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Marges et contre-voies(x) De la liste au tweet : les micro-textes au sein des écritures scéniques et textuelles contemporaines

Marges et contre-voies(x) De la liste au tweet : les micro-textes au sein des écritures scéniques et textuelles contemporaines

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Plateaux 21)

Ce premier numéro thématique de la revue électronique Plateaux 21 sera consacré aux objets discursifs singuliers parfois présents au sein des écritures scéniques et textuelles contemporaines : la chanson, la liste mais aussi la petite annonce, la notice ou encore le texto, le courriel ou le tweet, par exemple. Autant de stratégies de langage qui, dans une œuvre théâtrale, répondent à différents usages, se situent au croisement de différents champs sémiotiques et relèvent d’expérimentations très diverses mais qui, toujours, ouvrent des voies(voix) de traverse et agissent, en regard des voix principales, comme des « contre-voix ». Il s’agira de s’interroger sur les enjeux poétiques, esthétiques et politiques de ces présences structurantes, bien que parfois discrètes, qui instaurent une hybridité dans le tissu de l’écriture. En effet, les écritures contemporaines, du texte à la scène, forment un vivier étonnant qui n’a de cesse d’agiter les formes. Or, approcher les questions relatives à la composition du drame ou à la poétique de la scène, ce peut être aussi faire le choix d’entrer par la petite porte, la petite forme, la modalité textuelle en apparence mineure, triviale ou marginale, et observer ce qui se produit à son contact.

Les micro-textes : de la structure au contrepoint

Au premier abord ces modalités textuelles semblent ne pas relever de formes structurantes bien établies (tels que le dialogue, le monologue ou encore le chœur), voire ne pas appartenir strictement au champ dramatique ou littéraire comme ces différents tweets dont Merlin se fait le relais dans Eldorado Dancing de Métie Navajo, (tweets à dire, à lire ou à projeter précise une didascalie), ces textos de « la Cinquantaine de téléphones » (en mode vibreur ou silencieux) dans Visions d’Eskandar de Samuel Gallet ou les notes vocales de Sans modération(s) d’Azilys Tanneau. C’est pourtant bel et bien aussi sur ces micro-textes que la scène ou le drame peuvent se régler ou se dérégler. C’est aussi à leur contact que les écritures dramatiques ou scéniques cultivent le contrepoint (la liste des antidépresseurs qui se clôt ironiquement sur une bouteille de Cabernet Sauvignon dans 4.48 Psychose de Sarah Kane, par exemple) et questionnent notre rapport au corps, à l’espace et au temps.

Ces micro-textes ne manquent pas par ailleurs de porter un regard sur notre Histoire : de la liste des blessés de Diaz dans Gênes 2001 de Fausto Paravidino, à celle des victimes du massacre du 17 octobre 1961 à Paris dans Polices ! de Sonia Chiambretto ou encore celle présente dans Le iench d’Eva Doumbia par exemple, aux chansons apportées par les comédiens qui donnent du rythme et traduisent un état particulier des corps dans La Petite Espagne, un spectacle que la chorégraphe Maguy Marin a consacré à l’exil et qu’elle a conçu avec des amateurs dans le quartier de La Petite Espagne, entre Aubervilliers et Saint-Denis. C’est sous leur prisme également, dès lors qu’elles ne fonctionnent pas comme de simples béquilles à l’écriture ou à la représentation, que des catégories usuelles du drame ou de la scène peuvent être revisitées (les chansons motivant une refonte totale de l’espace-temps théâtral dans Road de Jim Cartwright, par exemple ou certaines listes se faisant le relais du dialogue dans Notes de cuisine de Rodrigo Garcia). On pense aussi à la dramaturgie musicale de certains auteurs ou metteurs en scène comme Enzo Cormann, Koffi Kwahulé, Eugène Durif, David Lescot ou encore Alexandre Zeff. Souvent donnent-elles enfin naissance à des espaces phonés singuliers, cela non sans constituer, dans le ludisme et/ou la stupeur, un espace de mise à l’essai et d’expérimentations du dire (la liste de noms de rivières qui termine La Chair de l’homme de Valère Novarina façonnant une sculpture acoustique). 

Hybridation et plasticité : une dramaturgie mosaïque

À l’examen de corpus empruntés à des œuvres variées, nous observerons comment ces modalités textuelles et scéniques, loin de relever seulement de greffes plus ou moins parasitaires, révèlent au contraire dans certaines propositions artistiques, leur étonnante plasticité dramaturgique et discursive. Ce dossier examinera comment ces objets discursifs se fraient un passage dans les écritures dramatiques et scéniques et quels sont, dans les œuvres, leurs principes d’apparition et de circulation mais aussi les régimes énonciatifs qui les sous-tendent. Il rendra ainsi compte des principales directions dramaturgiques de l’incrustation de ces « petites » formes dans le spectacle vivant, que leur convocation réponde à un geste poétique, épique, critique ou encore ludique. De même, il conviendra de décrypter ce que ces stratégies de langage offrent à l’interprétation et à l’expérience perceptive.  

Nous serons attentifs aux aventures de lecture, aux conduites des corps qu’elles engagent, à leurs mises en relation avec l’ensemble des éléments de la représentation, qu’ils soient visuels (notamment dans les cas de textes projetés) ou sonores (en particulier pour la chanson mais souvent également pour la liste), à ce que leur convocation interroge sur les possibilités et les impasses du discours, sur les voies et les détours – voire, retours – de la parole. L’intrusion, le montage et l’hybridation de ces micro-textes révèlent la nature dialogique d’une œuvre. À leur contact, l’écriture se place sous le signe d’une hétérogénéité qui déconstruit la linéarité des discours et qui ouvre des espaces et des temporalités alternatives. Ces différentes formes sont susceptibles de cohabiter dans une même œuvre (comme déjà la liste des noms de papier toilette imaginés pendant une séance de brainstorming dans Par-dessus bord de Michel Vinaver, par exemple, et, dans la même pièce, la petite annonce lue par Passemar grâce à laquelle il espère trouver un nouvel emploi quand le devenir de l’entreprise parait incertain). Parfois elles se combinent, se superposent, voire s’enchaînent (les chansons grivoises faisant place aux slogans et chants racistes que la supportrice crie avec de plus en plus de violence dans Où la chèvre est attachée il faut qu’elle broute dans la mise en scène de Rebecca Chaillon).


Transferts et circulations : des poétiques du mouvement

Les études ici réunies feront porter l’accent sur les péripéties de l’énonciation et le devenir plateau. Elles prêteront attention aux temps d’arrêt, de suspension et/ou parfois même de résurrections qui accompagnent ces modalités de langage. Elles questionneront les différents facteurs de dispersion qu’elles suscitent – que ce soit à l’échelle d’une réplique, d’un dialogue, d’un monologue ou d’une pièce toute entière. Notre examen pourra aussi porter sur l’ensemble d’une œuvre : par exemple, l’attention portée à la liste dans le théâtre de Sylvain Levey (de Alice pour le moment à Cent culottes et sans papiers en passant par Costa le Rouge ou encore Gros) ou l’inclinaison pour la chanson dans le théâtre de Fabrice Melquiot (notamment Kids, Tarzan Boy, Autour de ma pierre il ne fera pas nuit, Quand j’étais Charles, Alice et autres merveilles…). Certaines de ces formes – à commencer bien sûr par la chanson – nous renvoient par ailleurs à la tentation musicale et/ou à divers procédés de choralité (le tweet, par exemple, assurant souvent la fonction d’un chœur, fut-il diffracté) mais aussi à d’autres modèles de représentation comme celui d’internet (la notice, le texto, l’e-mail ou la chanson dans Ctrl-x de Pauline Peyrade avec cette femme seule passant la nuit sur Google et Wikipédia, écoutant de la musique et lisant ses messages). Le théâtre jeunesse, qui s’avère être parmi les territoires de prédilection de ces hybridations, ne sera pas exclu de nos investigations : qu’il s’agisse de la chanson (de Yolé tam gué de Nathalie Papin au Petit Poucet ou à Après grand c’est comment ? de Claudine Galea), de la liste ou de l’inventaire (de Petit Pierre de Suzanne Lebeau à Mange-moi de Nathalie Papin) ou du tweet (par exemple, dans Michelle doit-on d’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz de Sylvain Levey).

Examiner les formes de la chanson, de la liste, de la notice, du texto, de l’e-mail ou du tweet comme autant de matériaux tout à fait capables d’ébranler les structures et les discours, c’est aussi être sensible à l’endroit où ils ont été prélevés : dans des œuvres artistiques ou dans des journaux mais aussi, comme pour Simon Stephens avec sa pièce Pornographie, sur le net (nous pensons ici à la liste des victimes d’un attentat trouvé sur internet, alors qu’il rédigeait sa pièce en réaction à cet événement). Ce peut être encore être attentif aux multiples circulations qu’ils ont pu emprunter (dans Des expériences de Philippe Quesne, la liste qui défilait pendant le spectacle avait d’abord été proposée aux comédiens pendant les répétitions pour qu’ils réagissent à elle). Ces formes, par ailleurs, ne manquent pas non seulement d’enrichir notre approche des espaces phonés (les listes et autres énumérations chez Valère Novarina ne peuvent que nous en convaincre) mais aussi de rendre saillantes des persistances rétiniennes (bien des listes, de Patrick Kermann à Sarah Kane en passant par Philippe Malone ou Sonia Chiambretto, se donnent à voir sur l’espace même de la page). Elles viennent enfin, pour certaines, approfondir les interactions que l’écriture (textuelle ou scénique) entretient avec les autres arts : la littérature et la musique (en particulier pour la chanson), mais aussi les arts visuels (la colonisation de la liste dans les écritures et sur les scènes contemporaines n’étant ainsi pas sans rapport avec les démarches d’accumulation et la promotion des séries dans l’art) et la culture numérique où ces différentes modalités textuelles prolifèrent et sont exacerbées (et dont, formellement, les écritures dramatiques ou scéniques en retiennent, notamment, les principes de contingence, de discontinuité, d’accumulation, de simultanéité ou de non hiérarchisation comme dans Mondes d’Alexandra Badea ou Projet Grèce de Lisiane Durand).

Chansons, listes, petites annonces, notices, publications sur les réseaux et autres messages laissés sur des téléphones, aussi spécifiques soient ces modalités du dire, elles ne sont pas en effet étrangères les unes aux autres, notamment dans les relations qu’elles entretiennent avec l’exogène, la fragmentation, l’intrusion, l’écart, la diffraction, le dysfonctionnement, la distanciation ou encore l’interlude. De quelles façons ces stratégies de langage, mineures ou minorées, paraissant de prime abord marginales, investissent-elles les scènes contemporaines ? Qui parle avec elles ? Quelle voix tracent-elles à un second degré ? Que donnent-elles à dire, à entendre mais aussi à voir ? À quelles dynamiques d’intégration et de mises en relation obéissent-elles ? Tels sont les questionnements qui occuperont ce dossier.

 

 

Modalités de participation : 

Les propositions de contributions (500 mots) accompagnées d’une notice bio-bibliographique et du contact sont à envoyer avant le 30 septembre 2025 à Sandrine Le Pors et à Pénélope Dechaufour : plateaux21@univ-montp3.fr. Les auteurs et autrices dont la proposition aura été sélectionnée auront jusqu’au 30 janvier 2026 pour envoyer une première version complète de leur article (35.000 signes). Le dossier paraîtra au printemps 2026. 

 

Bibliographie (non exhaustive) : 

BOST Bernadette, « Listes et inventaires dans les textes dramatiques contemporains, faillite ou relance de la théâtralité ? », « L’Avenir d’une crise », actes du colloque réunis par Joseph Danan et Jean-Pierre Ryngaert, Études Théâtrales n°24-25, Louvain-la-Neuve, 2002. 

CUREL, Agnès, FRANCOIS-DENEVE, Corinne et TOUSSAINT, Floriane, dir., « Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines », Thaêtre, Chantier #9, mis en ligne le 15 janvier 2025.

CAILLON, Ulysse, « Playback, karaoké, sampling : recyclages musicaux pop sur la scène contemporaine » in BOURGEOIS, Guillaume, LENAY, Alice, JAILLOUX, Pierre et VALERO, Julie (dir.), « Attention, machine ! Pratiques artistiques et recyclages médiatiques », Acta Litt&Arts [en ligne], mise en ligne le 9 nov. 2021.

DANAN, Joseph, NAUGRETTE, Catherine (dir.), « Nouveaux matériaux du théâtre », Registres, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2018. 

GUAY, Hervé, « Vers un dialogisme hétéromorphe », Tangence, n° 88, 21 avril 2009.

HIRSCHI, Stéphane, Chanson, l’art de fixer l’air du temps, Les belles Lettres, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2008.

KLOTZ, Volker, Forme fermée et forme ouverte dans le théâtre européen, trad. Claude Maillard, Belval, Circé, 2005.

LE PORS, Sandrine, « Que souffle la liste sur son passage ? Enumérations et effets de listage dans les écritures théâtrales pour la jeunesse », in Théâtre d’enfance et de jeunesse de l’hybridité à l’hybridation, dir. De Peretti (Isabelle) et Ferrier (Béatrice), Arras, Artois Presses Université, 2016.

LE PORS, Sandrine. « Le texte théâtral contemporain et la chanson », in Les interactions entre musique et théâtre, dir. Freixe (Guy), et Porot (Bertrand), Montpellier, L’Entretemps, 2011. 

MILCENT-LAWSON, Sophie, LECOLLE, Michelle, MICHEL, Raymond, dir., Liste et effet liste en littérature, Paris, Classiques Garnier, 2013.

MONTANDON, Alain, “Formes brèves et microrécits”, Les Cahiers de Framespa [Online], 14 | 2013, Online since 06 March 2016, connection on 01 July 2025.