
Festivités, célébrations et rituels dans la littérature et les fictions pour la jeunesse (Lille)
Colloque international en littérature de jeunesse
Festivités, célébrations et rituels dans la littérature et les fictions pour la jeunesse
Lille, 17-18 novembre 2025
Bochra Charnay et Thierry Charnay
ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille
« Les festivités (quelles qu’elles soient) sont une forme première, marquante, de la civilisation humaine. […] Les festivités ont toujours un contenu essentiel, un sens profond, ont toujours exprimé une conception du monde[1] »
Mikkaïl Bakhtine
La construction du temps social de l’enfant se fonde sur des moments festifs rituels qui sont les repères calendaires essentiels pour élaborer son identité culturelle et sociale. De plus, son identité intègre les grands rites de passage de la vie, de la naissance à la mort, ponctués par des célébrations auxquelles il participe. D’un côté les grandes fêtes cycliques, souvent marquées par la religion dans l’aire européenne, qui rythment l’année : la commémoration des défunts, Halloween et ses masques ; le solstice d’hiver avec Noël, son sapin et les cadeaux, mais aussi le Nouvel an ; le Carnaval ou « la fête à l’envers[2] » tel que le définit Daniel Fabre, ses masques, déguisements et son défilé souvent débridé ; la fête du printemps, Pâques et sa quête des œufs, le tout s’achevant pour l’écolier par la kermesse et /ou la foire aux manèges (ducasse pour les uns, vogue pour d’autres). De l’autre, les moments forts de la vie tels la naissance, le mariage et ses rituels préparatoires comme l’enterrement de la vie de célibataire, puis les funérailles. Ce que confirme Bakhtine « Les festivités ont toujours un rapport marqué avec le temps. On retrouve constamment à leur base une conception déterminée et concrète du temps naturel (cosmique), biologique et historique[3] ». Il est donc prévisible que les fictions pour l’enfance et la jeunesse incluant la littérature manifestent ces périodes importantes et rendent compte des significations, des valeurs et des rituels dont elles sont porteuses ainsi que de leurs mutations.
Selon le TLFI, le lexème « festivité » signifie « célébration d’un jour de fête, joie qui l’accompagne ». Le lexème « célébrer », quant à lui, signifie, en faisant la synthèse des dictionnaires dont les définitions sont très proches : 1. Accomplir solennellement une action, une cérémonie publique, officielle, souvent rituelle (ex. célébrer un mariage). 2. Marquer un événement par une cérémonie (ex. célébrer un anniversaire, une fête). Par « cérémonie », on comprendra les rites qui accompagnent une célébration notamment religieuse, et par extension, selon le TLFI : « l’apparat et la solennité qui accompagnent certaines fêtes profanes ».
Les festivités sont largement représentées dans les productions pour l’enfance, et de nombreuses fêtes calendaires font l’objet d’albums comme Noël, Halloween, le Carnaval et Mardi Gras, la Chandeleur, la fête des morts, la fête foraine. L’album P’tit Loup prépare Noël[4] dont les éditeurs annoncent qu’il s’agit « d’une histoire tendre et malicieuse », qui appartient à la série de titres dont P’tit Loup est le héros, décrit les préparatifs des festivités aussi bien à l’école qu’à la maison. La sociologue Régine Sirota, spécialiste de l’enfance, considère que « dans la société contemporaine existent des manuels de civilité, qui ne sont plus identifiés comme tels, mais qui s’écrivent ou se disent sous diverses formes [5]» et que leur repérage est problématique dans la mesure où ils ne sont pas annoncés comme tels. Elle est encore plus claire dans son article « Enfance modèle, modèle d’enfance ? La représentation de l’enfance au travers du rite de l’anniversaire dans la littérature enfantine [6]» où elle estime que « la littérature enfantine peut toujours être considérée comme une des formes contemporaines de ces anciens manuels de civilités au travers desquels s’édictaient et se transmettaient les normativités[7] ». De toute évidence l’album P’tit loup prépare Noël, relève de cette catégorie très fournie qui aborde toutes les sortes de célébrations : mais s’agit-il encore de littérature ? Question qu’il est légitime de se poser pour bien d’autres héroïnes et héros de séries comme Petit Ours Brun, Émilie, Tchoupi, Nina, ou encore et surtout Martine. Il en est de même pour les anniversaires très largement représentés dans l’édition des albums enfantins.
D’un autre côté, certains albums ne relèvent pas de cette catégorie des « civilités », comme par ex. Père-Noël, Mes fesses ![8] qui démystifie la croyance en l’existence du Père-Noël. Ou encore le fameux Blaise et le château d’Anne Hiversère de Claude Ponti[9] et le Happy Beurzdy de Titeuf par Zep[10], qui abordent différemment la configuration de l’anniversaire interrogeant ses rituels et ses contraintes sociales.
Bien évidemment les thèmes évoqués ne se limitent pas aux albums, mais se diffusent à travers toute la littérature de jeunesse et tous les genres de fictions pour les jeunes. Notamment, l’un des rituels des célébrations consiste dans un festin (ou banquet), que l’on ne retrouve pas seulement dans les albums, et roman jeunesse, ou chez Astérix, mais également dans les contes, ceux de Perrault entre autres comme dans « La Belle au bois dormant », « Riquet à la Houppe », « Grisélidis », avec des allusions dans « La Barbe Bleue », et « Peau d’Âne », mais seulement une « collation » dans « Cendrillon », toutefois « fort belle » ou dans « Le chat botté » où elle est « magnifique » ! On trouvera une parodie burlesque du banquet dans l’album à flaps Le Festin des Affreux[11] chez Seuil Jeunesse, et une autre des dons dans Le Cadeau des Affreux[12].
Les propositions attendues pourront porter sur tous les aspects des festivités, tous les rituels qui les constituent, sur leur mutation, leur parodie, leur réinterprétation, ainsi que sur tous les genres des fictions jeunesse, depuis l’album, la bande dessinée, le roman, jusqu’au vidéo-ludique et le cinéma. Il s’agira de les confronter à cette notion de « manuel de civilités » qui implique une conformité formelle aux rituels de socialisation de l’enfant, s’ils s’y conforment, ou si, au contraire, ils les critiquent, les détournent, innovent en suscitant de nouveaux rapports sociaux. Ainsi que le constate Jean Duvignaud : « La fête comme la liberté sont difficiles à vivre. Si brèves soient-elles, elles brisent le calme écoulement des jours. Aussi se prémunit-on contre ces extases troublantes[13] », où la fête est une irruption, une rupture, une interruption de l’ordinaire et du banal.
Comité d’organisation
Bochra CHARNAY, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille
Thierry CHARNAY, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille
Comité scientifique
Bochra CHARNAY, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille
Thierry CHARNAY, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille
Kirill CHEKALOV, Institut de Littérature mondiale de l’Académie des Sciences de Russie, Moscou
Christiane CONNAN-PINTADO, UR 24142 PLURIELLES, Université Bordeaux Montaigne
Kvĕtuše Kunešová, Faculté de Pédagogie, Département de langue et littérature françaises,
Université Hradec Kralové, République tchèque
Dominique PEYRACHE-LEBORGNE, E.A. 4276, Université de Nantes
Natacha RIMASSON-FERTIN, ILCEA4, Université Grenoble-Alpes
Marie-Agnès THIRARD, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille
Modalités et calendrier
Les propositions de communication (titre, résumé de 1500 caractères maximum (espaces comprises), mots clés, et références bibliographiques seront accompagnées d’une brève biobibliographie de 1500 caractères (espaces comprises) maximum comprenant : statut, établissement et équipe d’accueil ainsi que les principales publications récentes.
Les propositions sont à envoyer, au plus tard, le 10 août 2025 à l’adresse suivante :
litteraturejeunesseunivlille@gmail.com.
Bibliographie indicative
Bakhtine Mikkaïl, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, trad. Andrée Robel, Gallimard-NRF, 1970.
Caplow Theodore. « Les cadeaux de Noël, ou comment faire respecter une règle sans pression apparente », Dialogue, n°91, 1986.
Chamborédon Jean-Claude, Fabiani Jean-Louis, « Les albums pour enfants : le champ de l’édition et les définitions sociales de l’enfance», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 13, 1977.
Chevalier Sophie, Monjaret Anne (dir.), « Les cadeaux : à quel prix ? », dans Ethnologie française, n°4, Armand Colin, 1998.
Duvignaud Jean, Fêtes et civilisations et La fête aujourd’hui, Actes Sud, 1991.
Elias Norbert, La civilisation des mœurs, Calman-Lévy, 1973.
Fabre Daniel, Carnaval ou la fête à l’envers, Découvertes Gallimard, 1992.
Lhermey Claire, Vinas Y Roca Josette, La fête est un jeu d’enfants. Du
goûter d’anniversaire à la kermesse, Paris, Fleurus, coll. « Idée », 1992.
Montandon Alain (dir.), Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre, Julliard, 1995.
–––––––, L’hospitalité dans les contes, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. Littératures, 2001.
Propp Vladimir, Les fêtes agraires russes, trad. Lise Gruel-Apert, Maisonneuve et Larose, 1987.
Sirota Régine, « L’anniversaire, un exemple de manuel de civilité de l’enfance moderne », dans Djamila Saadi-Mokrane (dir.), Sociétés et cultures enfantines, Lille, Edition du Conseil Scientifique de l’Université Charles de Gaulle-Lille 3 « Travaux et Recherches », 2000.
–––––––, « Enfance modèle, modèle d’enfance ? La représentation de l’enfance au travers du rite de l’anniversaire dans la littérature enfantine », dans Marie-Claude Mietkiewicz et Benoît Schneider, (dir ), Les enfants dans les livres, éditions érès, 2013, p. 24-39.
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[1] Mikkaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, trad. Andrée Robel, Gallimard-NRF, 1970, p. 17. C‘est Bakhtine qui souligne.
[2] Daniel Fabre, Carnaval ou la fête à l’envers, Découvertes Gallimard, 1992.
[3] Mikkail Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais…op. cit.
[4] Orianne Lallemand, Eléonore Thullier (ill.), P’tit Loup prépare Noël, Auzou éveil, 2014.
[5][5] Régine Sirota, « L’anniversaire, un exemple de manuel de civilité de l’enfance moderne », p. 231, dans Djamila Saadi-Mokrane (dir.), Sociétés et cultures enfantines, Lille, Edition du Conseil Scientifique de l’Université Charles de Gaulle-Lille 3 « Travaux et Recherches », 2000, p. 231.
[6] Régine Sirota, « Enfance modèle, modèle d’enfance ? La représentation de l’enfance au travers du rite de l’anniversaire dans la littérature enfantine », dans Marie-Claude Mietkiewicz et Benoît Schneider, (dir ), Les enfants dans les livres, éditions érès, 2013, p. 24-39.
[7] Ibid., p. 24.
[8] Thierry Lenain, Bruce Roberts, Père-Noël, Mes Fesses ! éd. Les Quatre cents coups, 2008.
[9] Claude Ponti, Blaise et le château d’Anne Hiversère, L’École des loisirs, 2004.
[10] Zep, « Happy Beurzday » dans L’amour c’est pô propre, Titeuf 2, Glénat, 2001.
[11] Meritxell Marti (autrice), Xavier Salomo (ill.), Le Festin des Affreux, Seuil jeunesse, 2017.
[12] Meritxell Marti (autrice), Xavier Salomo (ill.), Le Cadeau des Affreux, Seuil jeunesse, 2022.
[13] Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations et La fête aujourd’hui, Actes Sud, 1991, p. 239.