
Revue algérienne des lettres RAL
Appel à contributions pour un numéro spécial
Frantz Fanon : universalité et transdisciplinarité
Numéro coordonné par Belabbas BOUTERFAS
Jamais les idées d’un homme qui, dépourvu de pouvoir, de soutien d’institutions politiques, culturelles ou financières accompagnatrices ou, de tout autre forme d’assistance, n’ont pu transcender les frontières géographiques, disciplinaires, historiques comme celles de Frantz Fanon.
Les pertinences transhistorique et transnationale de celles-ci, leur intersectionnalité (Kimberlé, 1989) et leur influence sur divers champs disciplinaires deviennent de véritables outils théoriques indispensables à la compréhension de phénomènes tant historiques que contemporains dans des contextes géographiques et culturels différents.
Dans Les Damnés de la terre, Fanon expose les mécanismes dont se sert le pouvoir colonial pour sa mainmise totale sur le colonisé et son espace de vie. Dans le chapitre un De la violence, il explique d’abord que la colonie est le résultat d’une conquête militaire suivie et renforcée par la mise en place d’une administration civile et policière (Mbembe, 2007). La matrice originelle, explique-t-il, est la guerre, forme maximale de la lutte à mort. L’installation de la colonisation se structurera en espace binaire où apparaitra la ville du colon et la ville du colonisé, l’humanisation du colon et l’animalisation du colonisé d’où découlera une seconde forme de séparation, la séparation des valeurs : le colon se pose comme le Bien et pose comme le Mal, le colonisé.
Devant cette situation de violence inouïe, continue-t-il, décoloniser consistera à rejeter la dichotomie, la compartimentalisation du monde colonial et à décoloniser l’être : «La décolonisation est véritablement création d'hommes nouveaux ». La « chose colonisée » devient, dit-il, «un homme dans le processus même par lequel elle se libère» (Kimberlé, 1989). Cette remise en cause intégrale ne pourra se faire sans violence, une violence annonciatrice d’un renouveau, d’une réhumanisation du colonisé. Dans ce nouveau chantier, le colonisé en construction, tiendra compte de l’apport de l’Europe et de ses crimes à la fois, et pour faire avancer l’humanité entière, il n’imitera pas son passé mais se rappellera de tout pour mieux se réinventer et découvrir.
Ce rappel permet de situer l’homme et le contexte de son centenaire. Le monde fêtera le centenaire de sa naissance en 2025, Frantz Fanon étant né le 20 juillet 1925 en Martinique et a eu l’Algérie comme laboratoire d’où ont jailli ses théories sur les œuvres du colonialisme dans toute sa voracité. Et c’est à cette occasion que la Revue algérienne des lettres RAL a pensé lui dédier un numéro spécial, cette année 2025.
C’est l’universalité et la contemporanéité des idées de Fanon que nous avons choisi d’aborder sous divers angles. C’est aussi les impacts de ses travaux sur les générations présentes en Afrique et en Amérique du Sud notamment qui méritent de s’y intéresser. L’étude de ses idées sur le colonialisme, l’identité et la résistance du colonisé, la psychologie de l’oppression, sont devenues de véritables outils théoriques que les sciences humaines et sociales (sociologie, philosophie, psychologie, histoire, psychanalyse …) utilisent de plus en plus pour mieux appréhender les enjeux actuels.
Dans un monde dominé par les Blancs, Fanon a exploré les complexités de l’identité du colonisé ; et les études sur l’intériorisation de l’oppression, le désir de reconnaissance et de la construction deviennent des références universellement reconnues. Ses travaux qui concernent les impacts du colonialisme sur les structures sociales de la société colonisée et sur les relations colon/colonisé, ont doté les sociologues contemporains de clés pour les études sur la race (Paul Gilroy, Stuart Hall), ils ont aidé au développement de la philosophie postcoloniale (Judith Butler, Homi Mhabha, Enrique Dussel, Lewis Gordon). D’autres travaux sur l’expérience de la racialisation repris et développés par Bell Hooks et Angela Davis suscitent un intérêt grandissant dans les milieux scientifiques contemporains.
La théorisation de la violence et l’explication des phénomènes qui l’engendrent permirent aux mouvements sociaux dans des sphères culturelles différentes par leur Géographie, leur Histoire et leur Culture de se les approprier et d’en faire des outils de lutte contre l’oppression et contre ses impacts psychologiques desquels le colonisé devait se libérer. De même, pour la psychologie de la libération, champ qui s’intéresse aux effets de l’oppression et sur les stratégies de résistance psychologique.
Enfin dans le monde des études littéraires, les idées de Fanon furent suivies avec intérêt par un florilège d’auteurs dans les littératures, africaine et caribéenne notamment Aimé Césaire, Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Daniel Boukman et d’autres ailleurs, comme Edward Said. Autant d’exemples de sphères culturelles, de disciplines, de personnages que les travaux de Fanon ont transcendés et inspirés par leur justesse et leur contemporanéité.
Depuis des décennies maintenant, les théories de Fanon, originaire du Tiers-Monde, furent pensées pour libérer cet espace sous domination et ses combats furent menés sur un des terrains de cette même sphère, l’Algérie. Plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, depuis l’un des espaces jadis sous domination, l’Amérique du Sud, Grupo Modernidad /Colonialidad, (groupe modernité/Colonialité), dont les membres Walter Mignolo, Catherine Walsh, Enrique Dussel, Arturo Escobar, Ramón Grosfoguel ou encore Santiago Castro-Gómez, affirme que la décolonialité (Mignolo, 2013) est tiers mondiste. Ce courant de pensée né dans le prolongement des travaux d’Edward Said a été inspiré par les idées de Frantz Fanon et encouragé par les résolutions de la conférence de Bundung en 1955 et celle des pays non-alignés de Belgrade en 1961. Les travaux de ce groupe expliquent que la modernité est une facette de la colonialité et ne pas la remettre en cause, telle que présentée, induit l’acceptation d’un autre type de colonialisme. L’Homme Blanc, s’est imposé par le développement scientifique, le progrès et par un type de civilisation qu’il a imposé par la violence comme modèle universel et qui continue de le faire aujourd’hui, par d’autres moyens. Cette colonialité est imposée de diverses manières, le pouvoir, le savoir, la négation de l’Autre rendu inhumain et invisible. Pour expliquer la décolonialité, ils utilisent les mêmes concepts que Fanon. Elle repose sur la remise en cause de l’idée de la supériorité de l’homme blanc, du colon sur le colonisé, du savoir du colon et de sa science. Elle s’appliquera à faire émerger le « colonisé » d’aujourd’hui, le sortir de son invisibilité, de sa déshumanisation, autrement dit, remettre en cause « la construction binaire du monde : colonisateur/colonisé, Europe/non-Europe, peau claire/peau foncée ». Cette invitation à repenser le monde, à questionner la modernité par des outils autres, s’appellerait la Transmodernité.
Fanon a consacré sa vie à la libération de l’homme, il a été le porte-parole des humiliations vécues en Algérie colonisée (Achour, 2011), il est, de ce fait, un patrimoine mondial qui a pu s’ouvrir les chemins et frapper aux portes des sciences sans en privilégier une en particulier et c’est pour cette raison que ce numéro spécial centenaire de Fanon est ouvert aux sciences humaines et sociales et englobera les diverses facettes du personnage.
Axes de réflexion (à titre indicatif)
1- La colonisation et le monde binaire.
2- Le processus de décolonisation et la violence.
3- L’impact des idées de Fanon sur les mouvements nationaux dans le monde
4- L’impact des travaux de Fanon sur le courant postcolonial.
5- Fanon face aux inconséquences de la mondialisation.
6- La décolonisation par la psychiatrie
7- Transmission pédagogique et curriculum décolonial : Usage de Fanon dans l’éducation décoloniale, la formation universitaire et les Cahiers pédagogiques
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Références bibliographiques
COLLIN Ph. et QUIROZ L. 2023. Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d'Amérique latine. La Découverte. Paris.
MIGNOLO W. 2013. « Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique », Mouvements, 73 | 1. pp.181-190. Traduction de l’Anglais par Vanessa Lee.
KIMBERLE C. 1989. "Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics," University of Chicago Legal Forum: Vol. 1989: Iss. 1, Article 8. http://chicagounbound.uchicago.edu/uclf/vol 1989/ iss1/8
MBEMBE A. 2007. « De la scène coloniale chez Frantz Fanon ». Rue Descartes. 2007 | 4, n° 58. pp. 37-55.
FANON F. 1970. Les Damnés de la terre. Petite collection Maspéro. Paris.
ACHOUR Chr-Ch (dir.). 2011. Frantz Fanon, «Mon Fanon à moi». Algérie Littérature/Action, n° 153-156, septembre-décembre 2011, pp. 153-156.
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Calendrier
Lancement de l’appel à contributions : 20 mai 2025
Date limite de réception des articles pour évaluation : 5 novembre 2025
Mise en ligne du numéro : février 2026
Lien de téléchargement du Template : https://www.asjp.cerist.dz/en/PresentationRevue/523
Lien de soumission des articles : https://www.asjp.cerist.dz/en/submission/523
Site officiel de la revue : https://journals.univ-temouchent.edu.dz/index.php/RAL
Langues de rédaction et de publication : français, anglais, espagnol.