
Créations, pratiques et engagements des collectifs éditoriaux (Mémoires du livres/Studies in Book Culture)
Appel de textes pour Mémoires du livres/Studies in Book Culture (vol. 17, no. 2) :
« Créations, pratiques et engagements des collectifs éditoriaux »,
sous la direction d'Antoine Fauchié et Margot Mellet
À l’image du collectif littéraire (Glinoer et Lacroix, 2020), comme « forme distincte de l’action collective », le collectif éditorial est un lieu de réflexion et d’exploration de façons de faire de l’édition par la collaboration. Cet espace éditorial qui définit son identité par la synergie entre les actions individuelles fait ressortir des notions d’intelligence collective, de commun militant (Fredriksson et Sauret, 2019), de cristal de connaissances (Sauret, 2017; Stern et al., 2015) ou de conversation savante (Merzeau, 2013; Sauret, 2020). Cette structure éditoriale témoigne d’agencements éditoriaux avec les environnements techniques, en résistant à une institutionalisation, et d’actualisations constantes de la chaîne de production avec les développements de la culture numérique. Les pratiques des collectifs peuvent en ce sens constituer un engagement vis-à-vis de dynamiques comme l’imposition d’usages standards, la reproduction de dispositifs de domination ou l’obsolescence programmée des outils comme des formats. Il en est ainsi de la constitution du livre (Borsuk, 2021).
Ainsi ce sont les problématiques suivantes qui motivent le présent dossier : comment est-ce que les pratiques éditoriales de ces collectifs, au contact de la culture numérique, évoluent, changent ou se stabilisent ? Comment les collectifs permettent de faire naviguer l’édition entre déterminations des pratiques par les outils numériques (traitement ou éditeur de texte, annotation, PAO ou logiciel de composition) et appropriation libre de ces outils ? Dans les reconfigurations des façons de faire de l’édition qu’ils proposent, à quel moment la chaîne de production se fige-t-elle et s’institue comme un nouvel ordre ? À quel point les pratiques sont-elles à nouveau légitimées et visibilisées dans ces structures collégiales ou indépendantes qui refusent le modèle hiérarchique ?
Dans le paysage actuel, chaque strate sociale semble devoir adopter les dernières évolutions techniques, tout devenant logiciel (Manovich, 2013), causant le déséquilibre d’une écologie déjà bien menacée (Association pour l’écologie du livre, 2020), et uniformisant les pratiques et les métiers éditoriaux (la grande majorité des chaînes de production utilisent les logiciels et plateformes ne convenant pas toujours à leurs besoins). Les praticiens et les praticiennes de l’édition, et principalement dans les collectifs à taille réduite, souffrent d’une faible légitimité alors que ces communautés développent des nombreuses pratiques originales, alternatives, innovantes, voire marginales. Comment, dans ce contexte et en fonction de leurs pratiques situées, les instances éditoriales et les collectifs qui les font exister réagissent-ils, agissent-ils et pensent-ils de nouveaux modes de création et de production du texte ? Comment les identités éditoriales répondent-elles à l’impératif de productivité (publish or perish) tout en demeurant attentives aux impacts climatiques des nouvelles technologies utilisées dans leurs chaînes éditoriales ?
Si des théories sur l’édition – sur ses processus, enjeux et figures – sont produits par le monde académique (Bhaskar, 2013; Bourassa et al., 2018; Epron et Vitali-Rosati, 2018; Murray, 2021; Ouvry-Vial, 2007; Sordet, 2021), il reste que ces notions se trouvent parfois en décalage avec la réalité des pratiques (Hazan et Moret, 2016). Souhaitant observer les intérieurs du monde éditorial et écouter les praticiens et praticiennes témoigner de leurs réalités, le présent dossier compte aller à la rencontre des collectifs éditoriaux pour mieux comprendre comment les lignes éditoriales s’articulent concrètement et techniquement avec les enjeux climatiques actuels mais également permettre d’instaurer un dialogue entre pratiques et théories.
Fonctionnement de l’appel
En amont du collectif éditorial se pose un principe de dialogue – dialogue entre les expertises, entre les pratiques, entre les outils – que le présent dossier souhaite représenter et poursuivre vers des enjeux contemporains. C’est pour cette raison que le présent dossier va adopter cette dialogie au sein même de son fonctionnement éditorial en proposant une structure en plusieurs temps :
1. Les collectifs éditoriaux et chercheur·euse·s intéressé·e·s à participer au dossier pourront répondre à cet appel en nous présentant leur profil (leurs pratiques, ligne éditoriale ou leurs intérêts de recherche). Nous nous donnerons également la liberté dans cette première étape d’inviter directement des instances préssenties et des chercheur·euse·s. À la suite de ce temps d’appel, nous composerons un collectif pour le dossier, rassemblant ainsi plusieurs collectifs éditoriaux et chercheur·euse·s. Le dossier est également ouvert à des réflexions et des études de cas sur les collectifs éditoriaux (contemporains, historiques).
2. S’en suivra une étape d’entretiens que nous mènerons avec chacun des collectifs éditoriaux. Les chercheur.e.s seront invités à participer à cet espace-temps de conversation si les praticiens et praticiennes le souhaitent. En parallèle, les chercheur.e.s du projet débuteront leur travail de rédaction, qu’une première publication des entretiens viendra agrémenter pour incarner encore davantage le dialogue entre pratique et théorie et pour confronter les concepts – parfois établis hors des lieux de l’édition – aux pratiques concrètes éditoriales. Les articles seront publiés selon la politique éditoriale de la revue : https://www.erudit.org/fr/revues/memoires/#journal-info-editorial_policy
3. La publication du dossier présentera les résultats de ce processus mêlant témoignages depuis le terrain même et réflexions. Le dossier dans sa forme finale comprendra donc des articles qui se feront l’écho des entretiens également présents.
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L’appel à propositions est ouvert aux chercheuses et aux chercheurs de toutes les disciplines (littérature, histoire, bibliothéconomie, économie, sciences de l’éducation, sciences politiques…). Les personnes intéressées sont priées d’envoyer leur proposition de 300 mots, accompagnée d’une notice biographique de 150 mots, à antoine.fauchie@umontreal.ca et margot.mellet@usherbrooke.ca avant le 1er septembre 2025.
Après l’évaluation des propositions, un avis d’acceptation ou de refus sera émis au plus tard le 1er octobre 2025. Les articles en texte intégral doivent être remis au plus tard le 1er mars 2026. Les articles complets, d’une longueur de 25 000 à 60 000 signes (espaces et notes incluses), seront publiés à l’automne 2026. Ils seront soumis à une évaluation en aveugle par les pairs.
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Références
Association pour l’écologie du livre. (2020). Le livre est-il écologique ? Matières, artisans, fictions. Wildproject.
Bhaskar, M. (2013). The content machine: towards a theory of publishing from the printing press to the digital network (London).
Borsuk, A. (dir.). (2021). The Book: 101 Definitions. Anteism.
Bourassa, R., Haute, L. et Rouffineau, G. (2018). Devenirs numériques de l’édition. Sciences du Design, n° 8(2), 2733. https://doi.org/10.3917/sdd.008.0027
Epron, B. et Vitali-Rosati, M. (2018). L’édition à l’ère numérique. La Découverte.
Fredriksson, S. et Sauret, N. (2019). Écrire les communs. Au-devant de l’irréversible. Sens public. https://doi.org/10.7202/1067421ar
Glinoer, A. et Lacroix, M. (2020). Introduction [La littérature contemporaine au collectif]. Acta fabula. https://doi.org/10.58282/colloques.6676
Hazan, É. et Moret, E. (2016). Pour aboutir à un livre. La Fabrique éditions.
Manovich, L. (2013). Software Takes Command. Bloomsbury.
Merzeau, L. (2013). Éditorialisation collaborative d’un événement. Communication et organisation. Revue scientifique francophone en Communication organisationnelle, (43), 105122. https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.4158
Murray, S. (2021). Introduction to Contemporary Print Culture: Books as Media. Routledge.
Ouvry-Vial, B. (2007). L’acte éditorial : vers une théorie du geste. Communication & langages, (154), 5974. https://doi.org/10.3406/colan.2007.4691
Sauret, N. (2017, 12 avril). Entretien avec Jean-Claude Guédon : on «crystal of knowledge» · Nicolas Sauret [Carnet de recherche]. Nicolas Sauret. http://nicolassauret.net/carnet/2017/04/12/entretien-avec-jean-claude-guedon-on-crystal-of-knowledge/
Sauret, N. (2020). De la revue au collectif : la conversation comme dispositif d’éditorialisation des communautés savantes en lettres et sciences humaines [thèse de doctorat, Université de Montréal]. https://these.nicolassauret.net/
Sordet, Y. (2021). Histoire du livre et de l’édition : production & circulation, formes & mutations. Albin Michel.
Stern, N., Guédon, J.-C. et Jensen, T. W. (2015). Crystals of Knowledge Production. An Intercontinental Conversation about Open Science and the Humanities. Nordic Perspectives on Open Science, 1, 1. https://doi.org/10.7557/11.3619