
Ordre et désordre dans la presse : nouveaux métiers, matérialité des imaginaires et duels de plume et d’épée au cours du long XIXe siècle
(English below)
L’objectif de ce colloque international, organisé par le Dipartimento di Civiltà e Forme del Sapere dell’Università di Pisa et le Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC) de l’Université Côte d’Azur, est d’approfondir la connaissance des formes de l’essor inédit de la presse à partir de la fin du XVIIIe siècle, et jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il s’inscrit dans la lignée d’un renouvellement historiographique en cours, et qui a donné lieu à un premier colloque international organisé à Nice en 2023, dont les actes ont été publiés (L’envers du décor journalistique. Acteurs et formes médiatiques en Méditerranée, Paris, Classiques Garnier, 2024). Pour cette nouvelle manifestation, il s’agit d’appréhender de nouveaux pans de la grande transformation médiatique qui a marqué la transition entre les anciens régimes et le monde contemporain, à la fin du XVIIIe siècle, et durant tout le long XIXe siècle qui suit, au gré des luttes pour la liberté de la presse, du développement industriel de la production journalistique et de l’alphabétisation des populations. Si, pendant longtemps, l’historiographie a privilégié un prisme politique pour l’étudier, depuis trois décennies les recherches ont porté une grande attention aux dimensions culturelles, littéraires sociales, économiques et matérielles des journaux.
C’est ce renouvellement historiographique qu’il s’agit d’approfondir, en prenant pour objet un espace euro-atlantique et méditerranéen, au sein duquel la « civilisation du journal » a connu, durant le long XIXe siècle, un épanouissement inédit. Une grande variété de supports périodiques caractérise ce développement, avec des formes aussi bien écrites qu’iconographiques, accompagnées par l’essor de nouvelles techniques d’imprimerie, comme la lithographie. Ces productions médiatiques se structurent, dans leurs formats, leurs genres, leurs rubriques, leurs rédactions, et contribuent à dire le monde, à sa mise en ordre ou en désordre, à forger des imaginaires sociaux, culturels et politiques. Elles s’inscrivent dans des champs médiatiques dans lesquels s’inscrivent des formes de collaboration, mais aussi d’opposition et de concurrence, dans des duels de plume, mais aussi parfois d’épée voire de pistolet, au fil de provocations entre journalistes. Elles charrient aussi une certaine hostilité, de la part des pouvoirs, qui tentent de les contrôler, par la loi ou la justice, mais aussi avec des méthodes policières et des saisies, ainsi que de la part du public entraînant des réactions graduées pouvant aller jusqu’à l’attaque physique contre une rédaction.
Pour explorer toutes ces problématiques, trois axes ont été définis :
1/ La presse et la mise en ordre du monde social : susciter, conforter ou renverser des imaginaires sociaux
Ce premier axe prend pour objet d’étude la manière dont la presse, avec ses journalistes, correspondants, dessinateurs/graveurs, collaborateurs occasionnels, à travers leur accès privilégié à l’écrit ou à l’image, construisent, renforcent, modifient ou renversent publiquement des imaginaires sur des groupes sociaux ou professionnels plus ou moins importants et identifiés. L’insistance est mise sur les productions médiatiques (textuels et iconographiques) qui œuvrent à la définition de catégories sociales en construction (femmes, enfants, ouvriers, artisans, bourgeois) ou de personnes (célébrités) ou groupes liés à une activité (artistes), dans la lignée de travaux sur le rôle des journaux dans la division du monde social et sur la matérialité des imaginaires. L’intérêt d’une telle approche est également de mettre l’accent sur la manière dont ils s’appliquent aussi aux métiers de presse, contribuant à construire et légitimer l’imaginaire qui les concerne, et à faire émerger une certaine vision de ce qu’est un journaliste ou un illustrateur au cours du long XIXe siècle. Cela accompagne la dynamique de professionnalisation du journalisme et contribue également à l’élaboration progressive d’une forme d’éthique journalistique, à travers des publications, mais aussi des égo documents, comme les correspondances et les mémoires des journalistes, éditeurs/éditrices, et de tous les autres acteurs/actrices du champ journalistique.
2/ La presse illustrée : producteurs/productrices et productions d’iconographie journalistique
Dans la lignée de l’axe précédent, une importance particulière est accordée à l’image, à sa production et à son intégration progressive dans les journaux et périodiques, sous la forme de caricatures comme d’illustrations. Les communications devront mettre en avant l’aspect matériel – les techniques, les pratiques et leur évolution dans le temps –, les logiques de l’anonymat ou de la signature des œuvres, ainsi qu’une approche plus sociale et culturelle, sur les parcours et le statut des caricaturistes et autres illustrateurs, graveurs et dessinateurs, et réfléchir sur la possible professionnalisation de ces nouveaux métiers de la presse. L’image peut être un outil, positif, de construction d’un imaginaire public valorisant, mais également un instrument de violence symbolique, qu’elle concerne les femmes et hommes de presse, ou bien, en dehors du champ journalistique, des pouvoirs, des individus et des groupes sociaux, ce qui, parfois, provoque en retour une violence plus ou moins importante.
3/ Désordres journalistiques : les violences de presse
Dans la continuité des axes précédents, la perspective envisagée ici est double : interne, entre les femmes et hommes de presse, et externe, en rapport avec le public et les pouvoirs. Dans le champ journalistique, lorsque la concurrence devient trop rude et l’opposition trop marquée, surgissent des formes de violence de plume, d’épée et même, parfois, de pistolet – de la simple polémique, à l’insulte publique, puis l’agression physique et jusqu’au duel meurtrier. Les affrontements qui dégénèrent parfois en règlements de comptes qui s’organisent, bien souvent, sous la forme du duel, alors commune au XIXe siècle. Cette violence interne au champ journalistique le déborde aussi largement, et intervient dans la relation entre les rédactions et les publics. Ainsi, il est de nombreux cas où les journalistes sont pris pour cible en tant que tels, avec des atteintes à la presse qui peuvent aller de l’autodafé publique, en brûlant les exemplaires d’un journal, à la manifestation contre une rédaction, voire à la dégradation et l’attaque de son bureau, jusqu’à des actions plus brutales contre les biens ou les personnes des journalistes ou éditeurs. Cette violence prend aussi les formes de la répression lorsqu’un pouvoir décide de s’en prendre à une ou plusieurs rédactions, organisant une surveillance policière, des saisies ou des destructions matérielles, qui accompagnent une répression également judiciaire (répression réalisée aussi par le moyen de délits, comme celui de diffamation, réglementé de manière différente selon les lieux et les époques dans ses déclinaisons visant à protéger les victimes – ou présumées telles – des offenses liées à la réputation).
Toutes ces perspectives analytiques ne peuvent se limiter, comme l’a trop souvent fait l’historiographie de la presse, à un seul terrain d’étude national. Ces logiques dépassent les frontières, selon des logiques transnationales, et sans être nécessairement propres à des courants politiques ; elles sont une partie intégrante de la grande transformation médiatique qui a marqué le long XIXe siècle.
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Conditions pour les propositions :
Les propositions sont à soumettre par mail à l’adresse suivante : ordinedisordineconvegno@gmail.com
Elles peuvent être rédigées en français, en anglais, en espagnol ou en italien, les langues du colloque.
La longueur maximum est de 3000 signes. Chaque proposition doit comporter :
· Une présentation de l’argumentaire de la communication
· Une description des sources utilisées
· Une brève bio-bibliographie de l’autrice ou l’auteur
Le terme de la période de proposition est fixé au 25 juin 2025.
Les résultats de la sélection seront communiqués d’ici le 10 juillet 2025.
Le colloque se déroulera à l’Université de Pise les 9 et 10 décembre 2025.
Les frais de voyage et d’hébergement seront pris en charge par l’organisation.
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Comité scientifique et d’organisation :
Gianluca Albergoni, Università di Pavia
Elisa Baccini, Università di Pisa
Julien Contes, Université Côte d’Azur- Università di Pisa
Gian Luca Fruci, Università di Pisa
Jean-Paul Pellegrinetti, Université Côte d’Azur
Giuseppe Perelli, Scuola Normale Superiore, Pisa
Chiara Santarnecchi, Università di Pisa – Université Paris Est-Créteil
Ginevra Villani, Università di Padova – Ca’ Foscari
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Order and Disorder in Print: Emerging Professions, Materiality of Imaginaries, and Pen and Sword Duels in the Long Nineteenth Century
This international conference, jointly organized by the Department of Civilizations and Forms of Knowledge at the University of Pisa and the Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC) at Université Côte d’Azur, seeks to deepen our understanding of the evolving landscape of print culture from the late eighteenth century to the eve of the First World War. It builds upon recent historiographical shifts and follows a first international conference held in Nice in 2023, the proceedings of which have been published (L’envers du décor journalistique. Acteurs et formes médiatiques en Méditerranée, Paris, Classiques Garnier, 2024). This second edition aims to explore new dimensions of the sweeping media transformation that marked the transition from the Ancien Régime to the modern era. The late eighteenth and long nineteenth centuries witnessed profound developments: the struggle for press freedom, the industrialization of print production, and the spread of literacy. While political analysis has long dominated the historiography of the press, over the past thirty years increasing attention has been devoted to its cultural, literary, social, economic, and material dimensions.
This conference intends to advance this renewed perspective by focusing on the Euro-Atlantic and Mediterranean spaces, regions in which the «civilization of the newspaper» experienced remarkable growth throughout the long nineteenth century. This expansion was characterized by a proliferation of periodical formats, both textual and visual, and by the adoption of new technologies such as lithography. The periodical press evolved through a wide range of formats, genres, editorial sections, and production modes, playing a crucial role in narrating, ordering – and at times disordering – the world, while shaping political, cultural, and social imaginaries. These media landscapes were shaped by collaboration and competition alike, giving rise to both metaphorical and literal duels of the pen, sometimes escalating into physical confrontations, including duels fought with swords or pistols, often sparked by journalistic provocation. The press was also a target of hostility: from authorities seeking to control it through laws, surveillance, and censorship, and from members of the public, whose responses could extend to violent attacks on editorial offices.
To explore these dynamics, the conference will be structured around three thematic axes:
1/ The Press and the Social Order: Constructing, Reinforcing, or Challenging Social Imaginaries
This axis invites analyses of how the press – and its various contributors: journalists, correspondents, illustrators, and occasional collaborators – constructed, disseminated, reinforced, or subverted public imaginaries surrounding social and professional groups. We are particularly interested in media productions, both textual and visual, that contributed to the social categorization of figures such as women, children, workers, artisans, the bourgeoisie, or celebrities and artists. This line of inquiry draws on recent scholarship regarding the press’s role in diversifying social representations and shaping the materiality of imaginaries. Attention is also given to the ways in which press professionals participated in constructing the very imaginary surrounding their own roles. These processes helped define what it meant to be a journalist or an illustrator in the long nineteenth century, contributing to the profession’s growing self-awareness and to the emergence of journalistic ethics, articulated not only in public discourse but also in ego-documents such as letters, memoirs, and personal writings of editors, journalists, publishers, and other figures active in the journalistic field.
2/ The Illustrated Press: Producers and Practices of Journalistic Iconography
This axis delves into the visual dimension of the press and its progressive incorporation into periodicals through caricatures, engravings, and illustrations. Contributions should explore the material aspects of image production—techniques, practices, their historical development—as well as questions of authorship, including anonymity and signature practices. Papers adopting a cultural and social lens to examine the careers and status of caricaturists, illustrators, engravers, and draughtsmen are especially welcome. This axis also seeks to reflect on the professionalization of these visual roles within journalism. While images could serve as powerful tools for constructing positive public imaginaries, they could equally function as vehicles of symbolic violence, targeting figures within and beyond the press, including political authorities, individuals, and social groups, and sometimes provoking reactions ranging from indignation to physical retaliation.
3/ Journalistic Disorder: Violence Within and Against the Press
Continuing the concerns of the previous sections, this axis focuses on forms of violence both internal to the journalistic field and external, in relation to its public reception. Within the profession, heightened competition and ideological rivalry could result in verbal aggression, polemics, public insults, and, in some cases, physical confrontation, culminating in duels, a common recourse in the nineteenth century. Yet journalistic violence was not limited to professional circles. Editors and reporters were frequently targets of broader public hostility: incidents ranged from the public burning of newspapers and protest demonstrations to vandalism of editorial offices and even direct assaults on journalists and publishers. Repressive state interventions—including surveillance, seizure, destruction of press materials, and judicial persecution—further underscored the precarious and contested space occupied by the press. Repression implemented, for instance, through the application of defamation laws, variously codified in their different forms, with the aim of protecting victims –or alleged victims – from offenses against their reputation
These dynamics cannot be confined to national contexts, as traditional press historiography often has done. Rather, they frequently assumed transnational forms and resist being explained solely through the prism of political affiliation. They were, and remain, integral to the broader media revolution that shaped the long nineteenth century.
Submission Guidelines
Proposals should be submitted via e-mail to: ordinedisordineconvegno@gmail.com
Papers may be presented in one of the official languages of the conference: French, English, Spanish, or Italian.
Proposals should not exceed 3,000 characters and must include:
A detailed abstract of the proposed paper
A description of the primary sources used
A brief biographical and bibliographical note on the author
Deadline for submission: June 25, 2025
Notification of acceptance: by July 10, 2025
Conference dates: December 9-10, 2025, University of Pisa
Travel and accommodation expenses will be covered by the organizing committee.
Scientific and Organizing Committee:
Gianluca Albergoni, Università di Pavia
Elisa Baccini, Università di Pisa
Julien Contes, Université Côte d’Azur- Università di Pisa
Gian Luca Fruci, Università di Pisa
Jean-Paul Pellegrinetti, Université Côte d’Azur
Giuseppe Perelli, Scuola Normale Superiore, Pisa
Chiara Santarnecchi, Università di Pisa – Université Paris Est-Créteil
Ginevra Villani, Università di Padova – Ca’ Foscari