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(Il)lisibilités de Cendrars : circulations, réceptions, interprétations (Berne)

(Il)lisibilités de Cendrars : circulations, réceptions, interprétations (Berne)

Publié le par Emilien Sermier

(Il)lisibilités de Cendrars :

circulations, réceptions, interprétations  

 

Organisation :

Jehanne Denogent (UNIL), Fabien Dubosson (ALS),

Émilien Sermier (UNIL) & Vincent Yersin (ALS)

 

Université de Lausanne/Archives littéraires suisses (BN, Berne)

23-24 avril 2026

 

Depuis plus de soixante ans, l’œuvre de Blaise Cendrars n’a cessé de révéler sa profondeur et son unité, loin des clichés qui ont longtemps prévalu. Grâce au travail d’exégèse dont elle a été l’objet depuis les années 1970, elle a trouvé sa place – majeure – dans l’histoire littéraire française et internationale. Le Fonds, déposé aux Archives littéraires suisses en 1984, a en outre permis d’avoir une vision d’ensemble du corpus cendrarsien et de publier la plupart des inédits. Ainsi, alors qu’elle était encore « distraitement reconnue » en 1959, l’œuvre a obtenu, en 2013 et 2017, la consécration des quatre volumes de la Pléiade.

Le temps d’un bilan semble donc bienvenu, pour remettre en perspective les « lectures » de Cendrars, non seulement sous l’angle de la cohérence herméneutique de l’œuvre – à laquelle lui-même a contribué autant que la critique (dimension qui mérite d’ailleurs qu’on en fasse l’histoire précise) –, mais aussi sous celui des résistances et des malentendus qu’entraîne forcément sa réception auprès d’un lectorat pluriel et international. « La célébrité d’un artiste ou d’une œuvre d’art est faite de malentendus[1] », affirmait ainsi l’écrivain, pleinement conscient des transformations et déformations qu’entraînent ces lectures diverses – qu’il a souvent cherché lui-même à programmer ou à dérouter. Partant donc d’une vision contrastée de la réception, ce colloque voudrait avant tout répondre à ces questions : comment a-t-on lu Cendrars, et comment pourrons-nous dorénavant le lire, dans des contextes critiques et culturels qui ne cessent d’évoluer ? En quoi cette œuvre, derrière la cohérence qu’on y a décelée depuis plusieurs décennies, réserve-t-elle aussi sa part d’« illisible », ses pans négligés ou occultés, ses significations irréductibles aux approches désormais consacrées ?

Nous pourrons nous demander, d’une part, comment Cendrars a volontairement créé – à la manière de leurres – de l’« illisible » ou du « crypté » dans ses textes, dissimulé des pièges herméneutiques, ménagé de savantes confusions. Il pourra être utile d’interroger les archives elles-mêmes sur ce travail de brouillage et sa « productivité » critique. D’autre part, il s’agira de questionner la lisibilité du corpus cendrarsien à partir de sa réception, à savoir des contextes où il a été lu, et au sein d’espaces éditoriaux, littéraires, sociaux, culturels multivalents. Dans cette perspective, nous insisterons particulièrement sur la circulation de l’œuvre cendrarsienne dans cette « république mondiale des lettres » étudiée par Pascale Casanova : la « littérature mondiale » est aussi « un univers inégal », marqué par les tensions entre centre et périphérie, entre dominants et dominés, et dans lequel les régimes de « lisibilité » varient, entre langues et nationalités concurrentes. Il conviendra donc d’interroger la place de Cendrars dans cet espace asymétrique.

Des poèmes hermétiques de la période avant-gardiste aux secrets de la tétralogie autobiographique, en passant par les écrits liés à des cultures extra-occidentales (Anthologie nègre, Le Brésil), les écritures et les dispositifs mis en place par Cendrars seront donc interrogés sous l’angle diachronique de la multiplicité des lectures et des réévaluations successives de l’œuvre qu’elles ont permises, mais aussi sous celui de l’« illisible », du « crypté », des « mélectures ». Dans ce cadre, plusieurs perspectives de recherche pourront être envisagées :

-       Les rapports entre lisibilité et illisibilité dans l’œuvre cendrarsienne. Quels sont les dispositifs mobilisés par Cendrars pour rendre certains textes « illisibles », pour en empêcher les interprétations univoques, les récupérations, les affiliations ? Quelles continuités, sur ce plan, sont maintenues, par exemple, entre les poèmes les plus hermétiques des années 1910 et la « lisibilité » – sans doute apparente – des romans des années 1920 ? En quoi la tétralogie maintient-elle, elle aussi, – stylistiquement et génériquement –, une part d’illisibilité, ou du moins de « trouble », dans les lectures qu’elle permet ? En quoi l’auto-cryptage participe-t-il aussi de l’esthétique cendrarsienne, selon quels modèles et à quelles fins ?

-       La circulation de l’œuvre au sein de la « république mondiale des lettres ». À l’horizon de la « littérature mondiale », par-delà les liens privilégiés avec certaines zones géographiques déjà bien étudiées (Russie, Amérique et surtout Brésil), où se trouve la place de Cendrars ? Quels sont les points aveugles de sa réception internationale ? Quelles œuvres sont privilégiées dans les traductions, et pour quelles lectures ? À quelles polémiques ont-elles pu donner lieu ? Dans le sillage des travaux comparatistes de Tiphaine Samoyault ou d’Emily Apter, il s’agira donc d’examiner comment cette œuvre « du monde entier » a pu donner lieu à des réceptions contrastées et déterminer quel type d’« écrivain mondial » Cendrars pourrait représenter.

-       La réception contemporaine. Les textes cendrarsiens ne connaissent pas tous la même fortune aujourd’hui. Quels sont les paramètres qui en conditionnent la lecture ? Lesquels sont privilégiés, lesquels connaissent une certaine éclipse ? On peut aussi constater que certaines œuvres suscitent des formes de résistance auprès du lectorat contemporain, sensible aux enjeux sociétaux et politiques actuels. Comment enseigner ces textes en classe (à l’université, à l’école) sans éluder les réactions ou rejets qu’ils peuvent soulever ? On pourra proposer des pistes de réflexion didactiques, mais aussi analyser des usages critiques (qu’ils proviennent d’approches féministes ou décoloniales, par exemple), permettant de complexifier la lecture de son œuvre.

-       Le rapport aux archives. Cendrars, on le sait, a été un lecteur assidu, pouvant intégrer dans ses textes des sources hétéroclites. Le rapport aux sources présente des pratiques souvent divergentes entre la façon dont il est thématisé dans les textes et ce que nous en apprend la réalité des archives. Ce rapport aux sources pourra s’enrichir d’une étude de la bibliothèque de l’auteur présente dans son Fonds, qui témoigne aussi de ses lectures, ainsi que des ouvrages qu’il a, volontairement ou non, ignorés. Enfin, les nombreux livres reçus – et leurs dédicaces – peuvent renseigner sur les lectorats variés de l’auteur.

Ce colloque, organisé conjointement par les Archives littéraires suisses (BN, Berne) et l’Université de Lausanne (Section de français), se tiendra sur deux jours, les 23-24 avril 2026, à la Bibliothèque nationale suisse, à Berne. Il bénéficie du soutien du Centre d’études comparées de l’Université de Lausanne ainsi que du Centre d’Études Blaise Cendrars.

Les interventions pourront prendre la forme de conférences (vingt minutes) et de tables rondes. Les propositions de contribution devront être transmises d’ici le 1er novembre 2025 à l’adresse suivante : colloque2026@cebc-cendrars.ch.

 

Bibliographie indicative :

 Emily Apter, Against World Literature: On the Politics of Untranslability, London/New York, Verso, 2013.

Jan Baetens, Éric Trudel (dir.), « Crises de lisibilité », Fabula-LhT, n° 16, janvier 2016. URL : Crises de lisibilité

Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2008.

Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart (dir.), L’illisibilité en questions, Villeneuve-d’Ascq, PU du Septentrion, 2018.

Nabile Farès, « Blaise Cendrars : la lecture impossible », in Claude Leroy (dir.), Blaise Cendrars et L’Homme foudroyé, PU Paris Nanterre, « Ritm », 2019, p. 129-135. URL : https://books.openedition.org/pupo/18720?lang=fr

Vincent Jouve (dir.), « L’Illisible », La Lecture littéraire, n° 3, 1999.

Claude Leroy, « Cendrars et le tombeau du lecteur inconnu », Littérature, n°27, 1977, p. 35-43. URL : https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1977_num_27_3_1142

Léo Mesguich, « ‘La vie posthume, quoi qu’en en dise, n’est pas un lit de justice !’ : méditations sur les lectures futures par Blaise Cendrars », Colloques Fabula, « Écrire la lecture » (Maxime Decout et Léo Mesguich, dir.), 2025. URL : https://www.fabula.org/colloques/document13752.php

Sylvestre Pidoux, Les Frontières de l’œuvre : Paris, São Paulo, Sacramento : les lieux de Blaise Cendrars (1923-1926), thèse de doctorat sous la direction de Jérôme David et Christine Le Quellec Cottier, Université de Lausanne, 2016.

Maurice Poccachard, Cendrars dans le monde entier… Bibliographie lacunaire des traductions de ses œuvres, AIBC, 2020.

Ricard Ripoll (dir.), Stratégies de l’illisible, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2005.

Éric Robertson, Blaise Cendrars. The invention of Life, Chicago, The University of Chicago Press, 2022.

Tiphaine Samoyault, Traduction et violence, Paris, Seuil, 2020.

Gisèle Sapiro, Qu’est-ce qu’un auteur mondial ?, Paris, Seuil, 2024. 

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[1] Blaise Cendrars, Inédits secrets, Paris, Club français du livre, 1969, p. 289.

Illustration: Robert Doisneau, Portrait de Blaise Cendrars, 1953

  • Adresse :
    Bibliothèque nationale suisse (Berne)