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Claudine Galea : gestes d'écriture (Albi)

Claudine Galea : gestes d'écriture (Albi)

Publié le par Marc Escola (Source : Séverine Abiker)

Claudine Galea : gestes d’écriture

Appel à contributions

Colloque du 17 au 19 mars 2026, Albi

Institut National Universitaire Champollion et Scène Nationale d'Albi 

Avec le soutien de LLA-Créatis (UT2J) et de TCF (INU Champollion) 

  

Écrire est un même geste qui s’engage et m’engage dans des espaces et des mises en forme multiples[1].

Claudine Galea est l’autrice prolifique d’une œuvre protéiforme développée depuis une trentaine d’années. Son travail a été reconnu par différents prix, et ses textes sont aujourd’hui traduits et joués dans plusieurs langues à travers le monde. Elle est parfois considérée comme « inclassable[2] » dans la mesure où elle réinvente en permanence ses moyens d’expression pour investir de multiples genres littéraires[3] : roman, théâtre, fiction radiophonique, album et récit jeunesse, roman graphique, à quoi s’ajoutent encore des activités de critique littéraire[4]. À l’heure actuelle, peu de travaux critiques lui ont été consacrés, et le plus souvent, ils concernent son écriture dramatique. Le colloque d’Albi sera donc le premier à tenter d’embrasser l’ensemble de cette œuvre largement ramifiée, en faisant le pari de l’interdisciplinarité pour mieux cerner les contours d’une poétique de Claudine Galea.

Dans cette perspective, il s’agira de prêter attention plus particulièrement à ses gestes d’écriture parce qu’ils permettront de subsumer les différences formelles qui tendent à ranger ses textes dans des catégories de genres ou de lecteurs étanches. En effet, que l’on considère les commentaires métatextuels d’une voix narrative, le matériau diégétique, ou la réception[5] des textes, le geste peut recouvrir a minima trois acceptions et s’entendre comme énergie, motif ou moteur de l’écriture. Passage à l’acte, le geste désigne en premier lieu l’accomplissement d’un besoin de s’exprimer, comme l’a montré Dominique Rabaté dans Gestes lyriques[6] et ainsi que l’évoque fréquemment Claudine Galea elle-même. Par ses élans, allures, rythmes, attitudes, réactions etc., ce mouvement du corps met en jeu toute une expressivité somatique révélatrice des affects, des transformations des personnages, mais parfois aussi des états de l’écrivaine au travail. Relation tissée avec l’autre, projection vers l’extérieur, le geste d’écriture est enfin ce qui fait advenir l’œuvre pour un destinataire dans un espace scénique, visuel ou sonore, ce qui l’ouvre à des partages variés.

S’attacher aux gestes d’écriture de Claudine Galea permettrait par exemple d’envisager les enjeux de la présence narratoriale ou auctoriale au cœur de certains textes, entre affirmation de soi, dessaisissement, ou « ravissement[7] ». On pourrait s’intéresser aux dynamiques extratextuelles (émotions ou perceptions sensorielles) qui provoquent le geste d’écriture comme une réaction au contact du monde. Considérant le geste d’écriture tel une force agissante qui cherche à entraîner le destinataire dans la fiction, il faudrait aussi en observer de plus près les devenirs intermédiaux.

Par les quelques axes esquissés ci-dessous à l’infinitif, nous proposons de développer nos réflexions autour de la performativité et de la médialité propres aux gestes d’écriture dans l’œuvre de Claudine Galea, en souhaitant accueillir des études de toutes disciplines et faire la part belle aux expériences artistiques, pour éprouver ensemble ce que les gestes d’écritures produisent, inventent et comment ils nous meuvent.

 • Traverser

L’œuvre pourrait donner lieu à des réflexions sur les formes de traversées qu’elle présente, jeux plus ou moins métaleptiques avec les niveaux de réalité ou glissements intermédiaux. Car l’écriture n’a de cesse de déplacer les lignes entre vrai et faux, entre fiction et réalité. Dans la pièce Fake comme dans les romans Jusqu’aux os et Entre les vagues, on est emporté au cœur de l’activité de fictionnalisation d’un personnage qui invente, rejoue sa vie, ou crée des êtres imaginaires. Les illusions perceptives et l’indécision sémantique (à l’œuvre dans Petite poucet par exemple) ont été restituées également dans Serre moi fort, l’adaptation cinématographique que Mathieu Amalric a réalisée en 2021 de la pièce Je reviens de loin. De la même façon, les textes passent d’un média à un autre selon des dynamiques intermédiales variées, comme la pièce La Nuit Mêmepaspeur devenue un album jeunesse ou l’album Au pays de Titus passé dans l’écriture dramatique (Après grand c’est comment ?), ou l’écriture romanesque impulsée par la création radiophonique (Le Corps plein d’un rêve après Sept vies de Patti).

 • Sonder

L’écriture de Claudine Galea fouille « les strates de l’expérience vivante[8] ». Elle tâche d’en exprimer les sensations, tente de percevoir l’empreinte que le monde ou qu’un être en particulier laisse sur la conscience d’un sujet. On pourra alors analyser comment est représenté le cheminement d’un personnage qui parvient progressivement à entrer en résonance avec le monde qui l’entoure[9] (Au bord, Un sentiment de vie, L’Heure blanche, ou L’amour d’une femme, Entre les vagues, Les Choses comme elles sont). Tantôt l’exploration se concentre par exemple sur un état d’enfance, que l’on perçoit comme un mode d’être plus entier, cruel, exacerbé. Tantôt, le temps est suspendu (« à l’instant du début de l’abîme[10] ») pour observer minutieusement des charnières existentielles qui mènent à l’émancipation du personnage : des moments de départ vers d’autres horizons (L’été où le rêve s’est renversé, Le Corps plein d’un rêve), des entrées dans une expérience plus adulte (Fake, Le Garçon au chien parlant, Jusqu’aux os), le déclic qui fait passer d’un état d’esprit à un autre (comme l’apprivoisement des deuils dans Mêmepaspeur et dans L’amour d’une femme). Cette façon de scruter, d’ausculter se concentre aussi sur des états d’ébranlement physique : la maladie (Un sentiment de vie, Munitions d’amour), l’anorexie, l’expérience de la torture (Au Bord), un désir mortifère qui s’exprime dans les pratiques sado-masochistes (Le Bel échange).

 • Modeler

Comment le matériau linguistique est-il façonné ? Quelle place pour la création néologique, les jeux grapho-linguistiques ? Ce modelage verbal vise à inscrire dans la parole les scories du moment, de façon frappante quand les pièces travaillent à partir d’entretiens (Ces filles qu’on attend, Ça ne passe pas, Fake). Comme l’a analysé Thibault Fayner[11] au sujet de Après grand c’est comment ?, le travail sur la forme des mots montre comment les enfants accèdent à la langue adulte (c’est aussi ce que font apparaître les comptines dans Alliance). Que l’on pense aux effets d’échos qui estompent les contours des personnages (Au Bois, Les filles qu’on attend), ou à des éléments musicaux qui donnent forme aux déplacements de la mémoire à travers le temps (Patti Smith dans Le Corps plein d’un rêve ; les pianistes évoqués dans L’été où le ciel s’est renversé, Entre les vagues et Je reviens de loin), comment ce modelage de l’écriture s’éprouve-t-il aussi dans sa dimension sonore ? Vers libre, effets de liste, usages décalés des signes de ponctuation noire et blanche, qu’est-ce qui donne à la langue de Claudine Galea son intensité rythmique ?

 • Entrecroiser

L’entrecroisement invite à s’interroger sur le geste de composition narrative qui entremêle des strates temporelles (L’Amour d’une femme), qui tresse les voix de personnages en dépit de distances infranchissables, ou encore sur le geste qui orchestre la conversation du texte avec l’image. On pourra considérer aussi les nombreux dialogues interartistiques qui se nouent, traversant les frontières entre les arts et les œuvres : Fake s’ouvre par une liste des œuvres musicales ayant tramé l’écriture ; Patti Smith est traversée par la voix et l’accent d’une narratrice dans Le Corps plein d’un rêve ; Un amour prodigue s’appuie sur des photographies de Colombe Clier ; et fréquemment des mentions intertextuelles convoquent les œuvres inspirantes de Virginia Woolf, Marguerite Duras, Samuel Beckett, Albert Camus, Rainer Maria Rilke, etc. Certaines citations deviennent des leitmotiv symboliques (Anna Karénine dans Fake), ou encore des pré-textes (En laisse de Dominique Fourcade dans Au bord ; My Secret Garden de Falk Richter dans Un sentiment de vie). Mais ne s’opère-t-il pas une forme d’entrelacement du même ordre – temporel, vocal – quand le texte devient l’objet d’un partage artistique, lors de la mise en voix, en ondes ou de sa mise en scène ? Ainsi pourrait-on même parler d’une mise en corps, dans le cas des solos de Valérie Dréville pour Emilie Charriot et de Claude Degliame pour Jean-Michel Rabeux dans Un sentiment de vie.

 • Outrer

« Ecrire, c’est outrer la nature ». Exagérer, passer les bornes, pousser à bout, en quoi consiste ce geste d’écriture mentionné explicitement dans Un sentiment de vie : « outrer » ? S’agit-il d’atteindre un au-delà du vraisemblable, des évidences, du dicible, ou excéder le possible-même ? Or l’audace d’outrer la nature n’est pas sans présenter quelques risques, dont celui de tomber dans la caricature des émotions, dans le sentimentalisme : quels moyens se donner alors pour tenir l’outrance en lisière ? Au sein d’un même texte, des éclats de voix, élans lyriques, motifs répétitifs, alternent avec une grande sobriété de la phrase, sa dénudation, l’exhibition des tâtonnements de la pensée et des repentirs de l’écriture : il serait donc intéressant de chercher quels traits de style viennent manifester cette tentation du débordement, du franchissement, et lesquels assurent en parallèle la maîtrise du geste. Se demander aussi comment le passage à la scène peut donner une autre dimension à ce geste, et repousser les lignes, un peu plus encore.

Les communications, d’une durée de 25 minutes, pourront être monographiques ou comparatistes, confrontant différents textes et diverses créations de ces derniers (radiophoniques, scéniques, cinématographique), mais aussi mettant en dialogue l’œuvre de Claudine Galea avec d’autres œuvres, pour définir les contours de sa poétique, en précisant ses gestes d’écriture et en les faisant résonner avec la création contemporaine. Les communications relevant d’une recherche-création sont aussi les bienvenues.

 Les propositions (3 500 signes espaces compris maximum), accompagnées d’une brève notice biobibliographique, sont à envoyer en version PDF, d’ici le 1er septembre 2025 à Cyrielle Dodet (cyrielle.dodet@univ-jfc.fr) et Séverine Abiker (severine.abiker@univ-jfc.fr).

BIBLIOGRAPHIE SUR L’ŒUVRE DE CLAUDINE GALEA

CÉSAR, Aline, et FÉRAL Josette. « Atelier autour d’Au bord de Claudine Galea ». La photographie au théâtre, XIXe-XXIe siècles, édité par Brigitte Joinnault, Presses universitaires du Septentrion, 2021 [en ligne]

CONNAN-PINTADO, Christiane, « Du conte au théâtre. Comment accommoder ʺLe Petit Poucetʺ au théâtre aujourd’hui », dans Littérature de jeunesse au présent. Genres littéraires en question(s), Christiane Connan-Pintado et Gilles Béhotéguy dir. , Bordeaux, Presses universitaires Bordeaux, 2015, p. 167-183.

CONNAN-PINTADO, Christiane, « Du conte au théâtre contemporain pour la jeunesse. De la mise en scène des émotions », Ondina, 5, 2020, p. 8-21.

DIAZ, Sylvain, « Poétique du soulèvement », Cahiers d’Études Germaniques [En ligne], 79, 2020.

FAYNER, Thibault, « Que nous disent les images médiatiques ? Etude comparée d'Au bord de Claudine Galea et de Chef d'œuvre de Christian Lollike», Faut-il être réaliste ?, David Faroult et Olivier Neveux, Juin 2013, Cerisy-la Salle.

FAYNER, Thibault. « Claudine Galea. Ou comment ne pas perdre sa langue en grandissant ». Poétiques du théâtre jeunesse, édité par Marie Bernanoce et Sandrine Le Pors, PU Artois, 2018. [en ligne]

FAYNER, Thibault, « La carte et le territoire de l’atelier de création de l’auteur·trice dramatique », Percées, 6, 2021 [en ligne]

GASCUEL, Adèle, La dynamique du ravissement dans les écritures dramatiques contemporaines, Thèse de doctorat soutenue le 20/03/2018, Université de Lyon.

GRAMIGNA Valeria, « Adolescences dans quelques pages d’aujourd’hui : Maylis de Kerangal et Claudine Galea [Le corps plein d’un rêve, Les choses comme elles sont] », dans Marie-Thérèse Jacquet (dir.), AdolescenceS, Macerata, Quodlibet Studio, « Lettere. Ultracontemporanea », 2021, p. 133- 143.

ISSARTEL Ariane, « Libérer les princesses : les réécritures féministes de contes de fées dans le théâtre contemporain », Litter@ Incognita, 12, 2022 [en ligne]

LAHAYE VANTROYEN Laura, Les drames de l'eau. Figurations des corps et dramaturgie du flux dans les écritures contemporaines, approches poétiques et intermédiales, projet de thèse dir. Sandrine Lepors, Montpellier 3 (2020).

LAHAYE VANTROYEN Laura, « Le geste à l'épreuve du rivage : L'été où le ciel s'est renversé (Claudine Galea) et Debout, la joie (David Léon) », communication au colloque Dramaturgies du geste. Faire récit par l'image et le corps dans le texte de théâtre de 1945 à nos jours, Pénélope Dechaufour ; Élise Leménager-Bertrand, Sep 2023, Montpellier.

LEPORS Sandrine, « Note sur l’enfant caché du théâtre », Etudes théâtrales, 71 (1), L’Harmattan, 2022 [en ligne]

LEPORS Sandrine, « Les drames de l'eau : une traversée », Percées, 4, 2020 [en ligne]

MAJOREL Jérémie, « Arrêts sur image : Au Bord (2020) de Claudine Galea », Incertains regards. Cahiers dramaturgiques, 12, 2023, p. 69 ; repris dans Majorel Jérémie, Théâtres de l’intime et du politique au XXIè siècle, Aix-en-Provence, PU Provence, coll. « Arts », 2024

NORDEY Stanislas, VOSSIER Frédéric (dir.), Claudine Galea, Parages, 9, 2021.

VINUESA MUNOZ Cristina, « La scène contemporaine européenne : un espace indéfini, hors cadre, à la recherche d’un nouvel espace, d’un nouveau langage, d’un nouveau public. Précaire ou pas précaire ? », in A. Lefebvre et J. Maar (éd), Les lieux de la précarité: La précarité inscrite dans l'espace social et dans l'espace géographique, L'Harmattan, 2020.

 

NB / Nous renvoyons au site des éditions Espace 34 pour son œuvre théâtrale ou encore au site de France Culture où un certain nombre de créations radiophoniques de ses textes sont disponibles. N’hésitez pas à nous contacter pour une bibliographie exhaustive de son œuvre.


 
[1] Texte de présentation de Claudine Galea issu du site de la MEL (Maison des écrivains et de la littérature).
[2] Frédéric Vossier, « Feuerumsonnte », in Parages, n°9, juin 2021, Strasbourg, Théâtre National de Strasbourg, p. 5.
[3] En témoigne par exemple la variété des maisons d’éditions où ses livres ont paru dans des collections adulte et jeunesse : Espace 34, Editions du Rouergue, Thierry Magnier, Le Seuil ou encore Verticales.
[4] Nous invitons à lire ses textes dans Frictions, Cahiers critiques de poésie, Remue.net et les deux livres d’entretiens qu’elle a menés avec Philippe Dorin et Jean Cagnard, tous deux publiés par le Centre national des écritures du spectacle - la Chartreuse.
[5] La réception désigne la lecture, mais aussi la mise en scène, la mise en ondes ou encore l’adaptation cinématographique et chorégraphique.
[6] Dominique Rabaté, Gestes lyriques, Paris, Corti, 2013.
[7] Voir Adèle Gascuel, La dynamique du ravissement dans les écritures dramatiques contemporaines, thèse de doctorat sous la direction de Mireille Losco-Léna, Université Lumière, 2018.
[8] Philippe-Jean Catinchi, « Étreintes et voix, les variations Galea », in Parages, ibid., p. 185.
[9] Claudine Galea mentionne cette idée de résonance, en lui donnant une acception qui semble rejoindre exactement la forme sensible de relation au monde décrite par Hartmut Rosa (voir Résonance : une sociologie de la relation au monde, traduit de l’allemand par Sacha Zilberfarb, Paris, La Découverte, 2018).
[10] Dominique Fourcade, cité dans Claudine Galea, Les Choses comme elles sont, Paris, Gallimard, coll. « Verticales », 2019, p. 11.
[11] Thibault Fayner, « Claudine Galea. Ou comment ne pas perdre sa langue en grandissant », in Marie Bernanoce et Sandrine Le Pors (dir.), Poétiques du théâtre jeunesse, Arras, Artois Presses Université, 2020, p. 35-45.