
Regards croisés sur l’ekphrasis musicale (musicologues et littéraires) : L’ekphrasis musicale, une figure pour décrire la musique dans la critique musicale et dans la littérature d’expression française (1815-1939) (Lyon)
Regards croisés sur l’ekphrasis musicale (musicologues et littéraires) : L’ekphrasis musicale, une figure pour décrire la musique dans la critique musicale et dans la littérature d’expression française (1815-1939)
Journée d'étude transdisciplinaire.
Date : 7 mai 2026
Lieu : Lyon, CNSMD, salle d'Ensemble
La musique pose un défi sémiotique au langage verbal : en tant que système de signification différent, elle doit être transposée en mots pour pouvoir être décrite et parler à l’imagination de celui qui ne l’entend pas directement. Si certains la voient comme ineffable, pour reprendre le célèbre mot de Jankélévitch[1], voire « impuissante à exprimer quoi que ce soit[2] », la sémiotique a largement démontré que les signes musicaux sont bien porteurs d’une signification. Perd-elle ou gagne-t-elle à être verbalisée, traduite en mots ? La question peut paraître oiseuse, puisque le langage reste le seul métalangage possible pour les autres formes d’art. Pour verbaliser la musique, la rhétorique dispose d’une figure, l’ekphrasis, figure de pensée consistant à décrire et / ou narrer la musique. Depuis l’Antiquité, sa définition a fluctué, qui soulignait seulement au départ la nécessité d’une description détaillée pour faire connaître un objet ou un être en le « présentifiant » aux yeux du lecteur – du moins à son imagination[3]. L’ekphrasis faisait alors partie de la rhétorique et témoignait du talent de l’orateur ou de l’écrivain qui la déployait sous les yeux de l’auditeur ou du lecteur. Elle contenait néanmoins en germe la définition qu’elle va prendre au XXe siècle avec le stylisticien Leo Spitzer : « une description poétique d’une œuvre d’art (tableau ou sculpture[4]) ». Appliquée non plus aux arts iconiques mais à la musique, l’ekphrasis musicale partage avec l’ekphrasis visuelle des caractéristiques communes : pas plus que la description d’un tableau, elle ne met réellement sous les yeux du lecteur l’évocation d’une musique ; mais elle crée un texte à la fois descriptif et narratif (la musique étant chronosyntaxique comme le langage verbal) qui multiplie les figures de style – métaphores, hyperboles – et approfondit la recherche lexicale, tout en poursuivant le but d’épuiser son sujet et de rivaliser avec le musicien. Ce morceau de bravoure peut s’inscrire dans un roman, dont il constituera un « beau morceau détachable » (Hamon[5]), et auquel il apportera un éclairage particulier (par des effets de mise en abyme) tout en approfondissant la réflexion sur la différence entre le fonctionnement des différents arts. On trouve ainsi des ekphrasis très soignées chez Huysmans, chez Proust, chez Rolland (voir Gignoux[6]). Elles décrivent des morceaux de musique réels ou fictifs, entendus ou joués par le narrateur ou par un personnage, et projetés vivement à l’esprit du lecteur grâce à une profusion de détails relevant souvent plus de la métaphore que de l’analyse musicale, comme le remarquait F. Sabatier[7].
La musique occupe à l’époque concernée (1815-1939) une part importante dans la vie personnelle et sociale des français[8]. Une fascination réciproque réunit écrivains et musiciens, et plusieurs écrivains écrivent sur la musique, rédigent des biographies de compositeurs par exemple. Si le genre romanesque triomphe encore, son piédestal va vaciller après la seconde guerre mondiale : le roman doit tenir compte du dialogue inter-artistique pour ne pas s’effacer.
En plein essor au XIXe siècle, la presse spécialisée occupe une place de premier plan dans la vie musicale parisienne avec des périodiques hebdomadaires tels que Le Ménestrel (1833-1940), la Revue et Gazette musicale de Paris (1835-1880) ou La France musicale (1837-1870)[9]. De même, les grands journaux politiques de parution quotidienne, tels que Le Journal des débats (1789-1944), Le Constitutionnel (1815-1914), Le Figaro (1826-) ou Le Temps (1861-1942), consacrent régulièrement une partie de leurs colonnes à des comptes rendus détaillés sur l’actualité musicale. Si certains critiques ont bénéficié d’une formation musicale professionnelle, notamment au Conservatoire de Paris, et sont parfois des compositeurs reconnus, à l’instar d’Hector Berlioz[10], Adolphe Adam[11], Ernest Reyer[12], Claude Debussy[13] ou Paul Dukas[14], la majorité des journalistes et musicographes qui écrivent sur la musique sont de formation littéraire. Théophile Gautier en est l’un des plus illustres exemples[15]. Les dizaines de milliers de comptes rendus offerts aux lecteurs francophones depuis la Restauration jusqu’à l’entre-deux-guerres sont le plus souvent écrits dans un style vulgarisateur et évitent soigneusement l’accumulation d’éléments techniques d’analyse musicale. Afin de rendre intelligibles au plus grand nombre les subtilités de l’écriture musicale, Berlioz et Gautier, parmi d’autres, emploient toutes les ressources des figures de style et de la rhétorique, et multiplient les métaphores et hyperboles évocatrices. Ces deux auteurs à la plume virtuose et au romantisme revendiqué se distinguent de musicographes dont l’ambition est de nature plus historique, académique ou scientifique, tels que Fétis, Castil-Blaze et Arthur Pougin, lesquels annoncent par leurs travaux le développement de la musicologie en France au tournant du XXe siècle.
Cette journée d’études souhaite réunir des musicologues et des littéraires autour de la description de l’œuvre musicale. Les regards croisés qui seront les nôtres réuniront deux perspectives différentes et tenteront d’en souligner les points communs. Les musicographes décrivent des morceaux dans un but différent de celui des romanciers. Pourquoi utilisent-ils le même vocabulaire, les mêmes images, alors que le langage de l’analyse musicale leur offrirait une façon plus objective de décrire l’œuvre ? De leur côté, dans quel but les écrivains insèrent-ils des descriptions d’œuvres musicales à l’intérieur de leurs romans ? Chez les uns comme chez les autres, comment la musique peut-elle être mise en mots, et la description qui en est faite peut-elle être assimilée à l’œuvre, à une interprétation de l’œuvre, ou bien ne fait-elle que la trahir ?
C’est autour de ces questionnements que nous attendons des propositions de communications (un titre et un résumé de 300 mots au maximum, accompagnés d’une courte notice bio-bibliographique), à envoyer aux adresses suivantes :
anne-claire.gignoux@univ-lyon3.fr
matthieu.cailliez@univ-st-etienne.fr
avant le 30/09/2025
Les candidats recevront une notification avant le 01/12/2025.
Responsables : Matthieu Cailliez, Anne-Claire Gignoux
Gestionnaires administratifs : Nathaly Berthillon et Pauline Sivignon (Marge), Anne-Laure Motkin et Isabelle Furnion (IRHIM)
[1] Vladimir Jankélévitch, La Musique et l’ineffable, Paris, Seuil, 1983.
[2] Igor Strawinsky, Chroniques de ma vie, Paris, Denoël, 1962, p. 63.
[3] Pseudo-Hermogène : « la description est un énoncé qui présente en détail, […] et met sous les yeux avec évidence ce qu’il donne à connaître. On a des descriptions de personnes, de choses ou de faits, de contextes, de lieux, de temps et de bien d’autres choses ». (Progymnasmata, in Corpus rhetoricum, traduction Michel Patillon, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 203)
[4] Leo Spitzer : « the poetic description of a pictorial or sculptural work of art », « chapter V : The “Ode on a Grecian Urn”, or Content vs. Metagrammar », in Essays on English and American Literature, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1962, p. 72.
[5] Philippe Hamon, Philippe Hamon, La Description littéraire, Paris, Macula, 1991, p. 8.
[6] Voir Anne-Claire Gignoux : l’inédit d’habilitation L’ekphrasis musicale – (d)écrire la musique, université Lyon 3, 2025 ; ou bien les articles « Les dérèglements des sens dans les romans fin-de-siècle. L’influence de la musique sur deux personnages névrosés », Captures, vol. 8, n° 1 (mai 2023), dossier « Imaginaires musico-littéraires. Métamorphoses et dérèglements ». En ligne : revuecaptures.org/node/6601/ - « Musique et voix chantée dans « Les grands moments d’un chanteur » de Louis-René des Forêts », Textes et contextes 15-1 | 2020. En ligne : https://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=2640/
[7] François Sabatier, La Musique dans la prose française des Lumières à Marcel Proust, Paris, Fayard, 2004.
[8] Les bornes chronologiques retenues vont ainsi du Congrès de Vienne à la veille de la Seconde guerre mondiale. Les écrits sur la musique de Stendhal peuvent ainsi être considérés comme faisant partie des toutes premières œuvres du corpus étudié.
[9] Voir Katherine Ellis, Music criticism in nineteenth-century France : La Revue et Gazette musicale de Paris, 1834-1880, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Emmanuel Reibel, L’écriture de la critique musicale au temps de Berlioz, Paris, Honoré Champion, 2005.
[10] Hector Berlioz, La Critique musicale, Anne Bongrain, H. Robert Cohen, Marie-Hélène Coudroy-Saghaï, Yves Gérard (éd.), Paris, Buchet/Chastel, puis Société française de musicologie, 1995-2020, 10 vol.
[11] Matthieu Cailliez, « Adolphe Adam, porte-parole de ‟l’école française” de l’opéra-comique. Inventaire et étude synthétique de ses critiques musicales (1833-1856) », in : EVERIST, Mark (éd.), Journal of Music Criticism, vol. 3 : Perspectives on the French Musical Press in the Long Nineteenth Century, Lucques, Centro Studi Opera Omnia Luigi Boccherini, 2019, p. 35-108. En ligne : https://www.luigiboccherini.org/2020/10/24/journal-of-music-criticism-3-2019/
[12] Ernest Reyer, Quarante ans de musique, Paris, Calmann-Lévy, 1910.
[13] Claude Debussy, Monsieur Croche et autres écrits, Paris, Gallimard, 1987.
[14] Paul Dukas, Chroniques musicales sur deux siècles 1892-1932, Paris, Éditions Stock, 1980.
[15] Gautier, Théophile, Œuvres complètes. Section 6. Critique théâtrale. Tomes I-XIX, texte établi, présenté et annoté par Patrick Berthier, Paris, Honoré Champion, 2007-2024.