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Circulation des écrits et féminisation de la culture entre le Brésil et la France (Lyon)

Circulation des écrits et féminisation de la culture entre le Brésil et la France (Lyon)

Publié le par Marc Escola (Source : Natália Guerellus)

Entre 1970 et 2024, à peu près quatre cents ouvrages écrits par des auteures brésiliennes ont été publiés en France, selon des données fournies par le catalogue général de la BNF. Parmi les différentes thématiques, des nombreux livres scientifiques (en histoire, anthropologie, sociologie, psychologie, éducation), mais également des livres d’architecture, des reportages, des témoignages d'exilées de la dictature militaire, des œuvres de fiction dénonçant la situation des femmes au Brésil, ainsi que le racisme et la violence au quotidien. Les genres fictionnels sont majoritaires : des romans, des nouvelles, de la poésie et des chroniques. L’aspect surprenant pourtant est la présence importante d'ouvrages spirituels, dès les psychographies spirites aux études de la bible, des récits de la vie des saints, ou encore des manuels de yoga et de bien-être. Fort de ces constats, nous aimerions comprendre l’intérêt porté par le champ intellectuel français aux ouvrages écrits par des auteures d'un pays et d’une langue très peu traduite, comme le portugais, en comparaison à des langues centrales et hyper-centrales.  

En 2022, une perspective plus systématique de la circulation de la littérature brésilienne contemporaine en France a été présentée par Costa (2022), qui constate l’importance des éditeurs, petit et moyens, dans cette circulation. En ce qui concerne la circulation des livres de femmes brésiliennes en France, nous trouvons surtout des études critiques centrées sur l'œuvre d'auteures spécifiques, tels que Clarice Lispector (Cherem, 2014) ou Djamila Ribeiro (Manera, 2021). En 2007, un travail plus spécifiquement tourné vers la circulation des écrivaines brésiliennes en France a été publié par Torres, qui argumente la visibilité marginale de ces auteures dans le champ littéraire français. 

Cependant, la France est pionnière dans l’étude des rapports entre genre et littérature, avec des projets très riches, tels que celui de la Société Internationale pour l'Étude des Femmes de l'Ancien Régime (SIEFAR) autour de la « querelle des femmes », qui révèlent, à travers leurs documents, des discussions séculaires sur l'éducation, l'alphabétisation et l'écriture des femmes en Europe. Au XXe siècle, Simone de Beauvoir a également consacré le dernier chapitre de son ouvrage, Le Deuxième Sexe, à la question de la littérature féminine, chapitre à propos duquel la philosophe a été critiquée par des études récentes (Reid 2010, 08). Dans les années 1970, Hélène Cixous émerge en prônant une utilisation révolutionnaire de l'écriture féminine, qui va marquer le courant psychanalytique du féminisme français (Cixous, 1975). Quelques années plus tard, Béatrice Didier (1981) s’est distinguée également par son approche historique des rapports entre genre et littérature. Des études récentes ont également marqué le champ, comme les deux volumes de Femmes et Littérature, dirigés par Martine Reid, et des livres grand public, comme Ces femmes qui écrivent (Seyes, 2012), ou Les femmes qui écrivent vivent dangereusement (Adler ; Bolmann, 2007). 

La bibliographie américaine sur le sujet est tout aussi importante avec la proposition de la gynocritique par Elaine Schowalter (Schowalter, 1985 ; Moi, 1985), mais aussi avec la rupture opérée par les études décoloniales à cet égard, où les propositions de Gloria Anzaldua (1987) à propos de la frontière et l’exhortation à l'écriture hybride des femmes, notamment des femmes nées dans un contexte multiculturel et plurilingue, sont libératrices et politiquement révolutionnaires. Au Brésil, on retiendra notamment les recherches d'Eurídice Figueiredo, spécialiste de la théorie de l'écriture féminine francophone et brésilienne, celle-ci notamment dans le contexte de la dictature militaire brésilienne (2020, 2024).

Nous savons aujourd’hui que la circulation de Brésiliennes en France, notamment celles exilées par la dictature militaire, ont joué un rôle important au sein des différents mouvement féministes émergeant dans les années 1970 (Abreu, 2014). En effet, cette décennie constitue un moment de rupture, « caractérisé notamment par le fait que la question de la différence des sexes ne serait plus posée par les seuls gardiens masculins du savoir et de sa transmission, mais par les femmes elles-mêmes, intellectuelles ou non » (Collin, Pisier, Varikas, 2011, 07). Cette période est marquée également par la création de la Maison d'édition des femmes, d’Antoinette Fouque, qui publiera des autrices brésiliennes telles que Clarice Lispector, Nélida Piñon, Ana Maria Machado et Conceição Evaristo. Dans les années 1980, la maison d'édition d'Anne-Marie Métaillié a également commencé à jouer un rôle important dans la diffusion des Brésiliennes, en publiant Carolina Maria de Jesus, Rachel de Queiroz, Lya Luft et Betty Mindlin. Depuis les années 2010, la maison Anacaona se distingue sur cette scène en publiant des autrices à succès au Brésil, comme la philosophe Djamila Ribeiro.

L'idée que la culture dans son ensemble, et plus spécifiquement en France, se féminise, est courante aujourd’hui et, bien évidemment, les réactions sont multiples. Comme le dit Maurice Daumas (2019), « la peur de la subversion par les valeurs féminines domine la pensée antiféministe. Si la dévirilisation des hommes relève du fantasme, la féminisation de notre culture est une réalité ». En juin 2005, le Bulletin du département des études, de la prospective et des statiques publie un rapport signé par Olivier Donnat qui démontre que les femmes sont désormais plus nombreuses que les hommes à s'intéresser aux arts et à la culture en France. Cela se traduit par une plus grande consommation de contenus culturels à la télévision, dans la presse, par la lecture de livres et par la pratique d'activités artistiques en amateur. Selon Donnat, "la lecture de livres est le domaine culturel dans lequel le caractère sexué des goûts culturels s'exprime le plus fortement". 

Notre Journée d’Études propose ainsi de réfléchir aux publications d’écrivaines brésiliennes en France dans ce contexte de forts changements sociaux et intellectuels, en s’interrogeant sur les rapports existants entre cette circulation et les perceptions de genre des sociétés brésiliennes et françaises au XXème siècle. Nous attendons des propositions de communication qui puissent dialoguer avec la proposition. 

Les personnes intéressées peuvent envoyer un titre et résumé sur une page (1p.) à: natalia.guerellus@univ-lyon3.fr avant le 31 mai 2025.

 Bibliographie citée

1.     ABREU, Maira. Feminismo no exílio : o círculo de mulheres brasileiras em Paris e o grupo latino-americano de mulheres em Paris. São Paulo: Alameda editorial, 2014.

2.     ADLER, Laure ; BOLLMANN, Stefan. Les femmes qui écrivent vivent dangereusement. Paris : Flammarion, 2007.

3.     ANZALDÚA, Gloria. Borderlands/La frontera : the new mestiza. San Francisco: Spinsters / Aunt Lute. 1987.

4.     CHEREM, Lucia Peixoto. As duas Clarices: entre a Europa e a América. Curitiba: editora da UFPR, 2014.

5.     CIXOUS, Hélène. Le rire de la Méduse. Paris : Gallimard, 2024 [1975].

6.     COLLIN, Françoise ; PISIER, Évelyne ; VARIKAS, Eleni. Les femmes de Platon à Derrida : anthologie critique. Paris : éditions Dalloz,  2011.

7.     COSTA, Adriana Cláudia de Sousa. A literatura brasileira traduzida na França (2000-2019) : editoras, lógicas, repercussões. Thèse de doctorat en Lettres. Université Fédéral de la Paraíba, 2022.

8.     DAUMAS, Maurice. L'irrésistible féminisation de la culture. Presses universitaires de Pau et des Pays de l'Adour, 2019.

9.     DONNAT, Olivier. « La féminisation des pratiques culturelles », in MARUANI (Dir.). Femmes, genre et sociétés : l’état des savoirs. TAP/Hors série, 2005, p. 423-431.

10.  DIDIER, Béatrice. L'écriture-femme. Paris : PUF, 2004. [1981].

11.  FIGUEIREDO, Eurídice. Pour une critique féministe : lectures transversales des écrivaines brésiliennes. Porto Alegre : Zouk, 2020.

12.  FIGUEIREDO, Eurídice. Mulheres contra a ditadura: escrever é (também) uma forma de resistencia. Porto Alegre: Zouk, 2024.

13.  LASSERRE, Audrey. Histoire d'une littérature en mouvement : textes, écrivaines et collectifs éditoriaux du Mouvement de libération des femmes en France (1970-1981). Thèse (Doctorat en littérature), Université de la Sorbonne nouvelle - Paris III, Paris, 2014.

14.  MANERA, Giulia. « Djamila Ribeiro et la place des féminismes noirs au Brésil. » Études littéraires africaines, numéro 51, 2021, p. 127–143. 

15.  MOI, Toril. Sexual Textual Politics : feminist literary theory. New York : Routledge, 1985.

16.  NAUDIER, Delphine. « La cause littéraire des femmes dans les années 1970. »   In : REID, Martine (Ed.). Femmes et littérature. Une histoire culturelle. Paris : Gallimard, 2020. p. 377-413.

17.  REID, Martine (Ed.). Femmes et littérature. Une histoire culturelle. Vol. 1 et 2, Paris : Gallimard, 2020.

18.  REID, Martine (Org.) Des femmes en littérature. Paris : Belin, 2010.

19.  SCHOWALTER, Eliane. The New Feminist Criticism : essays on women, literature and theory, N. Y. : Pantheon Books, 1985.

20.  SEYS, Elisabeth. Ces femmes qui écrivent : de Madame de Sévigné à Annie Ernaux. Paris : Editions Ellipses, 2012.

21.  TORRES, Marie-Hélène Catherine. « A pouca visibilidade das escritoras brasileiras traduzidas na França.  »  Cadernos de Tradução, n° XIX, 2007, p. 81-95.