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Que faire de l’autothéorie ? (Stockholm, en ligne)

Que faire de l’autothéorie ? (Stockholm, en ligne)

Publié le par Marc Escola (Source : Université de Stockholm)

Que faire de l’autothéorie ?

Université de Stockholm (en ligne)

13 février 2026

Ajoutée récemment au vocabulaire de la théorie littéraire (Papillon 2023), l’autothéorie est une notion hybride à la définition instable (Gli Ulldemolins 2023). Décrite par Stacey Young (1997) comme la convergence, dans un même ouvrage, de l’écriture autobiographique et de la réflexion politique, la notion a été reprise par le philosophe espagnol Paul B. Preciado (2008) dans son essai narrant sa transition de genre à la lumière d’une critique de la société contemporaine, puis par l’écrivaine américaine Maggie Nelson (2015), qui a emprunté le terme à Preciado pour décrire son propre mémoire philosophique et théorique, le best-seller The Argonauts. Dans ce livre, elle réfléchit à sa vie intime (relation de couple, grossesse, maternité) à la lumière d’enjeux sociétaux et académiques. Dans une perspective intermédiale, Fournier (2021) étend la définition de ce qu’elle appelle « l’impulsion autothéorique » à tout travail qui mêle un matériau autobiographique à une réflexion non seulement politique, mais aussi sociologique, philosophique ou esthétique. Récemment, la nature hybride, intermédiale, voire iconoclaste de l’autothéorie a été explorée, souvent dans une perspective féministe, dans une série de numéros de revues (Wiegman 2020 ; Fournier/Brostoff 2021 ; Sweeney/Gardiner 2023 ; Baxter/Auburn 2023 ; Mistreanu/Lazar 2025) et d’ouvrages (Brostoff/Coppan 2025 ; Rosier 2025) démontrant l’intérêt croissant pour cette notion dans des domaines tels que la théorie littéraire, les études critiques, les études culturelles ou les études sur le genre.

Mais à quoi sert l’autothéorie, et à quelles fins est-elle créée ou instrumentalisée ? Quels sont, au juste, ses emplois – politiques, esthétiques, cognitifs, personnels, intimes ou académiques ? Un aperçu des productions autothéoriques dans les cultures de langue française suggère une image protéiforme des usages qui peuvent être faits de l’autothéorie. Ceux-ci vont de la conception de l’autothéorie comme une forme de cognition étendue (extended cognition) permettant de mieux comprendre une expérience affective et d’en exploiter le potentiel créatif, comme le fait par exemple l’écrivain québécois Nicholas Dawson (2020), à une forme d’engagement politique, d’affirmation de sa place dans le monde, voire de militantisme rébarbatif contre l’hétéronormativité, qui traverse entre autres l’œuvre de Virginie Despentes, mais aussi celle d’autres autrices et auteurs français·es contemporain·es. Dans les littératures autochtones en plein essor au Québec, l’autothéorie est utilisée depuis les années 1970 pour dénoncer le colonialisme et ses effets néfastes sur la société et le vivant, en s’appuyant sur des épistémologies non occidentales et des genres littéraires où le biographique et le théorique ne sont pas dissociables (cf. Bradette 2024 ; Premat 2024).

En outre, l’autothéorie semble entretenir des liens particulièrement étroits avec l’autofiction, au point que les frontières entre les deux pratiques deviennent parfois poreuses. Tandis que l’autofiction explore les effets de brouillage entre réalité et fiction à partir d’un « je » instable, l’autothéorie engage souvent ce même « je » dans une visée critique, réflexive ou politique explicite. Plusieurs œuvres contemporaines (de Virginie Despentes, Shumona Sinha, Édouard Louis ou Marie Darsigny, par exemple) incarnent des formes narratives hybrides qui relèvent tout autant d’une poétique de soi que d’un geste de pensée situé, questionnant les normes de genre, de santé, de racialisation ou d’héritage colonial. Cette proximité invite à interroger les conditions d’émergence d’une autofiction autothéorique, où le récit de soi se mue en outil de critique sociale, et réciproquement (cf. Volland 2023 ; Zgola 2023). Il s’agira ainsi de penser les circulations entre autofiction et autothéorie : comment ces deux régimes d’écriture s’influencent-ils, se superposent-ils, ou se distinguent-ils dans les pratiques littéraires et artistiques contemporaines ? Qu’est-ce que l’autofiction fait à l’autothéorie – et inversement ? Ces glissements entre autofiction et autothéorie ne sont pas seulement formels ou génériques : ils ouvrent sur une pluralité d’usages concrets, où l’écriture de soi devient à la fois méthode, symptôme, et levier critique.

Réfléchir sur sa propre pratique artistique (Aubry 2021; cf. Savard-Corbeil 2023), bousculer les tabous, dénoncer les injustices épistémiques et affectives, s’engager du côté de la justice sociale, favoriser le développement de la pensée critique chez son lectorat cible, rendre visible et socialement acceptable un corps malade (Delvaux et Bélanger 2022) ou créer, à travers une écriture performative, un espace pour l’expression de symptômes et sentiments qui n’ont pas suffisamment de visibilité (cf. Cvetkovich 2012), critiquer un système économique défaillant, exprimer des sentiments et des émotions dysphoriques tels que la colère, l’angoisse, la frustration ou la tristesse, construire une projection narcissique de soi, élargir la fenêtre d’Overton ou décoloniser une pensée ou une culture (post)coloniale – comme le fait par exemple la production autothéorique autochtone au Québec –, innover et renouveler les pratiques académiques, en utilisant l’autothéorie comme forme et matériau pour écrire un article scientifique (Jahjah 2022) ou comme projet pour un mémoire de licence ou de maîtrise – notamment dans les programmes de recherche – création aux États-Unis et au Canada : les usages de l’autothéorie semblent aussi nombreux que riches en questions et en enjeux. Afin de commencer à identifier, formuler et explorer certains de ces enjeux, ce colloque sera consacré à une réflexion critique sur les usages de l’autothéorie dans les cultures de langue française à l’époque contemporaine.

Modalités de soumission d’une proposition : Les propositions de communication (titre et résumé) ne devront pas dépasser 300 mots et seront accompagnées d’une notice bio-bibliographique d’environ 150 mots. Elles seront envoyées par email au format Word à christophe.premat@su.se et diana.mistreanu21@gmail.com avant le 20 octobre 2025.

Une publication des actes est prévue.

Calendrier :

-date limite de la soumission de la proposition : avant le 20 octobre 2025 ;

-notification d’acceptation : avant le 1er novembre 2025 ;

-date du colloque en ligne : 13 février 2026.

Comité d’organisation :

Diana Mistreanu (Université de Passau) et Christophe Premat (Université de Stockholm)

Ouvrages cités :

Aubry, Gwenaëlle. 2021. Saint Phalle. Monter en enfance. Paris : Stock.

Baxter, Katherine et Cat Auburn. 2023. Arts 1/11-12 special issue « Autotheory in Contemporary Visual Arts Practice ». https://doi.org/10.3390/arts12010011 [10.05.2025].

Bradette, Marie-Ève. 2024. Langue(s) en portage. Résurgence littéraire et langagière dans les écritures autochtones féminines. PUM : Montréal.

Brostoff, Alex et Vilashini Coppan, éds. 2025. Autotheories. Cambridge (MA) : MIT Press.

Cvetkovich, Ann. 2012. Depression. A Public Feeling. Durham : Duke University Press.

Dawson, Nicholas. 2020. Désormais, ma demeure. Montréal : Triptyque.

Delvaux, Jennifer et Martine Bélanger. 2022. Les allongées. Montréal : Héliotrope.

Fournier, Lauren et Alex Brostoff, éds. 2021. ASAP Journal 6/3, « Autotheory ». Baltimore : Johns Hopkins University Press.

Fournier, Lauren. 2021. Autotheory as Feminist Practice in Art, Writing, and Criticism. Cambridge (MA) : MIT Press.

Gil Ulldemolins, Maria. 2023. « Autotheory and Its Others ». https://arthist.net/archive/38297 [10.05.2025].

Jahjah, Marc. 2022. « “T’es intelligent pour un arabe !”. Auto-ethnographie d’un corps colonisé. Une épistémologie du mezzé libanais ». Itinéraires, « Race et discours 2 : Représentations et formes langagières. Formes de savoir, réflexivités, espaces de racialisation ». http://journals.openedition.org/itineraires/11748 [12.05.2025].

Mistreanu, Diana et Andrei Lazar, éds. 2025. Studia Philologia 1/67, « Nouvelles formes et pratiques de l’écriture de soi : l’autothéorie et la transbiographie ». DOI:10.24193/subbphilo.2022.2 [10.03.2025].

Nelson, Maggie. 2015. The Argonauts. Minneapolis : Graywolf Press.

Papillon, Joëlle. 2023. « Autothéorie ». In Emmanuel Bouju, éd. Nouveaux fragments d’un discours théorique. Un lexique littéraire. Québec : Codicille. https://codicille.pubpub.org/pub/papillon-autotheorie/release/1 [10.03.2025].

Preciado, Paul B. 2008.  Testo yonqui. Sexo, drogas y biopolítica.  Barcelona : Anagrama.

Premat, Christophe. 2024. « La littérature autochtone francophone fait désormais partie du paysage culturel, au Québec et dans le monde ». The Conversation 08/08/2024. https://theconversation.com/la-litterature-autochtone-francophone-fait-desormais-partie-du-paysage-culturel-au-quebec-et-dans-le-monde-236014 [10.03.2025].

Rosier, Laurence. 2025. La riposte. Paris : Payot.

Savard-Corbeil, Mathilde. 2023. « L’autothéorie comme forme d’engagement de la littérature contemporaine ». Revue critique de fixxion française contemporaine 27. https://doi.org/10.4000/fixxion.13271 [10.03.2025].

Sweeney, Megan et Judith Kegan Gardiner, éds. 2023. Feminist Studies 2-3/49, « Autotheory/Autoethnography ». Baltimore : Johns Hopkins University Press.

Volland, Hannah. 2023. « L’écriture de soi comme forme de connaissance ». Revue critique de fixxion française contemporaine 27. https://doi.org/10.4000/fixxion.13456 [10.03.2025].

Wiegman, Robyn, éd. 2020. Arizona Quarterly : A Journal of American Literature, Culture, and Theory 76, « Autotheory Theory ». https://doi.org/10.3390/arts12010011 [10.05.2025].

Young, Stacey. 1997. Changing the Wor(l)d : Discourse, Politics, and the Feminist Movement. New York : Routledge.

Zgola, Clara. 2023. « Récits de rupture et du dépassement. Genre, classe et sexualité chez Édouard Louis et Constance Debré ». Revue critique de fixxion française contemporaine 27. https://doi.org/10.4000/fixxion.13161 [10.03.2025].