
Adelphités réinventées
Adelphes, sœurs, frères en littérature (XXe-XXIe siècles)
Colloque jeunes chercheur·euses
20-21-22 mai 2026
Laboratoire PLH, Université de Toulouse-Jean Jaurès
Appel à communication
Résumé :
Ce colloque jeunes chercheur·euses portera sur les représentations des adelphités, soit les relations entre frère(s) et sœur(s), dans les littératures des XXe et XXIe siècles. Dans quelle mesure la notion d’adelphité, en littérature, nous invite-t-elle à penser les relations interpersonnelles et intertextuelles comme un réseau égalitaire, fondé sur l’échange et l’influence réciproque ?
Argumentaire :
L’année 2018 a été marquée par deux événements juridico-institutionnels qui ont mis au centre des débats le lien de fraternité entre les individus. Rassemblées dans la lutte contre le « délit de solidarité »1, douze organisations de défense des droits humains et des personnes migrantes ont porté devant le Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité. À l’issue des débats, le Conseil invite désormais « le législateur à intégrer le principe de fraternité dans ses délibérations »2. Cette même année, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes a recommandé d’ouvrir une réflexion sur « l’usage du terme « fraternité » dans la devise de la République, qui exclut les femmes de la communauté politique, à l’instar de ce qu’a récemment fait le Canada en remplaçant « thy sons » (« tes fils ») par « all of us » (« nous tous.te.s ») dans son hymne national ». Les termes inclusifs d’adelphité (forgé sur la racine grecque adelph-, « issus d’une même matrice ») et de solidarité ont été suggérés comme alternatives.3
Si ces deux décisions se situent bien en-deçà des revendications portées par les collectifs de défense des droits des personnes migrantes d’une part, et féministes d’autre part, il n’en demeure pas moins que le lien adelphique, et à travers lui les notions d’inclusion et d’égalité, a trouvé une place au sein du débat public.
En écho à ces réflexions d’ordre éthique et politique, nous souhaitons aborder la notion d’adelphité, entendue comme lien du sang ou comme métaphore, au prisme de la littérature. Ainsi, ce colloque jeunes chercheur·euses s’intéressera aux relations entre frères et sœurs, autrement dit entre adelphes, à travers leurs représentations dans les littératures mondiales des XXe et XXIe siècles. Les réflexions porteront plus précisément sur les dimensions égalitaire et inclusive que cette notion véhicule.
Dans Luttes féministes à travers le monde (2023), F. Benedetti, L. Colin et J. Rousseau définissent l’adelphité comme un terme qui « vise à dépasser les notions de fraternité et de sororité qui peuvent être perçues comme continuant à produire des oppositions et de la différence. Il désigne la solidarité entre tous et toutes — hommes, femmes, personnes non binaires, etc. » De même, dans son essai Les non-frères au pays de l’égalité (2017), Réjane Sénac considère que ce terme condense les idées d’union et de lien sans induire une perspective excluante. C’est donc ce lien, qui repose selon l’historien Didier Lett sur « les relatives ressemblances et égalités de ceux qui se trouvent sur une même ligne générationnelle, sous l’autorité du père » (Lett 2009, p.12), que nous proposons aux intervenant·e·s d’explorer dans le cadre de ce colloque, dans une perspective littéraire.
Tandis que les historiens et les anthropologues des sociétés occidentales ont longtemps privilégié l’étude de la filiation – soit un lien de verticalité – plutôt que celle des relations entre les frères et les sœurs (Fine 2011, Lett 2009), les littératures ont, quant à elles, toujours mis en récit les fratries. Les XXe et XXIe siècles ne font pas exception, et les figures d’adelphes, au sens littéral ou métaphorique, traversent les frontières culturelles, linguistiques et génériques. Des luttes fratricides mythiques (avatars d’Abel et Caïn dans Abel Sánchez de Miguel de Unamuno, les frères Pandava et Kaurava de l’Inde védique réécrits par Karthika Naïr dans Until the Lions) aux relations incestueuses (La Pluie d’été de Duras, Les Météores de Michel Tournier), des réappropriations des fratries ou des sorories des contes populaires (De Délicieux enfants de Flore Vesco, Ti Jean et ses frères de Derek Walcott) aux frères d’armes de la Grande Guerre (À l’ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque, La Chambre des officiers de Degain), les relations adelphiques sont sans cesse reconfigurées et réinventées. Figures du même et de l’autre, les frères et les sœurs incarnent bien volontiers des réflexions sur les liens d’amour (le poème « Oreste » ou le recueil Le Chant de ma sœur de Yannis Ritsos) et de haine (À l’est d’Eden de Steinbeck), sur l’identité et la construction de soi (Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides, Les Bonnes de Genet), ou encore la mémoire familiale (Home de Toni Morrison). Cette relation peut également être un support privilégié pour l’écriture de l’intime (dans le théâtre de Jean-Luc Lagarce), en tant que modèle idéal « à l’aune de laquelle les autres liens se jaugent et se jugent, un lieu privilégié de l’expression des émotions et des sentiments » (Lett 2009, p.11). Enfin, si les siblings aident à maintenir la cohésion familiale et sociale pendant les périodes de chaos ou de tension (Cent Ans de solitude de Gabriel García Márquez) (Dallett Hemphill 2011), la relation adelphique peut également être envisagée comme « un atome relationnel » à partir duquel « se retisse la société » (Godeau 1999 p.16) (Les Guerrillères de Wittig).
Aussi, comment les littératures des XXe et XXIe siècles s’approprient-elles les liens adelphiques ? Comment se disent et se pensent, dans les textes, la multiplicité et la complexité de ces liens ? À l’aune des bouleversements des XXe et XXIe siècles, des conflits armés aux totalitarismes, de la crise climatique mondiale aux résurgences fascistes, la relation d’adelphité, littérale ou métaphorique, peut-elle être envisagée comme un espace littéraire d’égalité, d’émancipation et de résistance ? Au contraire, les liens entre frère(s) et sœur(s) sont-ils marqués par le sceau des injustices, des hiérarchies et des rapports de domination (fondés sur le sexe, la position dans la fratrie, l’héritage matériel et affectif) inhérents aux organisations familiales et sociales dans lesquels ils s’inscrivent et s’écrivent ? Envisagée dans une perspective métapoétique enfin, la notion d’adelphité peut-elle nous permettre de porter un regard neuf sur les relations entre les œuvres et, plus largement, entre leurs auteur·ices ?
Si l’orientation générale de ce colloque est d’abord littéraire, les propositions peuvent tout à fait intégrer une dimension intermédiale (littérature et cinéma, littérature et arts plastiques…). De même, les travaux de recherche-création seront les bienvenus.
Les pistes suivantes pourront orienter les recherches des futur·es participant·es :
Axe 1. Fratrie, sororie, adelphie : les adelphes au prisme du genre.
Nous invitons les participant·es à réfléchir à la manière dont les relations entre adelphes représentées dans les textes sont influencées et façonnées par le genre, à l’échelle des individus ou de la cellule familiale. Les interventions pourront analyser comment l'identité de genre, la position dans la fratrie ou la sororie et les assignations sociales affectent les dynamiques entre les adelphes dans les textes, en mettant en lumière les tensions et les complémentarités des rôles de l’enfance à l’âge adulte. On pourra se demander si les constructions littéraires de ce réseau affectif spécifique constitué par les adelphes tendent à reproduire ou au contraire à brouiller les régimes de genre de la culture dans lequel elles s’inscrivent.
Axe 2. Les adelphités de papier, entre conflit et émancipation.
Comment les temps de crise affectent-ils et redessinent-ils les contours de l’adelphité ? Qu’il s’agisse de crises familiales, de luttes de classe ou des conflits armés qui bouleversent les XXe et XXIe siècles, l’adelphité offre la possibilité de choisir de faire relation avec l’autre autrement afin de s’émanciper des figures d’autorité et de (re)trouver une forme d’égalité. Au contraire, lorsqu’elles sont meurtrières, les adelphités peuvent apparaître comme les relations privilégiées pour représenter les déchirements entre les individus ou les groupes sociaux. Les communications proposées pourront explorer ces thématiques tout en portant une attention particulière à la manière dont ces combats se traduisent dans les textes en prenant en compte les stratégies narratives et stylistiques ainsi que l’ancrage dans le contexte socio-historique et les spécificités génériques (autofiction, théâtre, science-fiction, littérature de jeunesse…).
Axe 3. Adelphités intertextuelles : la réécriture comme geste de « fraternisation ».
La notion d’adelphité pourra également être abordée dans une perspective métapoétique. Les intervenant·es sont invité·es à s’intéresser aux modalités de mise en réseau et en dialogue des textes pouvant constituer de nouvelles adelphies littéraires (entre plusieurs réécritures contemporaines d’une même figure mythique, entre un texte et sa ou ses traductions, entre une œuvre et ses reconfigurations génériques, par exemple). Par ce geste de fraternisation intertextuelle, on pourra se demander dans quelle mesure le sens de chaque texte est construit à la fois par lui-même et en relation.
Axe 4. De la filiation au réseau : pratiques de l’adelphité créatrice.
Les liens d'adelphité à l'échelle des auteur·ices pourront constituer une dernière piste de réflexion. On s’intéressera notamment aux processus de création ou de diffusion des textes qui visent à valoriser la dimension égalitaire entre pairs et à atténuer l’auctorialité (à travers la création de collectifs, par exemple). Ces pratiques influencent-elles la réception des textes par les lecteur·ices ? Contribuent-elles à créer de nouveaux effets de sens ?
Modalités de soumission :
Les doctorant·es ou docteur·es ayant soutenu leur thèse depuis moins de trois ans sont invité·es à décliner leurs propositions de communication sous la forme d’un paragraphe de 300 mots environ, accompagné d’un titre et d’une courte notice bio-bibliographique mentionnant la situation actuelle (en cours de doctorat, post-doctorat, en poste) et l’équipe de rattachement. Elles seront examinées par le comité scientifique.
Les propositions de communication sont à adresser avant le 1er septembre 2025 à l’adresse suivante : adelphites2026@gmail.com
Le colloque se tiendra les 20-21-22 mai 2026 à la Maison de la Recherche de l’Université de Toulouse-Jean Jaurès.
Comité d’organisation :
Alice Béroud (PLH-CRATA, Université de Toulouse-Jean Jaurès) et Hélène Scavone (PLH-ELH, Université de Toulouse-Jean Jaurès)
Comité scientifique :
- Iris Chionne (CRINI, Nantes Université)
- Sylvie Humbert-Mougin (ICD, Université de Tours)
- Guy Larroux (LLA-CREATIS, Université de Toulouse-Jean Jaurès)
- Véronique Léonard-Roques (CRBC, Université de Bretagne Occidentale)
- Julien Roumette (PLH-ELH, Université de Toulouse-Jean Jaurès)
- Valérie Visa (PLH-CRATA, Université de Toulouse-Jean Jaurès)
Bibliographie indicative :
BANNOUR, Wanda, BERTHIER, Philippe (dir.), Eros philadelphe: colloque de Cerisy, Centre culturel international de Cerisy-la Salle, [12-19 juillet 1990], Paris, Éd. du Félin, 1992.
BERNARD, Claudie, MASSOL, Chantal et ROULIN, Jean-Marie, Adelphiques: soeurs et frères dans la littérature française du XIXe siècle, Paris, Éd. Kimé, 2010.
BERTHY-COURTIVRON, Marie-Françoise, POMEL, Fabienne (dir.) Le genre en littérature: les reconfigurations masculin-féminin du Moyen âge à l’extrême contemporain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021.
BOUCHENAFA, Houria, Mon amour, ma soeur: l’imaginaire de l’inceste frère-soeur dans la littérature européenne à la fin du XIXe siècle : essai, Paris, Budapest, 2004.
BRAHAMI, Frédéric, ROYNETTE, Odile (dir.). Fraternité. Regards croisés, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2009.
CAMDESSUS, Brigitte, La fratrie méconnue: liens du sang, liens du coeur, Paris, ESF éditeur, 1998.
COLES, Prophecy, Sibling Relationships, Routledge, 2018.
COYAULT, Sylviane, JÉRUSALEM, Christine et TURIN, Gaspard, Le roman contemporain de la famille, Paris, Lettres modernes Minard, 2015.
FINE, Agnès, « Frères et sœurs en Europe dans la recherche en sciences sociales », Clio. Femmes, Genre, Histoire, Éditions Belin, décembre 2011, p. 167‑181.
GODEAU, Florence, TROUBETZKOY (dir.), Wladimir, Fratries: frères et soeurs dans la littérature et les arts, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Éditions Kimé, 1999.
HEMPHILL, Dallett C., Siblings: Brothers and Sisters in American History, Oxford, Oxford University Press, 2011.
LETT, Didier, Frères et soeurs: histoire d’un lien, Paris, France, Éd. Payot & Rivages, 2009.
LETT, Didier, « L’histoire des frères et des sœurs », Clio. Histoire, femmes et sociétés, vol. 34 / 2, Presses universitaires du Mirail, décembre 2011, p. 182‑202.
MARCHAL, Joëlle, « Fraternité, sororité, adelphité », La chaîne d’union, vol. 101 / 3, Grand Orient de France, 2022, p. 44‑51.
MATHONNET, Paul, « Le délit de solidarité à l’épreuve du principe de fraternité », Plein droit, vol. 118 / 3, GISTI, 2018, p. 41‐44.
MAYNARD, Linda, Brothers in the Great War: Siblings, masculinity and emotions, Manchester University Press, 2021.
PLANTÉ, Christine, « Le genre en littérature : difficultés, fondements et usages d’un concept », in GenERe, (éd.). Épistémologies du genre : Croisements des disciplines, intersections des rapports de domination, éd. GenERe, Lyon, ENS Éditions, 2018, en ligne : https://books.openedition.org/enseditions/9197.
TOMICHE, Anne et ZOBERMAN, Pierre (dir.), Littérature et identités sexuelles, Paris, SFLGC, 2007.
VINCENT, Gérard, PROST, Antoine, DUBY, Georges, ARIÈS, Philippe (dir.), Histoire de la vie privée. Tome 5. De la Première Guerre mondiale à nos jours, Paris, Seuil, 1987.
ZAZZO, René, Les jumeaux, le couple et la personne, 7e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2015.
1« L’expression « délit de solidarité » a été forgée vers la moitié des années quatre-vingt-dix par les associations de défense des droits de l’homme et des migrants, face à la recrudescence de poursuites judiciaires contre des particuliers et des associations ayant aidé des étrangers « sans papiers ». Par la suite, elle est devenue d’usage courant dans la presse et les débats politiques et doctrinaux pour désigner l’infraction pénale prévue à l’article L 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). » DONNARUMMA, Maria Rosaria, « Le « délit de solidarité », un oxymore indéfendable dans un État de droit », Revue française de droit constitutionnel, vol. 117 / 1, Presses Universitaires de France, 2019, p. 45‐58.
2MATHONNET, Paul, « Le délit de solidarité à l’épreuve du principe de fraternité », Plein droit, vol. 118/3, GISTI, 2018, p. 41‐44.
3Haut conseil à l'égalité femmes hommes, « Pour une Constitution garante de l’égalité femmes-hommes », Avis HCE, 2018.