Actualité
Appels à contributions
Forêt et liminalité. Poétique et politique de la forêt en littérature et à l’écran (festival Transversales, Université Rennes 2)

Forêt et liminalité. Poétique et politique de la forêt en littérature et à l’écran (festival Transversales, Université Rennes 2)

Publié le par Marie Berjon (Source : Gaëlle Debeaux)

Forêt et liminalité. Poétique et politique de la forêt en littérature et à l’écran

Appel à communications

Journées d’étude de la 15e édition du festival Transversales, “Forêt Forêt Forêt”

Jeudi 20 et vendredi 21 novembre 2025, Université Rennes 2 / Hôtel Pasteur

 

Organisatrices : 

  • Gaëlle Debeaux (Rennes 2, CELLAM)
  • Diane Gagneret (ENS Lyon, IHRIM)

 

Selon Robert Harrison, qui érige la forêt en matrice sociale comme symbolique de la culture en Occident, « la civilisation occidentale a défriché son espace au cœur des forêts ». Il précise, à propos de l’Antiquité : « [l]a ténébreuse lisière des bois marquait les limites de ses cultures, les frontières de ses cités, les bornes de son domaine institutionnel ; et au-delà, l’extravagance de son imagination ». Si de l’Antiquité à l’Anthropocène, des premiers défrichements à la sixième extinction, l’histoire de l’humanité est indéfectiblement liée à celle de l’exploration et de l’exploitation des forêts, il s’agit là d’une histoire « remplie d’énigmes et de paradoxes » (Harrison) car la forêt, en tension perpétuelle entre le réel et l’imaginaire, fait place au sacré comme au profane, au danger comme à la découverte, à la perdition comme à l’apprentissage, au merveilleux comme au monstrueux… Lieu de toutes les contradictions qui, à ce titre notamment, pourrait être qualifié selon les critères foucaldiens d’« hétérotopie », espace non seulement duel mais éminemment pluriel, la forêt se prête donc à maintes réappropriations littéraires, visuelles et culturelles, tant du côté d’approches poétiques que politisées (notamment dans le cadre de la crise écologique actuelle). On renvoie ici aux différents travaux récents sur la forêt (Abécédaire de la forêt, sous la direction de Pascale Auraix-Jonchière et al. ; Nouveaux récits sur la forêt, sous la direction de Pascale Auraix-Jonchière et Frédéric Calas), ainsi qu’aux approches écocritiques et zoopoétiques de Pierre Schoentjes et Anne Simon. 

De ces réflexions inaugurales, il apparaît clairement que la forêt a le double pouvoir de délimiter (frontière réelle séparant espace civilisé et monde sauvage) et de dé-limiter (lisière ou seuil vers le libre déploiement des imaginaires). Foris, l’extérieur, l’en-dehors, et forestare, mettre en dehors ou bannir, attestent par l’étymologie de la fonction première des forêts qui « tracent la marge provinciale, littérale et imaginaire, de la civilisation occidentale » (Harrison). Frontière par excellence, la forêt tient cependant bien moins, dans la plupart de ses figurations, de la ligne infranchissable que de la lisière en tant que parangon de l’espace liminal, où s’ériger contre signifie aussi au contact de. Cette double journée d’étude se concentrera donc sur la liminalité inhérente à la forêt, et toutes ses ramifications possibles dans les diverses représentations littéraires, cinématographiques ou télévisuelles d’un espace toujours ouvert à la reconceptualisation. 

On déclinera l’approche de la forêt liminale de trois façons : 

La forêt-frontière peut être d’abord la limite à ne pas franchir, celle qui doit isoler, exclure, enclore et où marginalité rime non seulement avec mystère, mais aussi et surtout avec dangerosité. Qu’il s’agisse de la forêt des contes où est tapi le loup ou d’avatars plus contemporains tels que la Forêt Interdite dans la saga Harry Potter, voire de la forêt-refuge qui se referme sur les personnages (comme dans Sukkwan Island de David Vann) ; ou encore de la dark forest du gothique ou de celle qui, dans le monde réel et/ou imaginaire, ceint divers espaces de relégation (asiles, comme dans The Quickening Maze d’Adam Foulds, prisons…), la ligne de séparation, qui appelle simultanément au franchissement, est à la fois hermétique et poreuse. À ce titre, on pourra mentionner notamment les récits récents faisant de la forêt de Białowieża, dernière forêt dite primaire d’Europe mais aussi frontière naturelle et politique entre l’Union européenne et son extérieur, le lieu du déploiement du texte : par la fiction (comme chez Caroline Hinault qui publie Traverser les forêts) ou par le récit intime (comme dans La Forêt désormais de l’intérieur d’Irina Teodorescu), il s’agit pour les personnages de se confronter à cette forêt accueillante et menaçante, et dans les tentatives de franchissement de la frontière, d’éprouver son humanité.

Haut lieu de tous types de quêtes, retraites et rituels, peuplée de nymphes, druides et sorcières, la forêt est aussi le seuil fait pour être arpenté, espace de transition et de transformation. Accueillant notamment maints rites initiatiques, elle se constitue au titre de sa liminalité quintessentielle en espace d’(in)définition identitaire, où priment l’ambivalence et l’hybridité que Victor Turner associe à la phase liminale dans son étude des rites de passage. L’espace interstitiel permet de déjouer, ou du moins de jouer sur, les codes et les structures de la société comme de la langue. On pense ici au Jour des corneilles de Jean-François Beauchemin, où le protagoniste, vivant reclus dans la forêt avec son père, s’exprime dans une langue archaïque témoignant de son exclusion du monde, et de ce que la forêt comme espace précaire permet et empêche en termes de sociabilisation. On pourra s’intéresser ici, dans une perspective anthropologique par exemple, à la ritualisation de l’espace forestier, et à ses implications; à des récits de la traversée ou de la retraite en forêt (comme le célèbre Walden du transcendantaliste américain Henry David Thoreau, ou beaucoup plus récemment à Croire aux fauves de Nastassja Martin), pour interroger par exemple le motif du retour à la nature, ou le recours à la dialectique entre sauvagerie et civilisation; les métaphores de la forêt (la métaphore constituant une figure-seuil par excellence); les phénomènes d’hybridité et d’indétermination à l’oeuvre dans les représentations de la forêt (où les protagonistes de As You Like It de Shakespeare, par exemple, brouillent les frontières du genre). On pourra également tenter de cerner la façon dont la traversée de cette forêt-seuil transforme, à la manière de ce qui se joue à l’ouverture du Château des destins croisés d’Italo Calvino (où la traversée de la forêt concentre les épreuves et rend les personnages muets).

La forêt, enfin, est aussi le lieu où vivre : la frontière s’étend au point de se faire espace. Dans cette forêt-espace, lieu vécu et habité, tout est flux : on est loin de la stase, mais du côté de l’approfondissement et de la familiarisation. Par ce biais, la forêt permet des reconfigurations pérennes, du moi (de celui qui l’habite) comme d’elle-même (dans une forme de symbiose ou de lutte). Ici, on s’intéressera en particulier au motif de la métamorphose, et à la façon dont les récits font de la forêt une entité habitée de multiples façons, un écosystème vivant et permettant d’interroger le vivant (on renvoie ici à Apprendre à voir d’Estelle Zhong Mengual). On s’intéressera également aux récits d’installation dans la forêt : comment y construire sa cabane (on pense aux travaux de Marielle Macé, mais aussi à l’ouvrage d’Alice Carabédian sur L’Utopie radicale), et de quelle façon cet enjeu reconfigure la mise en récit - délaissant l’intrigue et le motif de l’exploration et de l’aventure (le paradigme indiciaire à la Ginzburg) pour le déploiement d’un récit sans début ni fin (comme ce que postule Ursula Le Guin dans The Carrier-bag Theory). A ce titre, on pense notamment au Mur invisible de Marlen Haushofer, ou d’autres récits souvent portés par des autrices, où l’enjeu central est de vivre (dans) la forêt ; on pense évidemment à Into the Forest de Jean Hegland, ainsi que la suite Here in This Next New Now, mais on pourra évoquer toute la veine des récits dystopiques ou de l’effondrement (voir les travaux de Jean-Paul Engélibert à ce propos) qui réinventent un futur possible dans la forêt. En ce sens, on pourra s’interroger sur ce que devient la forêt : lieu de l’utopie, c’est-à-dire contre-modèle idéalisé (comme dans Ecotopia d’Ernest Callenbach) et impossible à faire exister dans notre monde; de la dystopie, c’est-à-dire renversement des valeurs et impossibilité de faire perdurer un système alternatif vertueux (comme dans Tabor de Phoebe Hadjimarkos-Clarke ou encore Greenwood de Michael Christie); ou bien hétérotopie au sens foucaldien, soit un lieu absolument autre, une « utopi[e effectivement réalisé[e] dans [laquelle] tous les autres emplacements réels [...] sont à la fois représentés, contestés et inversés ». Enfin, on pourra ici explorer les récits qui choisissent volontairement de quitter une perspective uniformément anthropocentrée pour laisser place au vivant et tenter de lui donner un langage (comme dans La Divine forêt de Giuseppe Bonaviri) ou une image (comme dans Le Règne animal de Thomas Cailley). 

Plusieurs angles d’approches pourront être mobilisés (liste non exhaustive) : 

  • approches interdisciplinaires : forêt et histoire, anthropologie et littérature et/ou cinéma, biologie et littérature et/ou cinéma, etc.
  • forêt et culture populaire (cinéma d’horreur, genre gothique, séries, dessins animés, etc.)
  • forêt et climate fiction, approches écocritiques et écopoétiques
  • la forêt et le vivant
  • forêt et espace mental ; la forêt comme seuil entre landscape et inscape / mindscape (la forêt comme espace dans lequel la frontière entre le moi et le monde se brouille) ; forêt et folie
  • la forêt comme espace historique de relégation, apte à accueillir les peurs et masquer ce qu’on ne veut pas voir
  • forêt et approches féministes / de genre
  • forêt, utopie, dystopie et hétérotopie
     

Cette double journée d’étude se tient dans le cadre de la 15e édition du festival Transversales, festival littéraire et artistique porté par le département des Lettres de l’université Rennes 2, le service culturel et l’association étudiante FTR2. Retrouvez la programmation complète du festival sur le site internet de l’événement. Dans ce cadre, la journée d’étude accueillera également une table ronde avec des artistes, et un.e auteur.ice en partenariat avec le festival Étonnants Voyageurs. 

Les propositions de communication (1 page maximum) ainsi qu’une notice bio-bibliographique sont attendues pour le 25 juin 2025, et à adresser à gaelle.debeaux@univ-rennes2.fr et diane.gagneret@ens-lyon.fr (conjointement). Les réponses seront envoyées avant le 12 juillet.