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Vedettes comiques, vedettes indociles ? (Paris)

Vedettes comiques, vedettes indociles ? (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Corinne François-Denève)

« Vedettes comiques, vedettes indociles ? » 

Cycle de journées d’études.

Premier workshop : 27 juin 2025, Maison de la Recherche de Sorbonne Université,  28 Rue Serpente, 75006 Paris

RIRH, GRIPIC

Elvire Popesco, Jacqueline Maillan, Marthe Mercadier, Maria Pacôme, Sophie Desmarets, Louis de Funès, Coluche, Thierry Le Luron, Florence Foresti, Valérie Lemercier, Gad Elmaleh, Jamel Debbouze, Chantal Ladesou, Mimie Mathy, Blanche Gardin, mais aussi Ahmed Sylla, Elodie Fontan, Laura Felpin… Selon les générations, il suffit de citer les noms de ces vedettes comiques pour que surgissent dans nos esprits des scènes de spectacles, des répliques de films ou de sketchs, liées à de plaisants sourires ou à de francs éclats de rire. C’est l’une des forces des vedettes comiques : capables de mettre nos corps et nos pensées en éveil, elles marquent nos imaginaires par leur maîtrise de la scène. 

Stars et vedettes : une question de localisation ? 

 De nombreuses émissions nostalgiques évoquent les noms cités à l’instant par des termes laudatifs : « stars de l’humour », « stars du rire » ou encore « comiques stars ». Si ces figures comiques nous intéressent, c’est qu’à travers leur parcours, leur carrière, les œuvres dans lesquelles elles se sont distinguées et leur image publique, elles cristallisent et concentrent un ensemble de tensions sociales et idéologiques – ce que Richard Dyer, dans un texte éponyme, évoque sous le nom de « stars »[1]. Objets de projections, elles proposent une incarnation de l’ordinaire, du monsieur et madame tout le monde, suscitant des sentiments de proximité et de familiarité. Elles constituent aussi un ensemble de figures idéalisées, de modèles à disposition, qui alimentent les régimes de valeur à l’œuvre dans la société, en termes de féminité, de masculinité, de famille, de parentalité, de francité. 

 Les acteurs et actrices comiques seraient-ils·elles des « stars » ? Est-il plus pertinent de les envisager comme des « vedettes » ? Quelle différence entre « stars » et « vedettes » ? Telles sont les questions que brasseront ces journées d’études. À première vue, on pourrait arguer que les « vedettes » sont françaises et les stars américaines. On trouve le mot « vedette » dans le Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre et des arts qui s’y rattachent[2] d’Arthur Pougin, en 1885. L’auteur indique que « la vedette est un produit moderne de la vanité des comédiens, et ne date guère de plus de trente ou quarante ans ». Même réticence pour l’« étoile » chez l’auteur : « Depuis vingt ans, certains théâtres de Paris ont sacrifié aux étoiles beaucoup plus que de raison, payant fort cher des comédiens parfois médiocres ». La vedette (mot venu de l’armée et de l’imprimerie) ou l’étoile (mot venu de l’astronomie) sont selon l’auteur le symptôme d’un art qui devient une industrie. Si le vedettariat théâtral se crée dans les années 1860 en France, le vedettariat cinématographique se construit après la Première guerre mondiale, comme le montre Myriam Juan dans sa thèse[3], dont le titre indique que le « système » hollywoodien crée une émulation inquiète en France.

Hiératique, iconique, « sacrée » au sens d’Edgar Morin[4], la star est étymologiquement attachée au système hollywoodien. Elle est le produit d’une industrie, ancrée dans une économie capitaliste qui la crée et en constitue la valeur. Elle semble alors bénéficier d’une « aura » et satisfait les « mythologies » d’une époque[5]. La « star » est donc liée à un système qui porte son nom. Fabriquée, elle est censée engranger des recettes. Et les acteurs et actrices comiques sont souvent une source de recettes. Comme d’autres, ils et elles sont projeté·e·s en haut de l’affiche, servant d’appel à un public fan ou donnant des gages de familiarité pour le grand public. N’est-ce pas là un élément œuvrant en faveur d’une conception de la figure comique comme « star » ?

 Vedettes de l’humour : l’indocilité comme trait distinctif ? 

 Pourtant, les acteurs et actrices comiques échappent aussi aux caractéristiques mises en avant par Morin ou Dyer etrelèvent aussi d’une forme de « vedettariat », plus proche, plus populaire, plus français. Le paradoxe des vedettes de l’humour est en effet que l’idéal est souvent cabossé, mal embouché, bancal ou branlant. Tout l’enjeu des performances humoristiques est de fait de défaire les normes et les modèles à disposition pour se donner à voir sous un jour peu gratifiant et pourtant tellement attachant. Du « grand blond » comme contrepoint à la masculinité de Gad Elmaleh à la « tata Kronenbourg », figure maternelle imparfaite, de Florence Foresti, en passant par le Franchouillard raciste de Coluche et les énervements « hystériques » de Muriel Robin, les vedettes de l’humour se construisent en opposition à des figures de perfection et font rire de leur incapacité à se conformer au rôle qui est attendu d’elles. Elles montrent des corps indociles, indisciplinés, incapables de se fondre dans les carcans sociaux. Elles se caractérisent par un art du débordement, du trébuchement, de la grimace et de la réplique nerveuse.

Au-delà, par « vedette », il faut entendre l’existence d’un trouble, d’une frontière floue entre les personnages incarnés sur scène, à la télévision ou au cinéma et la personne du comédien ou de la comédienne. Les vedettes constituent bien souvent des personas puissantes, qui imprègnent les œuvres et le cours des récits au risque d’une indistinction entre leur personnalité hors/en scène, hors/dans le champ. Construction médiatique, effets de réception, ou simple ressort de distinction, la force d’investissement et la puissance des vedettes comiques méritent selon nous une attention particulière en ce qu’elles sont indissociables de leur pérennité et de leur succès. Se forgeant dans les circulations de scène en scène et dans l’articulation des œuvres entre elles, elles sont à la fois un moteur et une modalité d’existence. Elles sont gages de notoriété et constitutives des attentes qui pèsent sur les vedettes. Elles peuvent pour ces mêmes raisons aussi constituer un frein, les vedettes comiques étant bien souvent cantonnées à des rôles comiques durant toute leur carrière, comme si leur personnalité était prégnante qu’elle ne saurait s’adapter à d’autres rôles dramatiques.

Ce sont ces personnalités si débordantes qu’elles semblent inconciliables avec d’autres genres théâtraux, télévisuels ou cinématographiques que ces journées d’études souhaitent mettre à l’honneur. Notre titre, en effet, « indociles », vient de l’ouvrage de Kathleen Rowe, The Unruly Woman : Gender and Genres of Laughter[6], qui se consacre aux genres du rire et singulièrement au gender du rire[7]. « Unruly woman » telle serait la femme comique ; rebelle à la loi, ingouvernable, indocile, indisciplinée. Est-ce là une caractéristique inhérente de la vedette comique ? Si les vedettes comiques jouent avec les règles et les normes, de quelle indocilité est-il question ? Comment les vedettes composent-elles avec ce qui est attendu d’elles (rôle, jeu, représentations) ? Existe-t-il un plaisir et un déplaisir propres aux vedettes comiques ? Peut-on cartographier l’indocilité des vedettes, en fonction de leur gender, mais aussi du genre dans lequel elles l’exercent ? Ainsi, la circassienne est-elle plus indocile que la vedette comique de cinéma, sur laquelle se construisent des films à gros budget ? La danseuse de cabaret est-elle par essence dans l’indiscipline ? Les « créatures » du cabaret, qui souvent se construisent en regard de vedettes, sont-elles indociles, ou dociles quant à leur modèle ? 

Projet 

Cette journée d’études s’inscrit dans le cadre du cycle de recherches « Vedettes » porté par Marie Duret-Pujol, Corinne François-Denève et Nelly Quemener, débuté en 2023. 

Une première journée, le 27 juin 2025, sera consacrée aux discussions des notions « vedette » et « indocile » ainsi que d’une réflexion sur la périodisation. 

Une deuxième journée d’études, prévue en février 2026, sera consacrée à des études de cas.

Un colloque et une publication prévus pour 2027.

Les intervenant·e·s potentiel·l·s sont invité·e·s à manifester leur intérêt auprès des organisatrices, pour l’une ou l’autre journée d’études (2025 ou 2026). 

Les propositions de communication (1 page accompagnée d’une bio-bibliographie de 10 lignes max) sont attendues pour le 12 mai, à envoyer aux organisatrices (marie.duret-pujol@u-bordeaux-montaigne.fr ; corinne.francois@u-bourgogne.fr ;nelly.quemener@sorbonne-universite.fr). Les réponses seront envoyées le 19 mai.

[1] Dyer Richard, Le Star-System Hollywoodien suivi de Marilyn Monroe et la sexualité, trad. de Noël Burch et Sylvestre Meininger, Paris, L’Harmattan, 2004.
[2] Pougin Arthur, Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre et des arts qui s’y rattachent. Poétique, musique, danse, pantomime, décor, costume, machinerie, acrobatisme. Jeux antiques, spectacles forains, divertissements scéniques, fêtes publiques, réjouissances populaires, carrousels, courses, tournois, etc, etc, etc. Ouvrage illustré de 350 gravures et de 8 chromolithographies, Paris, Librairie de Fimin-Didot, 1885.
[3] Juan Myriam, « Aurons-nous un jour des stars ? » Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940), Thèse en histoire sous la direction de Pascal Ory, Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, décembre 2014.
[4] Morin Edgar, Les Stars, Paris, Seuil, 1957.
[5] Barthes Roland, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
[6] Rowe Kathleen, The Unruly Woman : Gender and the Genres of Laughter, Austin, University of Texas Press, 1995.
[7] Nous reprenons ici le terme « indocile » comme l’a traduit Jules Sandeau : Rowe Kathleen, « Professeurs-héros et femmes aux commandes : les héroïnes indociles de la comédie classique hollywoodienne », Genre en séries [En ligne], no 12-13, 2022. URL : http://journals.openedition.org/ges/3262