
La Revue des Lettres modernes (Minard), série « Ecolittératures », n° 2 : « Parcs privés ou publics, dans la littérature du XVIIIe siècle à nos jours, approche éco-poétique »
Appel à contributions
La Revue des Lettres modernes (Minard), série « Ecolittératures », n° 2 :
« Parcs privés ou publics, dans la littérature du XVIIIe siècle à nos jours, approche éco-poétique »
DIr. Catherine Tauveron
Le parc, privé ou public, au statut hybride entre nature et culture, est un espace clos paysagé, semi-sauvage, pris en main, réagencé, recomposé par l’homme. D’abord aménagé autour du château ou du manoir comme source d’agrément privé (la promenade et la chasse) et réserve de bois, avec ferme et écurie attenantes, il est apparu au milieu du XIXe siècle comme espace public au cœur des villes ou dans leur périphérie. Fruit d’une vaste politique hygiéniste, il est conçu pour le bien être physique et mental des populations citadines de plus en plus nombreuses et plus en plus malmenées. Il offre des services écosystémiques d’importance : amélioration de la qualité de l’air, lutte contre le bruit et la chaleur, préservation de la bio-diversité locale (faune et flore). On insiste par ailleurs sur ses vertus esthétiques et récréatives et sa capacité à renforcer le lien social. Concrètement, on peut y trouver de larges pelouses, des allées plus ou moins rectilignes, des prairies où peuvent paitre les troupeaux, des zones plus ou moins étendues plantées d’arbres aux essences variées qui assurent ombre et fraicheur, des pièces d’eau, des fontaines, des sculptures, des parterres fleuris, des roseraies, des jardins thématiques, des vergers, des labyrinthes. Au-delà de la faune qui subrepticement y trouve un refuge naturel, il peut abriter une faune introduite délibérément (gibier, cerfs, chevreuils, canards, cygnes, grande variété d’oiseaux colorés comme à Regent’s Park). Aujourd’hui, avec ses parcours de santé, ses aires de jeu pour les enfants, il étend et diversifie ses fonctions et son public. Il peut enfin se faire galerie à ciel ouvert, espace d’exposition d’artistes, plasticiens et sculpteurs (comme à Chaumont-sur Loire) qui, dans un esprit qui relève du « green art », à partir de la matière offerte par la nature même, produisent des œuvres éphémères. Alors que le jardin perçu comme un espace d’intimité a donné lieu à de nombreuses études littéraires, le parc espace théorique de sociabilité a été quelque peu délaissé. L’objectif de ce numéro est d’en dresser le portrait et les fonctions dans la littérature romanesque du XVIIIe siècle à nos jours, sans restriction géographique particulière, au besoin pour souligner les diversités culturelles dont il fait l’objet hors de France. Des incursions dans le domaine de la poésie, du théâtre, du cinéma et de la peinture sont possibles.
Quelques questions non exhaustives.
— Le parc a une histoire esthétique. A la renaissance, le parc qui entoure le château se fait, sous l’influence de paysagistes italiens, lieu « aux sentiers qui bifurquent », en coins et recoins, ménageant surprise et intimité (voir : par exemple le Domaine royal de Château Gaillard à Amboise, commandé par le jeune Roi Charles VIII à 22 artistes italiens sous la direction de Dom Pacello et baptisé par lui «le Paradis Terrestre», avec, pour la première fois en France, des orangers). Puis, dans une esthétique radicalement différente, viennent les immenses parcs géométriques à la française voulus par Louis XIV (faire de la nature un art ou dénaturer la nature par l’art ?), où les arbres se plient aux ciseaux, où les clôtures toujours là sont rendues invisibles par les perspectives sans fin. La Fontaine, découvrant le parc de Versailles, dans Amours de Psyché et Cupidon écrit :
On ne connaissoit point autrefois ces beautez
Tous parcs estoient vergers du temps de nos Ancestres
Tous vergers sont faits parcs : le savoir de ces maîtres
Change en jardins royaux ceux de simples bourgeois
Comme en jardins des Dieux ils changent ceux des Roys
Ces parcs géométriques sont dégéométrisés au XVIIIe siècle sous la forme des « parcs à l’anglaise », destructurés, sans centre et sans ligne droite, voulant donner l’image de la spontanéité et où le promeneur seul décide de son parcours. Les parcs les plus récents, aux esthétiques variées, cherchent moins à modeler la nature qu’à lui donner l’occasion d’exprimer le meilleur d’elle-même, singulièrement en accroissant sa bio-diversité. Autant de façons différentes de marquer la maitrise de l’homme sur son environnement et de dire quelque chose de l’idéal et du réel et plus généralement des manières d’être au monde. Quelles traces de cette histoire esthétique gardent les histoires qui se racontent dans les parcs, choisis comme terrain d’action ? Le modelage et l’aménagement concertés de la nature dont ils témoignent ont-ils une incidence sur les comportements et les émotions des visiteurs ? Quelle continuité ou quelle rupture note-t-on ? Comment, de manière différenciée ou non, au fil du temps, ces lieux de nature domestiquée, mais diversement domestiquée (qu’on opposera à la forêt supposée représentative de la nature inviolée ou presque) s’appréhendent-ils, pourquoi y entre-t-on, qu’y rencontre-t-on, qu’y fait-on, quelle expérience corporelle, sensorielle, esthétique, temporelle et sociale y vit-on ? Quelle métamorphose y subit-on ?
— Le parc a aussi une histoire symbolique. Dans l’espace temporel considéré, reste-t-il quelque chose de l’hypotexte édénique ou de l’hortus conclusus, jardin mystique cerné par un mur de clôture qui se veut la représentation allégorique du monde divin inaccessible où ce qui est à voir est au-delà de ce qui se donne à voir, espace idéal non corrompu, où l’homme va pouvoir entretenir au travers du chant de la nature une relation privilégiée avec l’au-delà, ou avec lui-même, dans le recueillement et la méditation ? Dans l’espace temporel considéré, reste-t-il quelque chose du locus amoenus de la littérature courtoise médiévale, refuge des amoureux, lieu paradisiaque, pur et sacré où le péché originel n’existe plus et où l’on peut s’extraire du regard de la société et se livrer à sa passion. Dans l’espace temporel considéré, le parc garde-t-il encore quelque chose du « vergier », lieu vert, frais et vigoureux qui possédait impérativement « un gazon bien vert d’herbes fines » semé de fleurs qui répandaient leur parfum délicieux, source d’un plaisir sensuel extrême où pouvaient s’étendre les amoureux (« On aurait pu y coucher sa bien aimée comme dans un lit, tant la terre y était douce et tendre », dit Guillaume de Lorris). Est-il théâtre de fêtes galantes à la manière de Watteau, lieu « solitaire et glacé » où les amoureux n’ont plus rien à se dire entre les topiaires ou encore espace pathologique et pathogène comme il le fut pour les décadentistes ? Est-il un lieu de repli, d’exaltation, d’ostentation et/ou de relations interdites ? S’y rend-on en promeneur solitaire pour tenter d’être ou pour paraître aux autres à la manière des dames et des messieurs du Bois de Boulogne à la fin du XIXe siècle ? S’y rend-on pour communier avec la nature, pour s’y cacher ou pour se montrer, se perdre ou se trouver ou trouver ses semblables ? Voire y risquer sa vie comme dans le roman policier qui n’oublie pas, depuis ses origines au XIXe siècle, que le parc reste un espace sauvage dans l’environnement « civilisé », semble-t-il aussi dangereux que la forêt des contes et lieu par excellence des mauvaises rencontres (singulièrement aujourd’hui pour les joggeuses). En bref le parc est-il, comme pour Jean Santeuil, « royaume du soleil » ou à l’inverse royaume de l’ombre, lieu d’enchantement ou de désenchantement, de ressourcement ou d’épuisement ?
— D’un point de vue narratologique, si l’on poursuit avec Jean Santeuil pour qui « les divers endroits de la terre sont des êtres aussi », à la personnalité forte, quel rôle précis le parc joue-t-il dans l’intrigue ? Simple décor qui pourrait ou ne pourrait pas être remplacé par un autre ou, plus intéressant, véritable personnage (dont la partition est à définir), et, plus intéressant encore, metteur en scène avisé, voire dramaturge, c’est-à-dire concepteur/initiateur de la trame du récit, de sa structuration dynamique et de sa tension narrative. Pour reprendre Greimas :
L’espace en tant que forme est une construction qui ne choisit pour signifier que telles ou telles propriétés des objets du réel […] Toutefois ce qu’il perd en plénitude concrète et vécue est compensé par des acquisitions multiples en signification : en s’érigeant en espace signifiant, il devient un « objet » autre.
Quel « objet » autre, plus justement quel sujet autre, devient cet « espace signifiant » ?
On attend sur toutes ces questions, une étude sociopoétique et écopoétique.
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Bibliographie
Barontini Riccardo, Buekens Sara, Schoentjes Pierre (dir.), L’horizon écologique des fictions contemporaines, Droz, 2022.
Beck Bernard, « Jardin monastique, jardin mystique. Ordonnance et signification des jardins monastiques médiévaux », Revue d’histoire de la pharmacie, 2000, pp.377-394.
Bernard Griffith Simone et Levet Marie-Cécile (dir.), Fleurs et jardins dans l’œuvre de Georges Sand, Clermont-Ferrand, PUBP, 2007.
Bernard Griffith Simone, Le Borgne Françoise, Madelénat Daniel, Jardins et intimité dans la littérature européenne (1750-1920), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008.
Chalonge (de) Françoise, « Espace, regard et perspectives. La promenade au bois de Boulogne dans la Curée d’Emile Zola », Littérature, 65, 1987, pp. 58-69.
Defraeye Julien et Lepage Elise (dir.), « Approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l’extrême contemporain », Études littéraires, Volume 48, numéro 3, 2019. https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/2019-v48-n3-etudlitt04741/1061856ar/
Deloisy Barthe Francine, « Parcs et jardins : étude de pratiques sociales urbaines », L’information géographique, Année 1998 62-3
Marcandier, Christine, L’écopoétique, Presses universitaires de Vincennes, 2025.
Pastoureau, Michel, Histoire d’une couleur : Vert, Paris, Seuil, 2023.
Rebaï, Elyssa. Esthétique et poétique des jardins : entre art et science, parcours et discours dans la fiction sandienne, Thesis, Université Clermont Auvergne (2017-2020), 2018. https://theses.fr/2018CLFAL007
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Les propositions de contribution (résumé de 3000 signes et rapide présentation biobibliographique) sont à envoyer avant le 20 septembre 2025 à l’adresse suivante : ctauveron@orange.fr
La revue a un calendrier très serré qui ne peut tolérer aucun délai. En conséquence, nous pensons nécessaire de signaler aux auteurs potentiels que les articles retenus devront impérativement être envoyés dans leur version définitive avant le 1er octobre 2026.