
Appel à communications – Journée d’étude
Extension date-limite: 1er septembre 2025
« Le groupe de la rue Saint-Benoît : repenser la pratique intellectuelle »
9 Janvier 2026
University of London Institute in Paris en partenariat avec l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC)
9-11 rue de Constantine Paris 7007
Le « groupe de la rue Saint-Benoît » renvoie à un groupe d’intellectuels qui se retrouvait régulièrement chez Marguerite Duras rue Saint-Benoît à Paris, de la fin des années quarante jusqu’aux années soixante, à la recherche d’un « communisme de pensée ». Bien qu’ils ne puissent être considérés comme un "groupe" que de manière informelle, leurs écrits et interventions divers offrent un ensemble de propositions sur la pratique intellectuelle communiste dont les implications n’ont pas encore été examinées et décortiquées.
Cette journée d’étude interdisciplinaire propose d’examiner l’importance du groupe et de démontrer les implications de son travail pour la pratique intellectuelle contemporaine.
Le groupe est né des expériences de la guerre de Marguerite Duras, Robert Antelme et Dionys Mascolo, et est devenu un rassemblement régulier d’intellectuels et d’amis dans l’appartement de Marguerite Duras. Edgar Morin, Claude Roy et Maurice Blanchot (qui s’est joint au groupe plus tard dans les années cinquante) étaient des membres clés, et parmi d’autres visiteurs, aux niveaux d’implication variables, on peut citer Maurice Merleau-Ponty, Georges Bataille, Jean Schuster, Jean Duvignaud et Jean-Toussaint Desanti, entre autres. Après avoir rompu avec le PCF au début des années 50, les membres clés du groupe sont restés attachés à un « communisme de pensée » qui s’est exprimé à travers des interventions diverses : des mobilisations anticoloniales pendant les années cinquante (tel que le Comité d’action des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Algérie), le développement d’une politique de refus avec le 14 Juillet (revue anti-Gaulliste publiée en 1958), la Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie (leur intervention le plus célèbre, mieux connue sous le titre du Manifeste des 121), un projet non-réalisé pour une revue internationale et leurs engagements pendant les événements de 1968 dans le Comité d’action étudiants-écrivains.
Les activités du groupe ont été guidées par une approche singulière envers la pratique intellectuelle qu’on peut résumer en renvoyant aux écrits influents de Georges Bataille et Maurice Blanchot sur l’expérience intérieure : l’expérience est une autorité, mais seulement dans le sens qu’elle met en question la notion même de l’autorité.
L’expérience d’Antelme dans les camps de concentrations de Buchenwald et Dachau pendant la guerre a été, dans un certain sens, fondamentale pour le groupe, mais elle a fonctionné comme une sorte d’anti-fondation : Antelme et ses amis ont insisté pour que cette expérience ne se soit pas une base constitutive sur laquelle la pensée et l’action ultérieure trouveraient une autorité stable. Une telle expérience a été l’objet d’une problématisation permanente, qui se reflète dans la thèse de Mascolo sur ses années avec le groupe : « nous ne faisions que poursuivre d’autre façon l’expérience de Robert ». Il s’agit là d’une substance essentielle de leur communisme de pensée : que l’expérience et la pensée coexistent, et non pas que l’expérience soit une autorité rassurante pour la pensée.
Ce mouvement de pensée est évident dans le Manifeste des 121. Les différentes versions archivées du texte, qu’on trouve dans les fonds IMEC, illustrent comment les auteurs ont préféré, au sujet de l’insubordination pendant la guerre en Algérie, le vocabulaire du droit sur celui du devoir. Pour Blanchot, Mascolo et les autres, le langage du devoir est intrinsèquement lié à une source extérieure d’où découle l’autorité. Cependant, pendant la guerre en Algérie, les institutions françaises, y compris de gauche, ont été caractérisées par une absence totale d’autorité morale et intellectuelle. Or, même s’il y avait des sources d’autorité à trouver, la vision de la pratique intellectuelle conçue par le groupe a requis la notion du droit, entendue et mobilisée comme une puissance qui implique une responsabilité collective continue et qui refuse de s’appuyer (comme on ferait avec un devoir) sur les fondations certaines pour la pensée et l’action.
Cette vision du rôle de l’intellectuel offre un contrepoint frappant aux conceptions les plus dominantes de l’engagement intellectuel, dérivées de Sartre, dans la France de l’après-guerre. Sa singularité n’a pas encore été interrogée, et ce faisant, cette journée d’étude propose d’explorer ses implications pour la pratique intellectuelle contemporaine. Le rôle de l’intellectuel a été remis en question à de nombreuses reprises ces dernières années surtout quand il s’agit des évènements coloniaux contemporains. Dans le contexte génocidaire à Gaza, ceux et celles qui prennent la parole pour défendre les Palestiniens ou demander la fin de l’impunité de l’état israélien le font en l’absence d’une autorité morale et intellectuelle de la part des institutions de l’occident. Les défis de la parole intellectuelle aujourd’hui peuvent, peut-être, être mieux compris à la lumière des défis rencontrés par les signataires du Manifeste des 121. En plus de reconstruire l’histoire intellectuelle du groupe, la journée d’étude cherche ainsi à explorer les enjeux contemporains de cette ligne de pensée. Qu’est-ce que penser les injustices contemporaines et les dilemmes intellectuels avec le groupe de la rue Saint-Benoît ? Et quelles sont les limites critiques d’une telle ligne de pensée ?
Les communications pourront s’intéresser aux pistes de recherche suivantes (la liste n’est pas exhaustive) :
· Contextualiser la pensée du groupe de la rue Saint-Benoît par rapport à la philosophie française (e.g. Levinas, Sartre, Derrida, Deleuze, Nancy ou des courants tels que la phénoménologie)
· Examiner les divers influences philosophiques, politiques et littéraires sur le groupe (e.g. Nietzsche, Hölderlin, Saint-Just)
· Critiques de l'intellectuel/défense matérialiste de la pratique intellectuelle par Mascolo/engagement comparatif avec des écrits clés sur le rôle de l'intellectuel (Gramsci, Sartre, Foucault, Deleuze, Said)
· Rapport avec la philosophie anticoloniale (e.g. Fanon, Tran Duc Thao)
· Relations avec les courants intellectuels anticoloniaux et les réseaux militants en France pendant la guerre d'Algérie (Réseau Jeanson, porteurs de valises, Socialisme ou Barbarie)
· Le rôle de l’intellectuel aujourd’hui ; penser les luttes contemporaines avec le groupe.
· Perspectives critiques sur le groupe et leur héritage.
· Analyser les concepts clé du groupe, tels que : expérience, besoin, communisme, politique du refus, l’amitié, l’irréductible, autorité intellectuelle
· La pensée radicale contemporaine/Théorie communiste
· Théorie politique et théorie littéraire
· Étude comparative de membres clés du groupe et études à partir des archives. L’IMEC conserve plusieurs fonds d’archives liés au groupe de la rue Saint-Benoît : Marguerite Duras, Dionys Mascolo, Edgar Morin, Jean Schuster, Jean Duvignaud et Jean-Toussaint Desanti : https://imec-archives.com/
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Les propositions de communication (en français ou en anglais) sont à envoyer à : eugene.brennan@ulip.lon.ac.uk avant le 1er septembre 2025.
Longueur de la proposition : 300 mots
Longueur de communication : 20 minutes
Séance plénière confirmée : Frédéric Neyrat (l’Université de Wisconsin-Madison).