
Les voix de la marge: genre, posthumanisme, cultures minoritaires et visions décoloniales du monde (Varsovie)
Dans le discours universitaire, de nombreuses voix ont souligné l’importance d’élargir notre compréhension de ce que signifie être « humain ». Les travaux fondamentaux de Haraway (1985, 1991, 2016), Descola (1986, 2005, 2018), Anzaldúa (1987), Latour (1987, 1991, 2015, 2017), Braidotti (2002, 2013, 2019, 2021), Butler (2004, 2009), Lugones (2008), Espinosa Miñoso (2010), Puleo (2011, 2019), Giorgi (2014) et Segarra (2022), entre autres, soulignent la nécessité d’examiner les limites de cette approche pluri-séculaire et occidentalo-centrée. Ces chercheuses et chercheurs affirment que pour réfléchir efficacement aux implications d’une conception plus inclusive de l’humanité, il est essentiel d’intégrer des perspectives inter/transculturelles et interdisciplinaires qui non seulement reconnaissent et valorisent l’interdépendance entre les entités humaines et non humaines, mais qui transcendent également les frontières du monde universitaire en s’appuyant sur des connaissances et des expériences tirées de différents contextes sociaux et culturels et de diverses pratiques d’activisme.
Plusieurs théories critiques des 20e et 21e siècles – telles que la déconstruction, les études de genre, les études postcoloniales et décoloniales, ainsi que la théorie critique de la race – ont contribué de manière significative à déstabiliser la conception monolithique du sujet cartésien et les fondements de la culture occidentale, anthropocentrique et ethnocentrique (Deleuze & Guattari, 1980; Glissant, 1981; Glissant, 1990; Braidotti, 2013). Le posthumanisme et les théories décoloniales (Quijano, 1992; Dussel, 1996; Maldonado-Torres, 2007) ainsi que de nouveaux courants du matérialisme philosophique (Meillassoux, 2006; Coole & Frost, 2010; Bryant, Srnicek & Harman, 2011) constituent des points de départ prometteurs pour une réflexion renouvelée sur le problème de la subjectivité et de la relationnalité en permettant d’explorer de manière plus approfondie la dynamique du pouvoir et la place de l’activisme dans un contexte mondial marqué par l’interconnexion des crises écologiques, politiques et sociales.
Cet appel à communications vise à explorer et à souligner les contributions des théories critiques féministes, posthumanistes, décoloniales et minoritaires, ainsi que leurs pratiques respectives d’activisme, dans la démystification de l’humanisme hégémonique. Cette vision remet en question les structures de pouvoir qui ont marginalisé et minorisé non seulement les femmes et les autres corps et subjectivités non normatifs, mais aussi les cultures indigènes, afrodescendantes et autres cultures non hégémoniques. Comme l’avancent des théoriciennes telles que María Lugones (2008), Yuderkys Espinosa Miñoso (2010) et Françoise Vergès (2019), le féminisme décolonial est essentiel pour démanteler le « réseau d’oppressions » résultant de l’enchevêtrement de la colonialité du pouvoir (Quijano, 1992; Castro-Gómez, 2005), de la colonialité du savoir (Quijano, 2000), du patriarcat et du capitalisme mondialisé. En outre, l’intersectionnalité (les « marginalité » et « visibilité » de Crenshaw, 1991; la « performativité du genre » de Butler, « lugar de fala » de Ribeiro, 2017), la pensée queer décoloniale (“Queer Necropolitics”, Puar 2007, 2017; Haritaworn – Kuntsman – Posocco, 2014), postcoloniale (Hawley, 2001) ainsi que les études féministes transnationales et autochtones (Smith, 2005; Arvin, Tuck and Morrill, 2013) permettent une compréhension nuancée de la manière dont les systèmes d’oppression – ancrés dans les histoires coloniales, les normes de genre, l’hétéronormativité et l’hétéropatriarcat – interagissent avec les crises écologiques, les productions culturelles et les subjectivités incarnées, enrichissant ainsi le discours critique en mettant l’accent sur des approches transformatrices et intersectionnelles des relations humaines et non humaines et sur les alliances significatives qui existent entre ces dernières.
Les approches théoriques et empiriques du féminisme décolonial et posthumain préconisent un examen critique de la (re)configuration des imaginaires culturels de l’altérité. Elles remettent en question l’anthropocentrisme historiquement affirmé à travers la marginalisation et le mépris. Ces approches proposent un changement de paradigme qui nous invite à reconsidérer les ontologies et épistémologies humanistes, en soulignant l’importance d’une éthique qui englobe toutes les formes de vie, humaines et non humaines. Cela place le sujet posthumain et décolonial à l’intersection de relations dynamiques et dialogiques avec des altérités les plus diverses. En outre, ces perspectives proposent une alternative épistémique qui reconnaît et valorise les connaissances situées (Haraway, 1988) issues de communautés historiquement exclues. Ces connaissances, incarnées dans des corps racialisés et féminisés, ont été délégitimées par la logique de la colonialité et de la modernité/rationalité (Quijano, 1992), qui détermine la validité de certains savoirs par rapport à d’autres. Comme l’affirme Lugones (2008), cette déshumanisation épistémique doit être combattue par le « démantèlement de la colonialité de l’être et du genre ».
À cet égard, les visions du monde autochtones et afro-diasporiques offrent non seulement d’autres modes d’existence et de connaissance, mais aussi la possibilité d’autres mondes, comme le suggère Eduardo Viveiros de Castro (2010) et Arturo Escobar (2018), en réimaginant les relations avec la nature, les corps et les communautés. Dans ce contexte, il devient crucial de prendre en compte les visions du monde autochtones qui proposent déjà une ontologie relationnelle, où la vie n’est divisée ni entre l’humain et le non-humain, ni entre ce qui, dans la pensée occidentale, est considéré comme réel et surnaturel ou spirituel. En commençant par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones adoptée en 2007, ces pratiques alternatives continuent de se répandre dans différents coins du globe, devenant à la fois un nouveau modèle de relations avec le monde et un défi aux constructions politico-administratives occidentales traditionnelles. (Henderson, 2008; Bird, 2011). Des réévaluations similaires peuvent être observées dans le développement de la pensée africaine et afrodiasporique, où les continuateurs de Ngũgĩ wa Thiong’o (1986) ou Valentin-Yves Mudimbe (1988) proposent de décoloniser les esprits non seulement des anciens colonisés, mais aussi des anciens colonisateurs (Mondzain, 2020), d’abolir les divisions raciales entre l’Europe et l’Afrique (Miano, 2020) et de mettre en valeur les formes traditionnelles africaines de coexistence sociale dans le respect de la nature (Sarr, 2016, 2017) tout en redéfinissant le concept d’universalisme (Diagne, 2013) et en situant l’Afrique comme source de nouveaux récits et de nouveaux projets sociopolitiques pour le monde (Mbembe & Sarr, 2017; Diouf, 2023). Dans le cas des Caraïbes, où l’histoire des économies de plantation a façonné la pensée et les pratiques écologiques, et où les mouvements de résistance proposent des imaginaires écologiques alternatifs, l’écocritique décoloniale (Ferdinand, 2019) s’intéresse à l’héritage écologique du colonialisme et remet en question l’anthropocentrisme ancré dans les épistémologies occidentales. Dans ce contexte, l’approche transindigène conceptualisée par Allen (2012) offre une perspective puissante pour comprendre l’interconnexion des luttes et des savoirs autochtones dans les contextes mondiaux. En soulignant les fondements épistémologiques communs et l’intelligibilité mutuelle des visions du monde indigènes, cette approche transcende les frontières géographiques et culturelles pour mettre en évidence l’éthique relationnelle et de réciprocité qui sous-tend les cosmologies autochtones. La pensée transindigène souligne la résilience et l’adaptabilité des traditions autochtones tout en favorisant le dialogue et la solidarité entre diverses communautés indigènes. Ce cadre permet non seulement d’approfondir notre compréhension de la manière dont les ontologies autochtones remettent en question les paradigmes dominants, mais aussi de les considérer comme essentielles pour réimaginer des avenirs collectifs fondés sur l’interdépendance, le respect du monde naturel et la justice pour tous les êtres.
Dans cet ordre d’idées, Braidotti envisage l’« étincelle radicale » des féminismes posthumain et décolonial comme le catalyseur d’une politique subversive capable de générer des (cosmo)visions alternatives de communautés historiquement exclues de la catégorie de l’humain ; une telle politique est capable de « créer d’autres mondes possibles ». Cette dimension radicalement transformatrice part du principe qu’aucun projet émancipateur ne peut être entièrement contrôlé par une logique culturelle dominante, qui doit être remise en question. Ainsi, les féminismes posthumain et décolonial rejettent la notion de sujet universel. Au contraire, le sujet est une entité excentrique, nomade, animale et matérielle où l’individuel et le communautaire trouvent leur place. L’embodiment, la matérialité et la performativité deviennent théoriquement essentiels à l’étude du sujet puisque le soi est poreux et s’ouvre sur le collectif (Langle de Paz, 2018). Cette démarche permet de retravailler de manière critique les récits intériorisés concernant la nature, le genre et le corps, en se concentrant sur les vies précaires et vulnérables (non seulement organiques) (Butler, 2004 et 2009; Benett 2010; Giorgi, 2014; Wayar, 2019; Muñoz, 2020; Preciado, 2022; Morizot, 2020 et 2023, Krenak, 2019, 2020, 2022; Kopenawa, Albert, 2015) ainsi que sur la création vue à travers le prisme interdisciplinaire, multimédial et décolonial (Vergès – Cukierman – Dambury, 2018).
Les propositions portant sur les thèmes suivants sont particulièrement bienvenues:
- Féminisme posthumain et décolonial: le tournant posthumain vs. le (andro/anthropo)centrisme dans la littérature, le théâtre et le cinéma
- Cultures minoritaires et visions du monde autochtones: ontologies, épistémologies et activisme dans les (con)textes décoloniaux
- Le sujet humanimal: les défis conceptuels et éthiques qui émergent de la déstabilisation des catégories d’espèces
- Autoreprésentations queer et trans: autofictions alternatives dans la culture contemporaine
- Sujets subalternes auto(bio)graphiques en dialogue avec l’activisme : le récit de vie comme espace de résistance
- Perspectives inter/transculturelles dans les épistémologies posthumaines: réflexions sur les connaissances situées et le rôle des cultures marginalisées dans la production du savoir
- Relationnalité et ontologies non occidentales: explorations philosophiques et culturelles de l’interdépendance entre l’humain et le non-humain dans les visions du monde autochtones et afro-diasporiques
- Critique de l’Anthropocène et reconfiguration de l’humanité: décentralisation de l’humain en tant que force principale dans les crises écologiques et dans la dynamique du pouvoir mondialisé
- Représentations culturelles du corps posthumain: intersections du genre, de la race et de la technologie
- Écocritique et animalité: crises environnementales et relations entre humains et non-humains du point de vue des sciences humaines non hégémoniques
- Le néo-matérialisme et l’agentivité des choses: l’agentivité des objets et leur rôle dans les relations sociales, remettant en question la dichotomie sujet/objet
- Connaissances et expériences communautaires: le rôle des communautés racialisées, féminisées et minoritaires ainsi que des diverses formes d’activisme dans la construction d’alternatives épistémiques et ontologiques
- Politique subversive, mouvements sociaux et création d’autres mondes possibles: exploration de la capacité de transformation des marges à travers les visions posthumaines et décoloniales
Le colloque, qui se tiendra du 27 au 29 octobre 2025 à la Faculté des langues modernes de l’Université de Varsovie, et se déroulera entièrement en présentiel.
Nous invitons les chercheurs individuels, ou les groupes de recherche, à soumettre leurs propositions avant le 15 juin, en indiquant un titre, le nom des participants et leur titre universitaire, leur adresse électronique, leur institution, ainsi qu’un résumé de 250 mots accompagné d’une bibliographie à congreso.posthumano@gmail.com.
La notification d’acceptation sera envoyée après le 30 juin.