écriture.
Les contraintes sont apparues aux oulipiens comme un outil permettant de fusionner les mathématiques et la création verbale. La mise en œuvre qui pouvait découler d’une telle conception paraissait ainsi vouée à l’abstraction de l’art conceptuel. L’Oulipo, ses pratiques, ses réalisations se sont ainsi vues associées à une sorte de conception acrobatique et spectaculaire de la littérature, mais sans véritable emprise sur le monde. Un peu comme si la pratique de l’écriture sous contrainte tenait le réel historique, dans lequel elle s’inscrit cependant, à une certaine distance. Cette image a valu aux oulipiens, à partir du milieu des années 1980, d’assez fortes critiques de la part du groupe dit des Ovnis (Objets Verbaux Non Identifiés), parmi lesquels Jean-Charles Masséra, Olivier Cadiot, Nathalie Quintane. Les oulipiens se sont alors vu reprocher leur distance par rapport au réel, leur manque de discours critique, la neutralité politique qu’ils avaient toujours défendue afin de se prémunir contre les querelles et les déchirements qui avaient caractérisé les groupes des avant-gardes du début du XXè siècle de même que celles des années 1960.
Pourtant, si on y regarde de près, on est en droit de se demander si ces critiques sont vraiment justifiées. La potentialité de l’écriture sous contrainte ne conduirait-elle qu’à édifier des mondes imaginaires ? La mise en œuvre de contraintes d’écriture n’est-elle pas, au contraire, en mesure de faire apparaître un regard différent sur le quotidien, celui précisément que préconisait Perec dans ses injonctions à observer l’ « infraordinaire »[1]? La littérature contemporaine, si préoccupée qu’elle soit de l’enracinement dans la « vie ordinaire », n’est-elle pas en grande partie, comme le montre Maryline Heck dans un livre récent[2], débitrice de la réflexion approfondie sur les contraintes, sur le potentiel et sur l’ « infra-ordinaire » entamée non seulement par Perec mais par l’Oulipo dans son ensemble.
En effet, parmi les oulipiens certains auteurs ont assez vite transposé le principe de l’écriture sous contrainte dans le processus d’écriture même, pour ne citer qu’un exemple très connu, pensons à Jacques Jouet qui ne prend pas seulement le métro pour se déplacer dans la ville, mais aussi pour y composer des poèmes sous des protocoles concrets. Les balades, fameuses, de Jacques Roubaud dans Paris suivent souvent un parcours alphabétique prédéterminé, Anne F. Garréta se proposant dans Pas un jour d’écrire le souvenir d’une aventure de séduction par jour. Songeons encore au monumental projet de Georges Perec, inachevé, Lieux, dont les ébauches ont été récemment publiées qui se donnait comme objectif d’épuiser certains espaces parisiens. Les contraintes viennent alors se greffer sur la vie pour y régler le mode d’approche du quotidien, la place d’où on l’appréhende, le parcours qu’on y suit, le temps qui y est consacré, le mode de narration qu’on adopte. Elles réorganisent l’ensemble des liens entre le visible et le dicible, le regard nouveau porté sur le quotidien faisant surgir de nouvelles formes d’écriture et réciproquement.
L’Oulipo est un groupe essentiellement urbain, qui se déploie à l’internationale, aussi la ville est-elle dans les textes produits par le groupe un important sujet de réflexion. Ainsi, Georges Perec occupe une place particulière chez les architectes-urbanistes ; son œuvre, notamment Espèce d’espaces (1974), apparaît comme un véritable mode d’emploi (est un ouvrage de référence ?) pour les faiseurs de ville. Les oulipiens, depuis les années 1980, sont sollicités pour intervenir directement sur l’espace public, un tournant est marqué dans ce sens par la commande de la Ville de Strasbourg pour laquelle l’Oulipo produisit 96 textes inscrits sur les colonnes Wilmotte entre les stations du tramway. On peut ajouter d’autres exemples tels les textes écrits au frontispice de la Bibliothèque de Saint-Denis. Ainsi de manière, peut-être inattendue, l’écriture sous contrainte se montre particulièrement adaptable au dialogue avec les espaces quotidiens et leurs usagers. Récemment, réécrivant l’ouvrage célèbre d’Italo Calvino Les Villes invisibles en collaboration avec une équipe d’urbanistes, les oulipiens ont dressé un tableau de 55 sujets actuels de débat et en ont fait le moteur narratif d’autant de villes imaginaires regroupées dans un volume sous le titre : Les Villes indivisibles (2024). Il y a là une manière non seulement d’observer le monde environnant mais de réinventer le quotidien, d’anticiper sur ce qui pourrait être l’ordinaire de demain.
Enfin, un dernier pan de nos réflexions pourrait concerner le rapport des archives aux contraintes. Nous savons combien Perec, mais pas seulement, s’est efforcé d’archiver et de classer les traces de sa mémoire et comment nombre de ces traces, papiers, objets, toute sorte de souvenirs, sont devenues des éléments de fiction, une fois passées par des opérations d’écriture sous contrainte. L’archive garde la mémoire de notre quotidien, mais cette mémoire ne resterait-elle pas trop diluée, voire hors d’atteinte une fois traitée à partir de règles algorythmiques, combinatoires, à des opérations rhétoriques diverses ?
Ainsi, l’analyse des rapports des pratiques oulipiennes à la vie quotidienne et aux espaces où elle se déploie pourra nous conduire à revoir l’image courante selon laquelle l’Oulipo ne produirait que des œuvres ludiques repliées sur elles-mêmes dans l’exhibition de leurs formes et de leurs jeux, voire à envisager une lecture plus politique des pratiques littéraires contraintes. Une lecture d’œuvres inspirées par ces pratiques sans toujours revendiquer un lien explicite ou implicite avec l’Oulipo pourra venir à l’appui, pour ne mentionner que deux auteurs songeons aux travaux d’Édouard Levé, ou aux textes de Thomas Clerc.
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Propositions de communication
200-250 mots à envoyer à Alain Schaffner (alain.schaffner@sorbonne-nouvelle.fr) et/ou Hermes Salceda (2001hs@gmail.com)
Publication des actes : le recueil sera proposé aux Presses de la Sorbonne Nouvelle
Calendrier
— 15 octobre 2025 : date butoir pour l’envoi des propositions de communication aux directeurs du colloque.
— 30 octobre 2025 : communication de l’acceptation des communications aux participants.
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Quelques repères bibliographiques
Andrews, Chris, How to do things with forms : the Oulipo and its inventions, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2022.
Baetens, Jan & Schiavetta, Bernardo (dir.), Le goût de la forme en littérature. Écritures et lectures à contraintes, Colloque de Cerisy (2001), Noésis, Formules, 2004.
Bisenius-Penin, Carole, Le Roman oulipien, Paris, L’Harmattan, 2008.
Bisenius-Penin, Carole et Petitjean, André, 50 Ans d'Oulipo : de la contrainte à l’œuvre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
Bloomfield, Camille, Lapprand, Marc & Thomas, Jean-Jacques (dir.), Oulipo@50/L'Oulipo à 50 ans, Les Presses universitaires du Nouveau Monde, Formules, n°16, 2012.
Bloomfield, Camille, Raconter l'Oulipo (1960-2000) : histoire et sociologie d'un groupe, Paris, Honoré Champion, 2017.
Consenstein, Peter, Literary memory, consciousness, and the group Oulipo, Amsterdam, New York, Rodopi, 2002.
De Bary, Cécile & Schaffner Alain (dir.), Formules, n°21, "L'Oulipo et les Savoirs", 2018.
Fournel, Paul, Clefs pour la littérature potentielle, Paris, Denoël, 1972.
Grenouillet, Corinne, Heck, Maryline, James, Alison (dir.), Écrire le quotidien aujourd'hui, Presses universitaires de Rennes « La Licorne », 2024.
Heck, Maryline, Écriture et expérience de la vie ordinaire : Perec, Ernaux, Vasset, Quintane, Paris, La Lettre volée, 2023.
Lapprand, Marc, Poétique de l'Oulipo, Amsterdam, New York, Rodopi, 1998.
Lapprand, Marc, L’œuvre ronde : essai sur Jacques Jouet suivi d'un entretien avec l'auteur, Limoges, Lambert-Lucas, 2007.
Lapprand, Marc, Pourquoi l'Oulipo ?, Québec, Presses de l'université Laval, 2020.
Le Tellier Hervé, Esthétique de l'Oulipo, Paris, Le Castor Astral, 2006.
Moncond’huy, Dominique, Pratiques oulipiennes, Paris, Gallimard, 2004.
Motte, Warren, Oulipo : A Primer of Potential Literature, Lincoln, University of Nebraska Press, 1986.
Raymond, Dominique, Échafaudages, squelettes et patrons de couturière : essai sur la littérature à contraintes au Québec, Montréal, Presses de l'université de Montréal, 2021.
Reggiani, Christelle, L’éternel et l’éphémère : temporalités dans l'œuvre de Georges Perec, Amsterdam, New York, Rodopi, 1994.
Reggiani, Christelle, Poétiques oulipiennes : la contrainte, le style, l’histoire, Genève, Droz, 2014.
Reggiani, Christelle & Schaffner, Alain (dir.), Oulipo mode d’emploi, Paris, Honoré Champion, 2016.
Schiavetta, Bernardo & Thomas Jean-Jacques (dir.), Forme & informe dans la création moderne et contemporaine, Colloque de Cerisy (2008), Noésis, Formules, n°13, 2009.
[1] Georges Perec, L’Infra-ordinaire, Seuil, « La Librairie du XXe siècle », 1989 (textes publiés entre 1973 et 1981). On se référera en particulier au premier « Approches de quoi ? ».
[2] Maryline Heck, Ecriture et expérience de la vie ordinaire, Perec, Ernaux, Vasset, Quintane, Bruxelles, La Lettre Volée, « Les Essais », 2023.