
Séminaire LLA- Créatis : « Fictions de mondes possibles »
Programme de recherche 2025-2026
Aspects politiques dans la science-fiction : langages et cultures
Frédéric Sounac (LLA-Créatis), Yves Iehl (CREG), Jean Nimis (Il Laboratorio)
Appel à communications
Les propositions de communication sont à envoyer avant le 1er octobre 2025.
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Dans la thématique proposée sur les trois « saisons » de 2022 à 2025, le séminaire « Fictions de mondes possibles » s’est attaché à explorer quelques-uns des aspects du politique[1] dans la science-fiction, entre féminismes, particularités civilisationnelles, perspectives pessimistes des dystopies, ou tonalités plus optimistes du « hopepunk » et du « solarpunk », ...
Sans se détacher du terrain d’investigation qu’est le politique, qui est une dimension centrale dans le champ de la « fiction spéculative »[2], le séminaire souhaite réfléchir cette année plus particulièrement sur les langages en action dans les récits mettant en scène des cultures de sociétés « autres ».
Dans cette perspective il s’agit de voir comment apparaissent et s’organisent des éléments linguistiques selon les époques et les œuvres, soit en tant que vecteurs de communication dans les récits, soit en tant qu’éléments stylistiques (par exemple avec l’introduction d’éléments de langage spécifiques, scientifique, humoristique, etc.) dans la poétique d’une œuvre ou d’un auteur.
Comme on le voit déjà avec la « novlangue » du régime totalitaire dans 1984 de George Orwell, ou avec l’usage particulier des néologismes dans Le meilleur des Mondes de Huxley, le langage peut devenir dans les relations sociales un instrument privilégié de pouvoir, destiné à la fois à masquer la véritable nature d’un régime et son mode de gouvernement, et à manipuler esprits et consciences. À l’inverse, la parole peut aussi devenir le vecteur d’une vérité longtemps occultée ou bien un moyen de résistance ou de libération (comme l’idiome de communication féminine qu’est le Làadan dans Langue maternelle[3] de Suzette Haden Elgin).
Cette thématique rejoint aussi l’aspect essentiel, dans le registre de la science-fiction, de la communication avec les multiples formes de l’altérité, souvent non humaines – extra-terrestres, aliens, et autres -, qu’elle met en scène. À cet égard, comme le suggère Frédéric Landragin[4], l’imaginaire science-fictionnel en vient à explorer des voies liées à bien des égards à l’astrolinguistique[5], une discipline tout à fait réelle envisageant la création d’une lingua cosmica, une langue universelle à l’échelle galactique ou intergalactique. On pourra ainsi s’intéresser à l’invention de langages particuliers pour les besoins de la fiction, ce que l’on appelle « idéo-linguistique » ou « conlanging » (phénomène dont les « langues elfiques » élaborées par Tolkien offrent un exemple). Un cas particulier peut être pris en compte dans la dimension musicale, soit s’agissant des bandes-son des films (qui agissent en tant que langage à part entière), soit s’agissant de créations spécifiques, comme celles de groupes musicaux inspirés par la science-fiction (Sun Râ, Magma, Tangerine Dream, Hawkwind), ou celles des séries animées de Shinichirō Watanabe... entre autres références possibles.
Plus généralement, la créativité linguistique des auteurs de fiction spéculative, quel que soit le média retenu, intervient en tant que stimulant de l’imaginaire, le sense of wonder pouvant passer par le langage. Comme l’illustre l’ensemble de l’œuvre de Stanisław Lem, onomastique, néologismes, et jeux de mots, peuvent être des terrains privilégiés d’exploration et d’illustration de cette créativité. L’auteur de Solaris est également remarquable par son sens de l’humour très développé. En lien avec la thématique du langage, le comique, l’humour et l’ironie ne sont pas toujours les aspects les plus saillants du registre de la fiction spéculative, mais l’anthologie de Jacques Goimard, Histoires à rebours (1976), et les récits de Fredric Brown et Robert Sheckley montrent que ces modalités de genre sont bien présentes et méritent d’être prises en considération.
Enfin, dans l’optique de ce que l’on pourrait appeler une « poétique » de la fiction spéculative, il est tout à fait possible de considérer les divers éléments de cette dernière comme un langage à part entière au sein duquel, chez chaque auteur, topoï, motifs et figures sont reconfigurés pour constituer des formes d’expression nouvelles. C’est là encore une voie qu’il sera possible d’explorer, par exemple dans le cadre d’ouvertures stylistiques constituées par des courants comme la New Wave, le cyberpunk, le steampunk, ou l’afrofuturisme.
Il est souhaitable que les œuvres considérées appartiennent à différentes aires, géographiques et linguistiques, et il sera possible de s’appuyer sur un ou plusieurs auteurs, avec prise en compte d’une ou plusieurs œuvres (en particulier dans le cas des récits brefs et des films courts).
En outre, l’esprit du séminaire étant celui de l’ouverture, divers types de récits peuvent être envisagés : romans ou nouvelles, films, séries vidéo et bande-dessinée. Ils pourront être étudiés et questionnés notamment dans des optiques historique, politique ou sociologique, et intégrer les apports possibles de différents domaines (anthropologie, sémiotique, études féministes et postcoloniales, linguistique, etc.), l’approche interdisciplinaire ouvrant ainsi à des réflexions croisées, à la mesure de la diversité des perspectives que proposent lesdites fictions.
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Les propositions de contribution sont à envoyer avant le 1er octobre 2025 aux adresses suivantes : fredericsounac@aol.com, yves.iehl@univ-tlse2.fr, jean.nimis@univ-tlse2.fr
Dates prévues pour les séances du séminaire filé :
Les séances auront lieu à l’Université Toulouse Jean Jaurès le vendredi de 14h à16h, à la Maison de la Recherche (MDR) :
F223 : 17 octobre, 14 novembre
D155 : 12 décembre, 23 janvier, 13 février, 13 mars, 10 avril, 22 mai.
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Récapitulatif des activités du séminaire de 2022 à 2025.
Les communications ont porté sur un arc temporel allant des années 1950 à 2018 et ont mis en lumière diverses thématiques liées à la thématique centrale de l’interrogation et de la mise en scène du politique.
On peut citer, parmi les autrices et auteurs pris en compte en 2022-2023 :
- Alexandre Bogdanov / Wu Ming, Ursula Le Guin, Terry Gilliam, Olivier Ledroit, Michael Anderson, Reinhard Jirgl ;
en 2023-2024, durant le séminaire et au cours de la journée d’études du 31 mai 2024 :
- Philip K. Dick / Isaac Asimov / Gérard Klein, Pierre Boulle, Xavier Mauméjean / Pierre Bordage, Jacques Mucchielli / Léo Henry, Kim S. Robinson, Hayao Miyazaki / Enki Bilal, Liu Cixin / Chen Qiufan / Hao Jingfang / Ernst Lubitsch /Alex Garland, Robert Merle / Amin Maalouf, Françoise d’Eaubonne, ainsi que des interventions autour de : l’économie de l’échange dans les sciences-fictions états-uniennes et soviétiques, le hopepunk et le revival du Magazine Métal Hurlant ;
en 2024-25, durant le séminaire et au cours de la journée d’études du 16 mai 2025 :
- Alain Damasio / William Gibson / Saul Pandelakis / le « hopepunk » (Scotto Moore, Becky Chambers) / James Graham Ballard / Ph. K. Dick / Ernst Jünger / John Wyndham / Ma Boyong / Chan Koonchung.
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Bibliographie indicative (et non-exhaustive)
Essais critiques
Besson, Anne, Les pouvoirs de l’enchantement : usages politiques de la fantasy et de la science-fiction, Paris, Vendémaire, 2021.
Blish, James, Vor, Avon Publications, New York, 1958.
BrÉan, Simon, La Science-fiction en France, théorie et histoire d’une littérature, Paris, Presses Universitaires Paris-Sorbonne, 2012, coll. « Lettres Françaises ».
Chomsky, Noam, Le Langage et la pensée (1968), Petite bibliothèque Payot, 2006
Favard, Florent (dir.), Le récit dans les séries de science-fiction. De Star Trek à X-Files, Paris, Armand Colin, « Cinéma / Arts Visuels », 2018.
Haraway, Donna, Manifeste Cyborg et autres essais (1984), Exils éditions, 2007
Haver, Gianni, Gyger, Patrick J. (dir.), De beaux lendemains ? Histoire, société et politique dans la science-fiction, Lausanne, Antipodes, 2002.
Kyrou, Ariel ; Vincent, Jérôme, Pourquoi lire de la science-fiction et de la fantasy, Paris, Nouvelles éditions ActuSF, 2024.
Lacroix, Isabelle, PrÉmont, Karine, D’Asimov à Star Wars. Représentations politiques dans la science-fiction, Presses de l’Université du Québec, 2016.
Landragin, Frédéric, Comment parler à un alien ? Langage et linguistique dans la science-fiction, Saint Mammès, Le Bélial’ « Parallaxe », 2018.
Langlet, Irène, La science-fiction : lecture et poétique d'un genre littéraire, Armand Colin, 2006.
Quine, Willard van O., Le mot et la chose (Word and Object, 1960), 1977
Ruaud, André-François, Colson, Raphaël, Science-fiction. Les frontières de la modernité, Saint-Laurent-D’Oingt, 2014.
Rumpala, Yannick, « Ce que la science-fiction pourrait apporter à la pensée politique », in Raisons politiques 2010/4 (n° 40), pages 97-113. [https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2010-4-page-97.htm].
–, Hors des décombres du monde. Écologie, science-fiction et éthique du futur, Paris, Champs Vallon, 2018.
Saint-Gelais, Richard, L’Empire du pseudo. Modernités de la science-fiction, Québec, Nota Bene « Littératures », 1999.
Vidéo
Landragin, Frédéric, Cédric Patin. MESHS. (2019, 1 avril). Comment parler à un alien ? La linguistique à l'épreuve de la fiction , in 11e Printemps des SHS (2019) : Et si... Science et fiction. [Vidéo]. Canal-U. [https://doi.org/10.60527/83bv-4n36].
Quelques exemples d’œuvres liées à la thématique proposée :
Banks, Iain M., Effroyabl Ange1 (Feersum Endjinn, 1994), 2013.
Burroughs, William S., Nova Express (Nova Express, 1964), 1970.
Cerutti, Fabien, Terra Humanis, 2023 (livre 2 : « Pax Aeternitam »).
Chiang, Ted, La tour de Babylone (Stories of Your Life and Others, 1990), 2003.
Damasio, Alain, Aucun souvenir assez solide, 2012.
Delany, Samuel Ray, Babel 17 (Babel-17, 1966) 2006.
El-Ghadban, Yara, La danse des flamants roses, 2024.
Elgin, Suzette Haden, Mother Tongue, 1984, non traduit.
El-Mohtar, Amal, Gladstone, Max, Les oiseaux du temps (This is How You lose the Time War, 2019), Mü, 2021.
Goimard, Jacques, Histoires à rebours, 1976.
Hoban, Russell, Enig marcheur (Riddley Walker, 1980), 2012.
Karinthy, Ferenc, Épépé, (Epepe, 1970), 2013.
Le Guin, Ursula, Le Dit d’Aka (The Telling, 2000) 2000.
Lem, Stanislaw, Solaris (Solaris, 1961) 1966 ; La voix du maître (Glos pana, 1968) 1976.
Liu Cixin, Le problème à trois corps (trad. anglaise, The Three-Body Problem, 2014), 2016.
MacLeod, Ian R., Poumon vert (Breathmoss, 2002) 2017.
Messac, Régis, Quinzinzinzili, 1935.
PandÉlakis, Saul, Les hygialogues de Ty Petersen, 2023.
Roch, Michael, Té mawon, 2022.
Russell, Mary Doria, Le moineau de Dieu (The Sparrow, 1996) 1998.
Testa, Philippe, L’obscur (2020).
Tidhar, Lavie, Central station (Central station, 2016) 2024.
–, Aucune terre n’est promise (Unholy Land, 2018), 2021.
Vance, Jack, Les langages de Pao (The languages of Pao, 1958), 2008.
Watson, Ian, L’enchâssement (The Embedding, 1973), 1998.
Weinbaum, Stanley, Une odyssée martienne (A Martian Odyssey, 1934), 1954, 2001.
Wolfe, Bernard, Limbo (Limbo, 1952), 2008.
Films
Rencontres du troisième type (Close Encounters of the Third Kind), Steven Spielberg, 1977.
Premier contact / Arrival, Denis Villeneuve, 2016.
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Notes :
[1] Le politique, c’est-à-dire ce que l’on peut définir, de manière globale, comme les dispositions de l’humain à être en lien avec l’« autre » dans le monde vécu en commun, lien qui s’avère être tant pacifique que conflictuel.
[2] Expression calquée sur l’anglais « speculative fiction », interprétable comme alternative au syntagme « science-fiction », celui-ci étant lié à une poétique et une période précises.
[3] Nous traduisons le titre Native tongue : cet ouvrage de 1984 n’est pas traduit en français.
[4] Frédéric Landragin, Comment parler à un alien ? Langage et linguistique dans la science-fiction, Saint Mammès, Le Bélial’ « Parallaxe », 2018.
[5] L’astrolinguistique est une discipline universitaire, un domaine de la linguistique qui rejoint les préoccupations de la recherche spatiale et notamment les projets essentiellement américains de « Recherche d’intelligence extraterrestre » (Searching for Extra-Terrestrial Intelligence) développés depuis le début des années 1960. La première proposition de Lingua Cosmica (Lincos) destinée à permettre une communication en cas de contact avec une civilisation extra-terrestre intelligente a été élaborée également en 1960 par le mathématicien Hans Freudenthal de l’Université d’Utrecht dans son ouvrage Lincos: Design of a Language for Cosmic Intercourse, Part 1.