
Le récit de soi : le je autothéorique dans la production artistique contemporaine (revue Inter-lignes)
Dans le cadre de son prochain dossier thématique à paraître à l'automne 2025, la revue Inter-Lignes lance un appel à contributions sur le thème :
« Le récit de soi : le je autothéorique dans la production artistique contemporaine. »
L’idéal singulier de l’artiste, qu’il façonne au gré de son expérience, s’est désormais imposé à toutes les formes langagières comme un lieu de transformation de l’idéal collectif, de plus en plus enclin à s’affranchir des modèles sclérosants que les normes sociales, intellectuelles lui imposent pour le maintenir dans le cadre de croyances qui semble s’éloigner inexorablement des réalités du vingt et unième siècle, dans le prolongement de la deuxième moitié du vingtième. Décliné sous des appellations variées et composées à l’aide du morphème préfixal auto-, autobiographie, autoportrait, autofiction, il semble maintenant que le je qui se raconte dans un texte, pris dans son acception anthropologique, ne vise plus seulement à s’encenser, à s’ego centrer. Bien au contraire, il veut aussi s’extraire partiellement de lui-même sans se perdre complètement et faire de l’histoire le récit et du récit le lieu d’une critique en théorisant sur son vécu, et/ou inversement, en explorant la théorie grâce à ce même vécu. Il conçoit alors une performativité et par là suscite une réaction, laquelle alimente en retour sa propre réflexion sur les choses : le texte se fait autothéorique ; il devient source d’agentivité et d’agencéité : « […] l’autothéorie a besoin de la vie (ou de la pensée) de l’autre pour que l’auteur se conceptualise lui-même. Il s’agit peut-être d’un opposé de l’autofiction, puisque l’autothéorie repositionne plutôt le sujet dans le réel ; elle ne fonctionne pas seulement dans une logique de l’individu comme l’autobiographie. Elle a besoin d’une certaine forme d’altérité pour s’engendrer, pour que la multidimensionnalité de la subjectivité puisse se déployer. » (Mathilde Savard-Corbeil, 2023).
De la sculpture de Niki de Saint Phalle au cinéma d’Agnès Varda, de la littérature d’Annie Ernaux ou de Joseph Incardona, à la performance de Yoko Ono, de l’installation de Marcel Broodthaers à la chorégraphie de Zora Sanke, du ready-made d’Andy Warhol, à l’avant-garde de Yayoi Kusama, sans oublier les graffeurs tels que Lady Pink ou Panksy, ni les performeur / performeuses sur les réseaux sociaux, le blogs créatifs, etc., la production artistique est devenue le porte-voix d’un je qui résonne de plus en plus dans une sphère de la sociabilité moins étriquée et qui m’hésite pas à prendre position sur des questions d’ordre sociopolitique ou socioculturel en piquant par des critiques construites susceptibles de soutenir des hypothèses réalistes à partir de sa propre existence et de revisiter certains concepts, voire d’en impulser de nouveaux. Si le discours porté par ces différentes formes langagières se présente en effet comme une objection plus ou moins acerbe, traversée par des touches de fantaisie, il n’en est pas moins argumenté et procède selon le principe de la relation réflexive, une relation binaire entre le je et le tu tel que le conçoit Benveniste et entre les différentes identités de ce je. Il est précisément conçu comme une théorie, mais ici fondée sur l’expérience subjective, au sens profond de sujet animé par l’affectivité certaine de celui ou celle qui le produit. En ce sens, il n’a pas de valeur scientifique au sens strict, mais une valeur affective et symbolique scientifisée, puisque les seules preuves qu’il est en mesure de produire ne dépendent que de facteurs inhérents à l’intime ; pour autant, pragmatique, il n’est pas non plus dépourvu d’un certain cartésianisme. Cependant, il distille une certaine vérité que chacun peut approcher à un moment donné de son existence, dans un des interstices de son quotidien : l’expérience singulière ainsi communiquée, partagée et surtout raisonnée, pose un point de vue qui se dédouane, s’extirpe d’un dogmatisme que d’aucuns cherchent désormais à reconsidérer à partir de leur propre existence, à travers des projections, des changements de lieux, si ce n’est de chronotopes, notamment celui de l’identité et des identités révélées dans des parcours non fictionnels : il s’écarte alors de l’autofiction.
Quelle(s) place(s) occupe(nt) le triple je dans sa propre production pour engager un renouveau réflexif et performatif sur la conception du monde, organisé à partir de sa seule expérience ? En quoi l’expérience individuelle de l’artiste, cristallisée dans une forme langagière de quelque nature que ce soit, justifierait-elle suffisamment de tangibilité pour être crédible, tout en s’affranchissant de l’anecdotique, du banal ou du vulgaire ? Quels sont les moyens et techniques que l’artiste met en œuvre pour contrarier le discours ambiant, souvent conçu pour répondre à des critères bourgeois, dans sa production tout en en proposant une lecture actualisée selon sa vision des choses ? Quels sont les éléments plastiques et/ou esthétiques qui font trace dans les différentes formes de narration artistique pour porter la critique de l’artiste ou de l’auteur/l’autrice sous les traits de son propre personnage non-fictionnalisé ? Alors, comment la production artistique au sens large du terme (sculpture, peinture, photographie, cinéma, performance, installation, formes dématérialisées, littérature…) véhicule-t-elle un discours autothéorique ?
Les études littéraires ont su mettre en lumière de nouvelles approches dans le traitement de l’écriture du soi en explorant plus minutieusement le genre autobiographique, voire en le dépassant, si ce n’est en en pointant quelques limites, dont celle du pacte autobiographique aux saveurs frelatées et fallacieuses. Aussi, l’autofiction a offert de nouvelles perspectives à ce je qui s’écrit, aux formes de narration et au(x) personnage(s). Mais en disséquant davantage ses propres pensée(s) et réalité(s) contemporaines en étant ancré dans sa spatiotemporalité, l’écrivain a engagé intimement sa personne dans une littérature du quotidien en assumant pleinement toutes les instances narratives et en faisant de son propos une parole décomplexée qui sort de l’intime pour s’ancrer dans l’extime collectif : le vécu du je primaire, l’écrivant, se diffuse dans le texte ; il se déclame dans la voix du je secondaire, le je narrant, incarné dans le je tertiaire de son propre personnage : le je total est alors scénographié, il se réalise comme dans le réel, il est acteur conscient de ce réel second, comme le suppose l’écriture autothéorique : « […] les récits autothéoriques font de l’expérience incarnée et subjective une source de savoir et transforment la prise de parole à la première personne en un instrument d’intervention et d’opposition. » (Hannah Volland, 2023). Alors qu’en est-il des autres formes langagières ? Valident-elles aussi les principes organisateurs de l’autothéorie, à l’instar de la littérature, dont celle du quotidien ?
Nous attendons des auteurs / auteures qu’ils interrogent l’autothéorie dans toutes les formes langagières de nature artistique / esthétique : architecture, sculpture, peinture, photographie, musique, performance, installation, chorégraphie, littérature, formes dématérialisées, la liste étant ici non exhaustive. Les artistes, auteurs et autres performeurs mis à l’honneur par les auteurs / auteures des textes leurs seront nécessairement contemporains, pour évacuer tout anachronisme avec les principes même de l’autothéorie, dont l’essor remonte aux années mille neuf cent soixante, impulsée par et à la suite des mouvements féministes, et qui parcourent dorénavant les productions artistiques sans distinction de genre. Les études proposant des approches épistémologiques seront privilégiées.
Bibliographie indicative
FOURNIER, Lauren. Autotheory as Feminist Practice in Art, Writing, and Criticism, Cambridge (MA), MIT Press, 2022.
FREYERMUTH, Sylvie. « Une brève lecture du Cycle “La vie poétique” à travers l’étude de la constitution de la mémoire autobiographique chez Jean Rouaud », in Sylvie Freyermuth et Diana Mistreanu (éds.), Explorations cognitivistes de la théorie et la fiction littéraires, Paris, Hermann, 2023, p. 129-150.
MEIZOZ, Jérôme. Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007.
MISTREANU, Diana. Andreï Makine et la cognition humaine. Pour une transbiographie, Paris, Hermann, 2021.
MISTREANU, Diana. « Littérature et sciences cognitives : quels enjeux pour les rapports entre œuvre et biographie ? », Acta romanica, 24/2022, « Paradigmes en littérature, la littérature comme paradigme. Dés-essentialiser la littérature : apports et enlèvements », sous la direction de Timea Gyimesi, p. 25-44.
SAVARD-CORBEIL, Mathilde, L’autothéorie comme forme d’engagement de la littérature contemporaine, Esthétique et féminisme dans Saint Phalle. Monter en enfance de Gwenaëlle Aubry, https://doi.org/10.4000/fixxion.13271
VOLLAND, Hannah, L’écriture de soi comme forme de connaissance. Agentivité et autothéorie dans Mémoire de fille d’Annie Ernaux, https://doi.org/10.4000/fixxion.13456
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Les articles en français, anglais ou espagnol ne dépasseront pas 30 000 caractères (espaces, notes, notice biographique et résumés inclus) en caractères Times New roman 11 pour le corps du texte et Times New Roman 9 pour les notes de bas de page.
Ils devront être accompagnés d’une notice de l’auteur de 500 caractères maximum, ainsi que de trois résumés (avec 5 mots clés) en français, anglais et espagnol de 500 caractères chacun.
Charte typographique disponible sur demande.
Les textes devront être adressés avant le 15 septembre 2025 (pour parution à la fin du mois d’octobre 2025) par mail à :
Olivier Damourette : olivier.damourette@ict-toulouse.fr
Marie-Christine Seguin : seguinm40@gmail.com
Stéphane Lapoutge : stephane.lapoutge@ict-toulouse.fr
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Les textes proposés feront l’objet d’une double évaluation à l’aveugle
Les articles incomplets ne seront pas examinés par le comité de lecture
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Revue Inter-Lignes
Institut catholique de Toulouse
31 rue de la Fonderie
31000 Toulouse
Responsables de la revue
Directeur de la publication : Olivier Damourette
olivier.damourette@ict-toulouse.fr
Directrice de la rédaction : Marie-Christine Seguin
Url de référence : https://www.puict.fr/interlignes
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Présentation de la revue
La revue Inter-Lignes s’inscrit dans les champs disciplinaires des sciences humaines et sociales, les arts, les lettres, la linguistique ou encore les études cinématographiques. La revue est étroitement associée à l’unité de recherche Céres à travers sa thématique de recherche N°1, « Culture, Herméneutique et Transmission ».
Elle privilégie donc les articles qui s’appuient sur des recherches scientifiques dont l’objectif est d’éclairer des sujets liés aux problématiques des SHS et connexes.
Inter-Lignes publie deux numéros par an. Ils sont thématiques (avec l’élection d’un dossier) et complétés par des varia et des recensions auxquelles s’ajoutent trois rubriques (actualités francophones, cinéma et une sitographie recensant les meilleurs sites sur la question traitée).
Si les articles des numéros thématiques sont coordonnés et articulés par le rédacteur, les varia sont gérés par le comité de rédaction et peuvent être insérés dans n’importe quel numéro.
Elle se veut donc un espace d’échanges et un outil au service des chercheurs.