
De l’autre côté de l'Europe. Croisade et guerre anti-turque en Europe orientale entre idéologies, stratégies politico-religieuses et représentations culturelles (XVe-XIXe siècles)
De l’autre côté de l'Europe. Croisade et guerre anti-turque en Europe orientale
entre idéologies, stratégies politico-religieuses et représentations culturelles
(XVe-XIXe siècles)
Revue électronique Histoire culturelle de l’Europe
Dossier dirigé par Giulio Merlani
-Date limite de soumission des propositions de contribution (une dizaine de lignes, dans l’une des langues suivantes : français, anglais, italien, espagnol, allemand) : 25 juillet 2025.
Les propositions seront envoyées à giulio.merlani@uniroma1.it
- Retour aux auteurs fin août.
- Date limite de soumission de la contribution : 1er janvier 2026.
- Les articles seront soumis à une double évaluation anonyme (peer review), confiée aux membres du comité scientifique et du comité de lecture de la revue, et éventuellement à des experts extérieurs.
Retour aux auteurs après expertise anonyme : mars-avril 2026.
- Publication du numéro : juillet 2026.
Au cours des dernières décennies, le phénomène de la croisade a suscité un intérêt significatif de la part de l’historiographie internationale qui – grâce notamment aux débats entre les écoles dites « traditionaliste » et « pluraliste » – a mis en lumière le caractère polymorphe, fonctionnel et persistant du bellum sanctum. En plus d’avoir démontré la longue durée du phénomène, s’étendant bien au-delà de l’époque moderne, les chercheurs ont également souligné sa forte corrélation avec le développement de revendications et de perceptions d’ordre identitaire au sein du monde chrétien, et non seulement catholique. Ce renouveau des logiques, des pratiques et des sensibilités croisées avait été déclenché par la peur et l’antagonisme à l’égard des Ottomans qui, à la fin du Moyen Âge, avaient entraîné le déplacement du traditionnel théâtre de l’affrontement entre monde chrétien et monde islamique du Moyen-Orient vers le contexte complexe désigné de manière générique comme l’Europe orientale.
Ainsi, du XVe au XIXe siècle environ, la zone comprise entre l’Elbe et l’Oural, la Baltique et la mer Égée – un espace marqué par l’entrelacement d’éléments religieux, politiques et culturels divers – avait acquis une centralité évidente dans le phénomène de la croisade, selon des logiques qui conjuguaient des intérêts et des projets à la fois matériels et idéologiques. En effet, les discours et les pratiques de la guerre sainte – déclinés sous une variété de formes, notamment après le tournant marqué par la conquête turque de Constantinople – réapparaissent non seulement au sein d’une chrétienté européenne occidentale de plus en plus divisée, mais se révèlent également vivants et persistants dans les sensibilités et les actions d’une pluralité d’acteurs appartenant à l’autre versant du monde euro-chrétien – l’Europe orientale, de tradition aussi bien latine qu’orthodoxe – en réponse à une série hétérogène de besoins et de revendications fortement ressentis par une réalité concrètement placée au cœur des équilibres précaires entre monde ottoman et monde euro-chrétien.
Au-delà d’être directement influencée par la tradition byzantine et post-byzantine, l’Europe orientale a développé sa physionomie complexe et multiple grâce aussi à son rapport constant et délicat avec les Turcs, ainsi qu’au rôle changeant de rempart de la chrétienté contre l’avancée musulmane, rôle assumé entre autres par les Grecs, les Albanais, les Serbes, les Hongrois, les Polonais, etc. C’est dans ce contexte qu’il faut situer une série significative de ferments, d’actions et de projets de croisade qui – de la fin du Moyen Âge jusqu’aux portes de l’époque contemporaine – ont animé et relié divers acteurs répartis entre la côte dalmate, les Balkans, les régions carpato-danubiennes et les territoires balto-russes, les unissant entre eux, mais aussi avec les cours d’Europe occidentale. C’est précisément cette tendance du phénomène croisé à servir de trait d’union entre les deux parties – occidentale et orientale – du continent européen que l’on souhaite examiner ici, en observant ses multiples déclinaisons (idéologiques, géopolitiques, religieuses, littéraires, etc.).
Explorer ces manifestations hétérogènes du phénomène de la croisade, souvent liées à des logiques instrumentales, nécessite une approche multifocale qui, d’une part, prenne en compte les divers facteurs et dynamiques structurant une réalité mouvante et encore aujourd’hui difficile à définir – justement celle de l’Europe orientale – et, d’autre part, accorde une attention particulière à des conjonctures historiques cruciales, comme la dissolution du Commonwealth byzantin, la guerre de Chypre, la longue guerre austro-turque (Lange Türkenkrieg), les ligues saintes de la fin du XVIIe siècle, ou encore l’intérêt croissant de Moscou pour les territoires balkaniques entre le XVIIe et le XIXe siècle.
Au-delà de la division bien connue entre partisans et adversaires du Turc, la domination et la menace ottomanes avaient suscité une opposition concrète de la part de nombreuses communautés d’Europe de l’Est qui – souvent incitées à la guerre contra infideles par des membres des élites grecques, surtout dans des circonstances favorables comme la bataille de Lépante, les victoires chrétiennes contre la Sublime Porte à la fin du XVIIe siècle, ou encore les conflits russo-turcs – furent à l’origine d’ambassades, d’appels, de projets et de soulèvements à caractère croisé. Parfois, ces expressions du bellum sanctum furent liées aux stratégies et actions anti-ottomanes menées à l’époque moderne par certains princes roumains – tels que Mihai Bravu, Matei Basarab, Vasile Lupu, Constantin Brâncoveanu ou Dimitrie Cantemir – qui surent tirer parti des ferments anti-ottomans des communautés orthodoxes d’Europe orientale, tissant souvent des liens avec les cours catholiques occidentales ou avec celle de Russie.
Moscou, de son côté, avait manifesté un intérêt croissant pour la croisade, perçue par les grands-ducs, puis par les tsars, comme une ressource au service de leurs desseins géopolitiques et idéologiques. La thématique de la confrontation avec l’Empire ottoman avait en outre nourri une intense activité littéraire et culturelle également en Europe orientale, des œuvres d’inspiration byzantine appelant à la libération des Grecs du joug des infidèles jusqu’aux écrits issus du monde slave qui, surtout à partir de la fin du XVIe siècle, confiaient à Moscou la mission de réunir les peuples slaves en renversant la domination ottomane, dans une logique mêlant panslavisme et russophilie.
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