
Néologismes et nouvelles formes d'expression dans le monde chinois : mutations linguistiques, culturelles et sociétales
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Un Chinois des années 1970 se réveillant en 2025 serait sans doute perplexe devant un tel inventaire ! Il est vrai que l’évolution accélérée du lexique de la langue chinoise contemporaine rend tout dictionnaire caduc dès sa parution.
La transformation spectaculaire que subit la langue chinoise ne se limite pas au lexique. Outre le champ idiomatique, elle affecte aussi la syntaxe et le style. Toutes les strates composant le discours sont concernées par cette évolution. Les causes en sont multiples, et il est globalement plausible de rattacher cette accélération aux mutations politiques, sociales et culturelles profondes que connaît la Chine depuis les années 1980, en particulier la politique de réforme et d’ouverture initiée par Deng Xiaoping sur le continent, la levée de la loi martiale à Taiwan (1987) mais aussi les rétrocessions de Hong Kong (1997) et de Macao (1999). La croissance économique rapide et l’ouverture au monde surtout après l'adhésion de la RPC à l'OMC en 2001, l’émergence soudaine d’une société de consommation sur un héritage collectiviste, mais aussi plus récemment l’émergence d’une socialisation numérique, tout cela a profondément imprégné la langue. La langue constitue assurément une porte d’entrée pour écrire l’histoire de la Chine après 1980.
La société de l’enfant unique fait aujourd’hui face à un marasme inquiétant, sur fond de tensions géopolitiques dont les effets se font sentir au quotidien. Ces dernières années ont également vu s’imposer les enjeux sanitaires et écologiques, tandis que l’intelligence artificielle tend à innerver toujours davantage les activités humaines. La langue est le sismographe de cette activité intense et complexe qui n’épargne aucun domaine. Une analyse approfondie des dynamiques linguistiques et discursives à l’œuvre permettrait sans doute de mieux comprendre les enjeux culturels, sociétaux et politiques sous-jacents.
Bien sûr, un éclairage comparatif permettrait d’évaluer les nouveaux modes d’expression. Peut-on observer des parallèles avec d’autres langues confrontées à des transformations analogues ? La situation actuelle est-elle comparable à celle du début du XXe siècle, marqué par un aggiornamento sans précédent de la langue, soudainement exposée aux réalités modernes ?
Ce numéro se propose d'explorer ces mutations linguistiques et discursives en croisant les approches de la linguistique, de la pragmatique, de la sociolinguistique, de la didactique des langues, de la littérature et des sciences sociales, voire de la politique. L’objectif est d’examiner les causes de ces changements, leur extension géographique, dialectale et sociologique, leur portée et leur signification pour la société chinoise contemporaine.
Ce numéro ambitionne d’apporter des éléments de réponse à ces questions en mobilisant des analyses multidisciplinaires et en mettant en lumière les interactions entre langue et société dans la Chine d’aujourd’hui.
Voici, à titre d’exemples, quelques questionnements autour de cette thématique très ouverte de l’évolution de la langue depuis 1980.
On pourra s’interroger sur la dynamique de création et de diffusion des néologismes et formes nouvelles. Par exemple, quels sont les principaux mécanismes linguistiques employés dans la création des néologismes en chinois (emprunts, calques, innovations internes) ? Quel rôle jouent les nouvelles technologies et les réseaux sociaux dans la diffusion et l’adoption des expressions populaires ?
On pourra se demander comment les usages langagiers ont été réinventés dans les interactions quotidiennes. En quoi les contextes sociaux ont-ils influencé la création de mots nouveaux pour exprimer le mal-être contemporain (ex. 躺平, 内卷) ?
La littérature est forcément sensible à cette déferlante langagière : quel usage fait-elle des nouvelles manières de s’exprimer ? Quelle poésie, quelles figures y décèle-t-elle ?
L’évolution accélérée de la langue impose aux pédagogues et enseignants des défis nouveaux : comment les néologismes sont-ils intégrés dans l’enseignement du chinois langue étrangère ?
Les observateurs de la société et des institutions chinoises peuvent aussi se demander comment la classe dirigeante parvient à se servir de la langue comme d’un levier politique. Et inversement, comment elle mime les manières de dire à la mode pour être plus proches des administrés, ce qu’exprime joliment le néologisme « capter le souffle terrestre » (接地气).
Il s’agit donc d’un numéro résolument interdisciplinaire aux questionnements très ouverts.
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Bibliographie
GUIHEUX Gilles, SHI Lu (2025), Quand la Chine parle, Les Belles Lettres.
LACKNER Michael, AMELUNG Iwo, KURTZ Joachim (eds), (2001), New Terms for New Ideas, Western Knowledge and Lexical Change in Late Imperial China, Brill.
PRUVOST Jean, SABLAYROLLES Jean-François (2003, 2019), Les néologismes. Presses Universitaires de France, Paris.
SABLAYROLLES Jean-François (2017), Les néologismes : Créer des mots français aujourd’hui, Garnier, Paris.
ZHENG Jinzhi 郑金芝 (2022), 对外汉语网络新词新语教学策略研究[Etude sur les stratégies d’enseignement des expressions nouvelles dans l’enseignement du chinois langue étrangère], 扬州教育学院学报, Journal of Yangzhou College of Education, vol. 40, n°1.
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Soumission des articles
Les articles sont soumis de préférence en français, mais les propositions en chinois et anglais sont acceptées. Ils ne devront pas excéder 55000 caractères espaces compris, hors bibliographie, et être envoyés via le site des Cahiers de l’AFPC avant le 30 septembre 2025.
En cas de doute sur l’acceptabilité, il est possible de soumettre un résumé de 500 mots environ et de l’envoyer aux coordinateurs du numéro (cf. Contacts ci-dessous).
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Calendrier
Publication de l'appel : 8 mars 2025
Date limite de soumission : 30 septembre 2025
Réponse aux auteurs : 15 novembre 2025
Publication du numéro : mars 2026.
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Contacts
Adeline Chan, adeline.chan@univ-tours.fr
Georges Bê Duc, georges.beduc@gmail.com