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Animalités dans les mondes ibéro-américains contemporains (Sorbonne)

Animalités dans les mondes ibéro-américains contemporains (Sorbonne)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurélia Gafsi)

Journée d'étude :

Animalités dans les mondes ibéro-américains contemporains

Faculté des Lettres de Sorbonne Université

Laboratoire doctoral CRITIC – UR CRIMIC

Lundi 3 novembre 2025, Centre d’Études Catalanes 

Cette journée d’étude en présentiel, intitulée « Animalités dans les mondes ibéro- américains contemporains », répond à une nécessité scientifique et se veut résolument interdisciplinaire et plurilingue, en accord avec l’identité même de l’UR CRIMIC. Afin d’explorer les rapports qui se tissent entre animaux humains et non-humains, dans la perspective de l’axe quinquennal de notre laboratoire sur les « Pratiques du commun », elle prend pour objet les animalités, entendues à la fois comme réalités biologiques, constructions culturelles et concepts porteurs d’une véritable force heuristique. On s’attachera ainsi à mettre en lumière la diversité des représentations et des interactions avec le vivant dans les mondes ibéro-américains contemporains, tout en interrogeant la complexité de cette notion et ses frontières parfois floues, à travers les prismes de la création artistique, de la pensée critique et des dynamiques sociales. 

De fait, l’animalité est un concept pluriel et polysémique, dont la richesse dépasse le cadre strictement biologique et ne se laisse pas enfermer dans une simple définition par la négative, comme opposée à l’humanité. Preuve en est son étymon latin, anima, qui renvoie au souffle, au principe vital à l’origine du caractère animé des êtres vivants. Dès lors, des frictions s’établissent entre les catégories : l’être humain est avant tout un animal, qui se distingue des autres êtres vivants grâce à sa raison (Descartes, 1991 [1637]), sa morale (Rousseau, 1965 [1755]), ou encore sa capacité à sentir la pitié (Lévi-Strauss, 1973), tout en conservant des similitudes et entretenant des interactions avec l’animal (Lestel, 1996). Malgré cela, le projet moderne occidental s’est structuré autour d’une séparation radicale entre l’humain, appartenant au domaine de la culture et faisant usage de raison, et l’animal, relégué au domaine du naturel et du sauvage. Cette frontière n’a de fixe que son apparence : elle est avant tout politique. L’animalité est autant un état qu'elle est un processus, un continuum où les êtres humains peuvent être humanisés, animalisés, hybridés ou bestialisés, et où les animaux non-humains eux-mêmes peuvent être personnifiés. Cette dynamique est particulièrement visible dans les usages du concept d’animalité à des fins morales et politiques : l’animalisation d’un individu ou d’un groupe humain sert souvent à justifier son exclusion et sa marginalisation, dans la domination coloniale comme les projets génocidaires du XXe siècle (Fanon, 1952 ; Wynter, 2003). Perdre la catégorie « humain », c’est perdre les droits qui lui sont conférés, dans un système politique qui n'en attribue quasiment aucun aux non-humains. 

De la seconde moitié du XXe aux débuts du XXIe siècle, plusieurs champs des sciences humaines ont entrepris de remettre en question le dualisme nature-culture. L’anthropologie, par exemple, a exploré d’autres cosmovisions, comme celle de certaines sociétés amazoniennes, où, dans une approche qualifiée de perspectiviste, l’animal non- humain n’est pas un être inférieur mais un sujet à part entière, doté de son propre point de vue sur le monde (Descola, 2005 ; Viveiros de Castro, 2009). Ces perspectives dialoguent avec les pensées décoloniales et postcoloniales, qui dénoncent la construction hiérarchique de l’humain à travers l’histoire de la modernité occidentale par l'exclusion des corps racisés de cette catégorie (Fanon, 1952 ; Harchi, 2024), et avec les courants écoféministes et les études animales, qui interrogent les liens entre l’oppression des animaux et celle des groupes marginalisés (Adams, 1990 ; Singer, 1975 ; Regan, 1983). Loin d’être une simple donnée biologique, l’animalité est donc une construction culturelle et politique, qui façonne nos rapports aux autres êtres vivants. Elle est aussi un enjeu d’intersectionnalité, se croisant avec d’autres formes de domination, qu’elles soient raciales, de genre ou sociales (Harchi, 2024). Enfin, elle est un champ de luttes, où se posent des questions cruciales sur les droits des animaux et la place des non-humains dans les systèmes légaux contemporains (Donaldson & Kymlicka, 2011). L’examen de ces multiples dimensions montre que l’animalité, loin d’être une essence figée, est un espace mouvant, où se négocient sans cesse les frontières du vivant et les structures du pouvoir. 

Dans la recherche contemporaine, la notion d’animalité est à mettre directement en relation avec champ des études animales. Paul Waldau (2013) souligne, à ce titre, que les travaux fondateurs de Peter Singer s’inscrivent dans la continuité de Jeremy Bentham, qui, dès 1789, introduisit la question de la souffrance animale dans la philosophie occidentale. Cette base éthique a permis d’intégrer l’animalité dans une perspective intersectionnelle, où la domination des animaux fait écho à d'autres formes d'oppression subies par des minorités. C’est ainsi que Charles Patterson, dans Eternal Treblinka (2002), explore ce parallèle en comparant l’Holocauste nazi avec les pratiques d’élevage industriel, dénonçant la manière dont la hiérarchisation entre humain et non-humain a justifié des actes de soumission et de déshumanisation. Cette approche est renforcée par les travaux de Michel Foucault sur la biopolitique, qui inspirent le philosophe Gabriel Giorgi dans Formas comunes. Animalidad, cultura, biopolítica (2014), où il examine les discours occidentaux ayant adopté la métaphore de l’animalité pour classifier les corps et les identités. Dans la lignée de cette pensée, on peut trouver le texte de la philosophe féministe américaine Carol Adams, The Sexual Politics of Meat, publié en 1990 et qui présente une analyse détaillée de comment la violence contre les animaux et la violence contre les femmes se ressemblent. En effet, Adams y propose une critique de la manière dont la société occidentale associe la consommation de viande à des idéologies de domination, en particulier en ce qui concerne les femmes et les animaux non humains, qui ont été articulées à travers le binôme vie à protéger/vie à consommer. 

Cette diversification des approches s’illustre dans plusieurs initiatives académiques récentes. Le colloque « Genre et animaux dans les mondes hispaniques Époques médiévale et moderne) » organisé à la Casa de Velázquez en novembre 2024 a exploré les intersections entre les études de genre et animales, en particulier dans la construction des identités de genre dans les mondes hispaniques médiévaux et modernes. Ce colloque s’inscrivait dans le cadre du projet « La colonización animal del Nuevo Mundo (Finales del siglo XV – Principios del XIX) » de l’institution franco-madrilène, qui analyse le rôle des animaux dans la colonisation du continent américain, et ce, tant sur le plan matériel que symbolique. En France, la principale référence reste le carnet de veille « Animots », dirigé par Anne Simon, professeure à l’ENS Paris et directrice de recherche au CNRS, qui se consacre à la zoopoétique en croisant les sciences humaines et les sciences du vivant. Parmi ses nombreux membres, travaillant tant sur les mondes hispanophones que sur les mondes lusophones, Sérgio Guimarães De Sousa et Marcia Neves explorent notamment les différentes formes de représentations animales dans la littérature. Enfin, le séminaire « Histoire environnementale et animale des mondes ibériques » organisé par l'Université Paris-Nanterre en 2023 a interrogé les conséquences environnementales de la colonisation européenne au Nouveau Monde, notamment par l'introduction de nouvelles espèces animales et végétales, marquant un impérialisme écologique transformant les sociétés autochtones et les paysages américains. 

Afin de poursuivre cette ouverture du panorama des réflexions sur les animalités, notre journée se propose de revenir sur ce qui fait leur spécificité dans les mondes ibéro- américains contemporains, que ce soit dans les territoires de langues espagnole, catalane ou portugaise. Les communications pourront alors s'inscrire dans les axes suivants : 

Notre premier axe s’intéressera à la place des animalités dans la littérature des mondes ibéro-américains contemporains, depuis la spécificité de chacun de ses genres. Le champ littéraire est vaste pour penser la question des animalités, dont l’ampleur pourra être explorée, par exemple, dans la prose narrative ou théâtrale, à partir de l’analyse des représentations des animaux réels et/ou imaginaires (Borges, 2005 [1967]), ou même de la relation entre les êtres vivants. C’est également le cas de la poésie, genre ayant la potentialité de brouiller les frontières discursives entre les hommes et les animaux (Derrida, 2006). Toutes ces réflexions pourront également être complétées par une réflexion sur la traduction, plus particulièrement sur la manière de gérer, au cours du processus traductif, les singularités et les défis posés par les représentations et manifestations des animalités, que ce soit leurs noms, leurs cris, leurs bruissements ou leurs silences.

Notre deuxième axe se concentrera sur la place des animalités dans l’histoire ibéro-américaine, en explorant comment les sociétés de ces régions l’ont pensée, représentée et instrumentalisée au fil des siècles. On pourra aborder, par exemple, les processus d’animalisation et de bestialisation qui ont marqué les périodes coloniale et postcoloniale, où les discours justifiant la conquête, l’esclavage ou l’exclusion de certains groupes ont souvent reposé sur leur assimilation à des « bêtes » (Mignolo, 2016 [1995]) ou à une déshumanisation justifiant divers types de violences. De même, cet axe abordera les transformations contemporaines du statut des animaux non-humains dans les aires ibéro-américianes, ainsi que leurs enjeux éthiques, juridiques et politiques (Padilla, 2022). L’essor des mouvements écologistes et des luttes pour les droits des animaux dans ces régions invite à interroger les continuités et les ruptures historiques dans la manière dont les sociétés conçoivent leur rapport aux autres espèces. Ces réflexions permettront d’inscrire la question de l’animalité au croisement de l’histoire, de la culture et des dynamiques sociales propres aux mondes ibéro-américains.

Notre troisième axe posera la question de la place des animalités dans les arts visuels de ces espaces géographiques. Suivant une longue tradition qui débute avec les peintures rupestres et se prolonge dans les bestiaires, les cabinets de curiosités, l’œuvre des peintres « animaliers », les illustrations scientifiques ou les photographies de voyages et d'explorations, l'animalité continue de se réinventer dans les mouvements d’avant-garde du XXe siècle et devient une thématique à part entière. Dans le contexte de l'art contemporain, l'animalité est liée de manière consciente aux réflexions à propos de l’anthropocène et de l'impact de l'activité humaine sur les autres espèces. L’animalité est actuellement devenue un prisme critique pour aborder des problèmes sociopolitiques ou philosophiques, permettant d’explorer des questions telles que l’altérité et l’hybridité, l’écologie, la colonisation et les interactions entre les espèces. Il s’agira d’interroger les manifestations et défis qu’elle pose tant dans les œuvres à images fixes que dans les œuvres à images mobiles produites par des artistes ibéro-américains. 

Les propositions de communication devront être envoyées en français, espagnol, portugais ou catalan, au format PDF, et ce, pour le 14 septembre 2025, à l’adresse suivante : evenements.critic.organisation@gmail.com. Elles devront contenir un titre, un résumé de la présentation d’une longueur de 200-300 mots, 5 mots-clefs ainsi qu’une notice biographique de 10 lignes maximum. Les communications dureront 20 minutes. 

Comité d'organisation (doctorant•e•s, CRIMIC)

Adrià BALLONGA, Santiago CÓRDOVA, Lucas FIGUEIREDO SILVEIRA, Aurélia GAFSI, José Carlos GLAIZAR URIOSTEGUI, Diego Felipe GONZÁLEZ, Aleix GUIJARRO PINEDA, Sévana KARALEKIAN, Lucía MÉNDEZ SORIA, Adrien RAOULT, Gaël VOISIN. 

Comité scientifique (professeur•e•s MCF et habilité•e•s, CRIMIC) 

Maria ARAUJO DA SILVA, Marianne BLOCH-ROBIN, Laurence BREYSSE- CHANET, Alberto DA SILVA, Joaquín MANZI, David MARCILHACY, Françoise MARTINEZ, Michel MARTÍNEZ PÉREZ, Ina SALAZAR. 

Bibliographie indicative

ADAMS, Carol J., The Sexual Politics of Meat. A Feminist-Vegetarian Critical Theory, New York, Continuum, 1990. 

BIMBENET, Étienne, Le complexe des trois singes. Essai sur l'animalité humaine, Paris, Seuil, 2017. 

BONNY, Yves, NEVEU, Érik, DE QUEIROZ, Jean-Manuel, et al. (dir.), Norbert Élias et la théorie de la civilisation. Lectures et critiques, Presses universitaires de Rennes, 2015. 

BORGES, Jorge Luis, GUERRERO, Margarida, El libro de los seres imaginarios, Buenos Aires, Emecé, 2005 [1967]. 

BURGAT, Florence, « Animalité », Encyclopædia Universalis, 2013, disponible ici: https://www.universalis.fr/encyclopedie/animalite/ [Consulté le 19/03/2025]. 

COMTE, Hubert, Bestiaire. L'Animal dans l'Art, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001. 

CONTAMINA, Sandra, COPELLO, Fernando (dir.), Regards sur l'animal et son langage, Presses Universitaires de Rennes, 2022. 

DAVIET-TAYLOR, Françoise, «De l’animalité et de l’humanité. Perspectives phylogénétiques et philosophiques », Bestiaires. Mélanges en l’honneur d’Arlette Bouloumié, Presses de l’Université d’Angers, 2014, p. 41-54. 

DEGUEURCE, Christophe, DELALEX, Hélène (dir.), Beautés intérieures. L'animal à corps ouvert, Paris, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2012. 

DELPLA, Isabelle, Le mal en procès. Eichmann et les théodicées modernes, Paris, Éditions Hermann, 2011. 

DERRIDA, Jacques, L’animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006. 

DESCARTES, René, Discours de la méthode, Paris, Gallimard, 1991 [1637]. 

DESCOLA, Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. 

DONALDSON, Sue, KYMLICKA, Will, Zoopolis. A Political Theory of Animal Rights, Oxford University Press, 2011. 

FANON, Frantz, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952.

GIORGI, Gabriel, Formas comunes. Animalidad, cultura, biopolítica, Buenos Aires, Eterna Cadencia, 2014. 

HARCHI, Kaoutar, Ainsi l'Animal et nous, Arles, Actes Sud, 2024. 

HARDOUIN-FUGIER, Élisabeth, Le peintre et l'animal en France au XIXe siècle, Paris, L'Amateur, 2001. 

LAVAL-JEANTET, Marion, STELLINO, Paolo, BAGNOLINI, Guillaume (dir.), Bioart et éthique, Montreuil, CQFD, 2019. 

LESTEL, Dominique, L'Animalité. Essai sur le statut de l'humain, Paris, Hatier, 1996. LÉVI-

STRAUSS, Claude, « Jean-Jacques Rousseau fondateur des sciences de l'homme », dans Anthropologie structurale deux, Paris, Plon, 1973, p. 45-56. 

MACIEL, Maria Esther, Literatura e animalidade, Rio de Janeiro, Civilização brasileira, 2016. 

MIGNOLO, Walter, El lado más oscuro del renacimiento. Alfabetización, territorialidad y colonización, Popayán, Universidad del Cauca, 2016 [1995]. 

PADILLA VILLARAGA, Andrea, Derecho sintiente. Los animales no humanos en el derecho latinoamericano, Bogotá, Siglo, 2022. 

REGAN, Tom, The Case for Animal Rights, Berkeley, University of California Press, 1983. 

ROUSSEAU, Jean-Jacques, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, Gallimard, 1965 [1755]. 

SIMON, Anne, Une bête entre les lignes. Essai de zoopoétique, Marseille, Wild Project, 2021. 

SINGER, Peter, Animal Liberation, New York, HarperCollins, 1975.

TERESTCHENKO, Michel, Un si fragile vernis d’humanité. Banalité du mal, banalité du bien, Paris, La Découverte, 2005.

VIVEIROS DE CASTRO, Eduardo, Métaphysiques cannibales. Lignes d'anthropologie post-structurale, Paris, Presses Universitaires de France, 2009. 

WALDEAU, Paul, Animal Studies. An Introduction, Oxford University Press, 2013. 

WELZER, Harald, Les exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse, Paris, Gallimard, 2007. 

WYNTER, Sylvia, « Unsettling the Coloniality of Being / Power / Truth / Freedom », CR: The New Centennial Review, vol. 3, n° 3, 2003, p. 257-337.