
COLLOQUE INTERNATIONAL POUR LE CENTENAIRE DE PAULIN SOUMANOU VIEYRA
DU 3 AU 6 NOVEMBRE 2025
UNIVERSITE GASTON BERGER DE SAINT-LOUIS /SENEGAL
ARGUMENTAIRE
Paulin Soumanou VIEYRA : L’ŒUVRE DE L’INACHEVEMENT
Trop longtemps oublié, Paulin Soumanou Vieyra (1925-1987) est pourtant l'une des figures les plus importantes et les plus influentes du développement du cinéma africain francophone. Né au Bénin et installé plus tard au Sénégal après des études en France, Vieyra a été l'un des premiers Africains noirs diplômés de l’IDHEC. Son film documentaire, Afrique sur Seine, racontant la vie de jeunes Africains étudiant à Paris est considéré comme l’un des premiers films réalisés par un africain francophone. Afrique sur Seine aurait pu d’ailleurs s’intituler Afrique sur Dakar, sur Bamako ou sur Porto Novo, n’eût été le fameux décret de Laval, ministre des colonies d’alors, en 1934 interdisant tout tournage en Afrique ou obligeant les réalisateurs à montrer patte blanche[1]. Il a ensuite réalisé plus d’une vingtaine de documentaires (Lamb, Môl, Une Nation est née, Iba NDIAYE, Birago DIOP, etc.) et un long métrage (En résidence surveillée). Outre son travail de cinéaste, Paulin Soumanou Vieyra a été historien, critique de cinéma et parmi les fondateurs de la Fédération Panafricaine des Cinéastes (sur une idée de Claude Pieux); il fut un mentor essentiel pour des personnalités du cinéma telles que Sembène, Djibril Diop et Ababacar Samb-Makharam, entre autres.
Historien du cinéma africain, comme le montrent ses travaux de recherche, ses communications /conférences, ainsi que ses ouvrages et articles dans le domaine, il fut également connu pour ses missions d’animation, de sensibilisation et d’éducation dans les médias (radio et télévision), notamment avec le rôle fondamental qu’il a joué dans l’implantation et le développement du cinéma au Sénégal de par ses fonctions à la Radio diffusion nationale du Sénégal. De ce point de vue, son œuvre documentariste a accompagné l’histoire des jeunes nations africaines et constitue un témoignage inestimable, malgré le fait que plusieurs films restent des projets. Ce qui d’ailleurs fait de l’œuvre de PSV une œuvre de l’inachèvement. Ce n’est pas une œuvre inachevée mais bien celle qui fait de l’inachèvement le lieu d’une gestation des possibles esthétiques et politiques. Comme l’indiquait d’ailleurs Paul Klee dans sa Théorie de l’art moderne : « Nulle part ni jamais la forme n'est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l'envisager comme genèse, comme mouvement. Son être est le devenir et la forme comme apparence n'est qu'une maligne apparition, un dangereux fantôme »[2]. L’œuvre de VIEYRA ouvre ainsi l’histoire africaine et l’histoire du cinéma africain à leur propre béance, à l’indécidable. Et l’inachèvement dirait aussi l’incomplétude comme dimension du faire œuvre, de réélaboration de l’histoire à partir d’un puzzle auquel manque inlassablement un fragment, sans qu’on puisse dire d’ailleurs lequel. En cela, l’ouverture des archives de PSV permettrait une approche génétique de l’œuvre pour mettre en lumière les figurations séminales comme les configurations prospectives. C’est toute l’œuvre qui devient ainsi un dispositif (au sens où l’entend Agamben), une radicalité esthétique et politique instaurant le dissensus dans les colonialités (dans les mondes coloniaux en tant que configurations idéologiques, symboliques et sémiotiques). A quoi nous introduit alors l’œuvre de PSV ?
Malgré tout son travail et son rôle, la figure de Paulin Soumanou Vieyra a pratiquement disparu de la mémoire intellectuelle en Afrique et au Sénégal et n’est pas visible dans les écoles, les universités, encore moins dans les lycées et collèges. Elle n’est pas non plus présente dans les salles de cinéma et les télévisions africaines, en général.
C’est fort de ce constat, qui est le résultat d’un oubli ou d’une ignorance que ce colloque et ce festival dans le cadre de son centenaire trouvent toute leur pertinence et leur justification, pour apprendre à la fois à faire connaitre et faire aimer Paulin Soumanou Vieyra en revisitant son œuvre multiforme et les questions qu’elle nous adresse et qu’elle adresse à la mémoire du cinéma africain francophone aujourd’hui.
Revisiter les premiers écrits et conférences de Paulin Soumanou Vieyra, conçus à l'aube de la décolonisation permet de voir Vieyra comme un penseur visionnaire du cinéma africain à venir, qu'il voyait à la fois comme un moteur du développement africain et un miroir de ses contraintes - mais aussi, de manière cruciale, comme une source potentielle de réinvention. Datant d'entre 1956 et 1961 - une période de lutte intense et de possibilités inouïes - les premières projections de Vieyra résument le potentiel radical de la « création d'un monde anti-systémique » (Adom Getachew) inhérent à ce moment de transformation. Alors que l'accent mis par Vieyra sur l'industrialisation, l'organisation rationnelle et l'universalité de la technologie suivait la doxa développementaliste de son époque, ses déclarations programmatiques sur le futur cinéma africain remettaient également en question ces hypothèses largement répandues, en suggérant la possibilité de trajectoires de développement alternatives et d'une indigénisation technologique. Et si Vieyra était un fervent partisan de la libération nationale, il a également imaginé d'autres formes politiques, juridiques et économiques susceptibles de permettre l'émergence d'un cinéma africain indépendant. Le choix panafricaniste des espaces de diffusion et de consécration du cinéma africain va s’incarner dans deux pays, deux villes, dont les présidents avaient une haute idée de la culture : la Tunisie de Bourguiba (les Journées culturelles de Carthage) et la Haute Volta (actuel Burkina Fasso) de Maurice Yameogo (Ouagadougou avec son FESPACO).
En particulier, écrivant à partir d'un état d'enchevêtrement continu dans des circonstances de libération non accomplie, il a non seulement envisagé une relation radicalement modifiée entre la France et ses départements d'outre-mer - une « coopération » digne de ce nom - mais aussi, et peut-être pour la première fois, articulé la demande de restitution d'images en mouvement. En proposant le cinéma comme moteur du développement africain, les premiers écrits de Vieyra anticipent également le tournant critique contre le développement en tant que « culture occidentale, qui a germé dans les années 1960 et 1970 dans l'ensemble du « tiers monde » décolonisé et qui a été repris avec une urgence renouvelée aujourd'hui, face à la calamité climatique mondiale, par des penseurs africains. Si les premiers écrits de Vieyra peuvent nous aider à tracer des chemins différents et même à suggérer des voies d'évasion, ses derniers travaux, ainsi que ceux qu’il n’a malheureusement pas pu finir (et ils sont nombreux, les travaux restaient à l’état de projets) nous offrent une perspective intéressante, et qui mérite une attention particulière. Mais aujourd’hui l’œuvre de Paulin Soumanou VIEYRA nous renvoie aussi à la mémoire du cinéma africain et à la conservation de ses archives pour et par les africains. Quand on sait que ses propres archives et celles de Sembène Ousmane sont dans les Universités américaines[3], il est important de se demander ce que font les Etats africains pour sauvegarder la mémoire cinématographique africaine d’une part et d’autre part permettre aux jeunes générations de chercheurs de disposer de ces archives pour continuer à enrichir et approfondir la recherche africaine dans ce domaine.
Par ailleurs, partis du français comme langue principale de leurs premiers films, les cinéastes d’Afrique francophone, conformément aux résolutions de la FEPACI, ont progressivement abandonné cette langue au profit de langues locales dont la mission est de dire enfin l’Afrique. En confirmant dans leurs films les réalités sociolinguistiques du continent, les choix des cinéastes africains n’ont cessé d’interroger l’usage et les représentations des langues dans les productions. Quels enjeux politiques, sociaux et économiques autour de ces choix ? Quelles problématiques nouvelles font-ils apparaitre ? Quelles logiques sociétales sous-tendent leur faire ? Quels paysages sociolinguistiques sont reconfigurés par et dans le cinéma africain ?
Ce colloque sera couplé à un festival de film et une exposition permanente pour (re)découvrir le cinéma africain en général et le cinéma de Paulin Soumanou VIEYRA plus particulièrement.
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Le travail de réflexion et de production pour ce colloque tournera autour des principaux axes, qui nous semblent importants mais non exclusifs, suivants :
1) La réécriture de l’histoire par et dans le film
2) Le film de l’histoire : PSV critique et créateur
3) L’usage des médias : le cinéma est-il un média comme les autres ?
4) Trajectoires et tracées politiques du cinéma africain
5) Bilan et perspectives : passé, présent et avenir du cinéma africain
6) La mémoire du cinéma africain : la question de la restauration, de la conservation, de la préservation des archives …..et de la muséification
7) Images, imaginaires et élaboration du sens
8) Imaginaires exiliques du /dans le cinéma africain
9) Le financement du cinéma africain : enjeux, perspectives et stratégies surtout à l’heure du numérique
10) Cinéma africain et enjeux sociolinguistiques
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Bibliographie indicative
- Achille MBEMBE, (2015), Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte
- Claude FOREST, (2015), Production et financement du cinéma en Afrique Sud-saharienne (1960-2018), Paris, L’Harmattan
- Daniela RICCI, (2016), Cinémas des diasporas noires : esthétiques de la reconstruction, Paris, L’Harmattan
- Delphe KIFOUANI, (2024), Coord., Sembène Ousmane. Hétérotopie des possibles, N° spécial de la Revue Présence Africaine, 205, Paris, Présence Africaine
- Didier MAURO, (2013), Praxis du cinéma documentaire, une théorie et une pratique, Paris, Publibook des Ecrivains
- Elisabeth LEQUERET, 20O3), Le cinéma africain : un continent à la recherche de son propre regard, Cahiers du Cinéma, Les Petits Cahiers, Paris, SCEREN-CNDP
- FEPACI, (1995), L’Afrique et le centenaire du cinéma, Paris, Présence Africaine
- François FRONTY, sd, (2019), Dix films d’Afrique, Paris, L’Harmattan
- François NINEY, (2014), Le subjectif de l’objectif, Paris, Klincksieck,
- Gilles DELEUZE, (1985) L’image-Temps, Paris, Minuit
- Jacques FONTANILLE, (1989), Les Espaces subjectifs. Introduction à la sémiotique de l’observateur (discours, peinture, cinéma), Paris, Hachette
- Jacques FONTANILLE, (2011), Corps et sens, Paris, PUF
- Jean Pierre BENGHOZI, (1989), Le cinéma entre l’art et l’argent, Paris, L’Harmattan
- Jean WIDMER, (2010), Discours et Cognition sociale. Une approche sociologique, Paris, Editions des Archives Contemporaines
- Manthia DIAWARA, (1992), African cinema, Politics and culture, Indiana University Press,
- Marie José MONDZAIN, (2019), Confiscation. Des mots, des images et du temps, Paris, Editions Les Liens qui Libèrent
- Michel FOUCAULT, (1994), « Des espaces autres (Conférence au Cercle d’études architecturales) » In Architectures, Mouvement et Continuité, N°5, Dits et Ecrits, Paris, Gallimard
- Olivier BARLET, (1996), Les cinémas d’Afrique noire. Le regard en question, Paris, L’Harmattan
- Patricia CAILLE et Claude FOREST, (2017), dir., Regarder des films en Afrique(s), Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion
- Paul KLEE, (1964), Théorie de l’art moderne, Genève, Gonthier
- Paulin Soumanou VIEYRA, (1972), Sembene Ousmane cinéaste, Paris, Présence Africaine
- Paulin Soumanou VIEYRA, (1975), Le cinéma africain des origines à 1973, Paris, Présence Africaine
- Paulin Soumanou VIEYRA, (1990), « La critique, la critique africaine et la critique de la critique » in Réflexions d’un cinéaste africain, OCIC
- Pierre GUENANCIA, (2009), sd. Fondements de la politique, III. La représentation comme figuration, Paris, PUF
- Roger ODIN, (1990), Cinéma et production de sens, Paris, Armand Colin
- Stuart HALL, (2017), Identités et cultures. Politiques des cultural studies, Paris, Editions Amsterdam
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CALENDRIER PREVISONNEL :
- Lancement officiel de l’appel le 30 avril 2025
- Date limite de réception des propositions 30 juin 2025
- Retour des évaluations le 20 Juillet 2025
- Réception des communications pour la prépublication le 30 septembre 2025
- Début des inscriptions pour le colloque le 15 septembre 2025
- Date du colloque du 3 au 6 Novembre 2025 à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal
Adresses mail : centenairepsv25@yahoo.com / kalidou.sy@ugb.edu.sn
NB : Les frais de participation au colloque couvrant les Déjeuners, le Kit du participant et la publication s’élèvent à 40000f cfa /62 Euros
Les frais de voyage et d’hébergement sont à la charge des participants .
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COMITE D’ORGANISATION
Président du comité d’organisation : Professeur Kalidou Seydou SY
Gora SECK
Sellou DIALLO
Khadim THIAM
Alioune WILANE
Modou Fatah THIAM
Ibrahima THIAM
Mariama MAIGA
Abou Bakry KEBE
Moussa KANE
Diockel SARR
Assane NDIAYE,
Mamadou DIAGNE
Moustapha FAYE
Aimé Gomis
Lamarana DIALLO
Les doctorants des laboratoire GRADIS (Groupe de Recherches en Analyse des Discours Sociaux) et GRECIREA (Groupe d’Etude Cinéma du Réel Africain)
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COMITE SCIENTIFIQUE
Président du Comité Scientifique : Professeur Delphe KIFOUANI (Sénégal)
Membres :
Abou Bakry KEBE (Sénégal)
Adjaratou Oumar SALL (Sénégal)
Alioune WILANE (Sénégal)
Aly Sambou (Sénégal)
Anne LAFONT (France)
Baba DIOP (Sénégal)
Babou DIENE (Sénégal)
Bacary SARR (Sénégal)
Bertrand WESTPHAL (France)
Boubacar CAMARA (Sénégal)
Cécile BERTIN (France)
Daniela RICCI (France)
Didier TSALA EFFA (France)
Falilou NDIAYE (Sénégal)
Fatou Ghislaine SANOU (Burkina Faso)
Gaëlle SAMB (Sénégal)
Georice MADEBE (Gabon)
Gora SECK (Sénégal)
Dorgelès HOUESSOU (Côte d’Ivoire)
Ibrahima WANE (Sénégal)
Ibrahima SARR (Sénégal)
Jacques FONTANILLE (France)
Jenny MAGGI (Suisse)
Kalidou Seydou SY (Sénégal)
Khadim Rassoul THIAM (Sénégal)
Magatte NDIAYE (Sénégal)
Magueye KASSE (Sénégal)
Mamadou DRAME (Sénégal)
Mamadou Sellou DIALLO (Sénégal)
Marième Pollèle NDIAYE (Sénégal)
Mbaye DIOUF (Canada)
Modou Fatah THIAM (Sénégal)
Mohamed Abdallah LY (Sénégal)
Moussa KANE (Sénégal)
Nanourougo COULIBALY (Côte d’Ivoire)
Pia STALDER (Suisse)
Sada NIANG (USA)
Samba GADJIGO (USA)
Sambou NDIAYE (Sénégal)
Sendra ESTRELLA (Angleterre)
Sandro CATTACIN (Suisse)
Valérie BERTY (France)
Victor KABRE (Burkina Faso)
Vincent BOUCHARD (USA)
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[1] On sait que ce fameux décret Laval frappa injustement au moins Robert VAUTIER pour son film Afrique 50 (1950) et Alain RESNAIS et Chris MARKER pour Les statues meurent aussi (1955).
[2] Paul KLEE, (1964), Théorie de l’art moderne, Genève, Gonthier, p.60
[3] Ils ne sont peut-être pas les seuls à avoir leurs archives ailleurs que dans le continent africain. Cela ne touche pas que les cinéastes seulement, la mémoire africaine en générale est sauvegardée ailleurs, en Occident pour la plupart des cas.