
L’ANGOISSE
Appel à contribution pour le numéro 37 d’Alkemie
Revue semestrielle de littérature et philosophie
L’angoisse, on le sait, vient du latin angustia, dérivée de angustus, qualifiant ce qui est étroit et resserré. Elle nomme une situation d’oppression pouvant provoquer en cas de crise des sensations de douleur thoracique, de vertige, de mort imminente, de perte de conscience. Si les symptômes évoquent ceux de la peur ou de l’effroi, on admet généralement que ce qui lui est spécifique est l’absence de cause déterminable. On pourrait dire en ce sens que l’angoisse se nourrit d’elle-même, causa sui sine causa, la douleur étant d’autant plus oppressante que rien d’identifiable n’oppresse.
Aux formes aiguës de l’angoisse font écho des formes moins virulentes en apparence mais plus insidieuses peut-être, qui touchent aux interrogations fondamentales de l’être humain, saisi de vertige par l’absence de réponse. Par exemple, la célèbre question métaphysique « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Pourquoi ne puis-je répondre aux questions sur le réel, « pourquoi » ou « qu’est-ce que », autrement qu’en discourant du « réel » comme mon ou notre « monde » ? Suis-je bien moi ? Etc. Etc.
Qu’on renonce aux explications par une cause première, Dieu notamment, et l’on se heurte, en son désir d’autonomie, à l’évidence : il n’est pas de réponse, pas de cause nommable à tout cela. Il faut admettre ma présence gratuite en un monde gratuit, contingent, sans fondement, sans fond. Un abîme, dont l’épreuve peut se vivre comme vertige de la liberté, nausée ou sentiment de l’absurde – il faudra revenir sur cette notion.
Non-être, rien, néant… oscillant grammaticalement entre substantifs et pronoms, entre sujets et prédicats et risquant d’entraîner depuis Parménide dans l’abîme tautologique… Vide, contingence, mort nous mettent dans la géhenne décrite par Pascal : « Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n’en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer. » La mort même n’est rien, disent Épicure et Lucrèce, mais c’est ironiquement ce « rien » qui est une source tragique d’angoisse…
Pourtant, on le voit avec l’épicurisme, nous ne perdons pas espoir de lui trouver des remèdes. Sans doute s’agit-il, puisque renoncer au principe de causalité nous plonge en des affres, de travailler sur notre contingence. L’angoisse névrotique en psychanalyse rétablit des causes « réelles » mais perçues de façon irrationnelle par le sujet (il faudrait bien sûr entrer dans les méandres des distinctions entre causes, motifs, raisons…). Face aux entreprises tragiques de désillusion nietzschéennes (« L’homme ne pourrait pas vivre sans se rallier aux fictions de la logique, sans rapporter la réalité au monde purement imaginaire de l’absolu et de l’identique, sans fausser continuellement le monde en y introduisant le nombre. Car renoncer aux jugements faux serait renoncer à la vie même, équivaudrait à nier la vie. »), la philosophie a cherché à opposer des solutions précisément logiques. Ainsi du fameux « argument dominateur » de Diodore Cronos décrit par Boèce : « Diodore définit le possible comme ce qui ou bien est ou bien sera ; l’impossible comme ce qui, étant faux, ne sera pas vrai ; le nécessaire comme ce qui, étant vrai, ne sera pas faux ; et le non nécessaire comme ce qui ou bien est ou bien sera faux. » Mais dans un éclair de lucidité, je ne peux que me demander, dans une perspective analytique : puis-« je » « me » duper, croire ce que je ne crois pas, ne pas croire ce que je crois ?
Que faire alors de cette contingence ?
La pensée de Cornélius Castoriadis peut être un recours roboratif en cette vallée de larmes. Si le monde est pour lui un « Chaos/Abîme/Sans-Fond », « l’Envers » de toutes choses, « l’Envers de tout Endroit », si nous le disons et le vivons de manière « ensidique » (contraction d’ « ensembliste-identitaire »), c’est-à-dire au fond conceptuelle et syntaxique, il ne s’agit pas de s’y duper, mais d’accepter sa nature : l’être est non-être et le non-être être dans la dynamique temporelle, source de création permanente. En ce sens, l’art, par exemple, la tragédie, la philosophie voilent et dévoilent à la fois ce Chaos dans une sorte de catharsis.
Darwin ne suggérait-il pas, et aujourd’hui les neurosciences, que l’angoisse est essentielle à notre survie ? Un signal qui nous permet de nous protéger en anticipant le futur, eût-elle des causes toujours-déjà-là...
Pour Camus l’absurde au lieu de nous tourner vers la mort devrait se vivre dans un bonheur fait de révolte et d’amour lucides.
Et il reste aussi l’étonnement face au monde, le « pop métaphysique », comme dit Roger Scruton, du bouchon d’une belle bouteille de Bourgogne, et pourquoi non, des petites pilules de benzodiazépines si nous baissons les bras. – Pierre Garrigues
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