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Dynamiques du canon littéraire aux XXe et XXIe siècles

Dynamiques du canon littéraire aux XXe et XXIe siècles

Publié le par Pierre-Louis Fort (Source : Self XX-XXI)

Congrès 2026 de la Société d’étude de la littérature de langue française du XXe et du XXe siècles

Dynamiques du canon littéraire aux XXe et XXIe siècles

Université Rennes 2, 20-22 mai 2026

 

La question du canon, qui constitue dans les espaces anglo-saxon et germanique un débat central pour études littéraires depuis un demi-siècle, semble désormais s’imposer avec force dans les études littéraires françaises, comme le montre le nombre des colloques et publications récents qui s’y intéressent, dans une perspective généralement transéculaire et/ou globalisante. Même si elle est aujourd’hui principalement articulée aux studies et donc à un débat du second XXe siècle, la question a été posée de longue date, certes selon des catégories et dans des termes différents: pour le domaine français, ce sont singulièrement l’histoire littéraire, la définition d’un corpus de “classiques”, voire l’idée d’un “génie national” qui semblent avoir longtemps déterminé les réflexions sur le canon. L’affirmation d’un canon a tantôt pris la forme d’un débat académique autour des classiques, tantôt traversé les œuvres littéraires sous le double aspect de l’influence et de l’héritage, et produit presque systématiquement sa propre contestation. Nous proposons ici d’explorer les dynamiques qui traversent les littératures de langue française des XXe et XXIe siècles, objet d’étude de la SELF XX-XXI, à partir de cette notion qui s’y trouve intensément interrogée dans ses dimensions culturelles, institutionnelles, axiologiques, politiques et sociales.

En effet, les littératures de langue française des XXe et XXIe siècles semblent marquées par une succession de contestations (plus ou moins radicales) du canon – de la part notamment des avant-gardes –, par une multiplication de canons parallèles, parfois en tension, au sein d’espaces littéraires dominés, marginalisés voire spécifiques – comme les littératures de l’imaginaire, la littérature jeunesse, les littératures francophones –, par des processus rapides de transformation des instances légitimantes et critiques, de même que par des bouleversements importants des approches et méthodes académiques, qui ébranlent jusqu’à l’idée même du « canon », et imposent ainsi une perspective dynamique et fluide pour en appréhender l’étude.

On pourra d’abord se demander quel est le rôle des œuvres du canon (ainsi entendu comme construction dynamique à l’évidence problématique) dans l’imaginaire de la langue et de la littérature françaises aux XXe et XXIe siècles, à différents niveaux (régional, métropolitain, national, mondial). Si la notion de canon est nouée à l’idée d’un imaginaire national, quels canons de la littérature de langue française sont dessinés à partir d’autres pays, d’autres espaces linguistiques, d’autres échelles territoriales ? À partir de quels critères, pour produire quelles normes et quels types de modèles, et dans quels objectifs ? On pourra interroger le croisement de la notion de canon avec celle de patrimoine littéraire, notion elle aussi très présente dans l’actualité de la recherche française en sciences humaines et sociales. Les deux champs d’étude convoquent des logiques plurielles d’institutionnalisation et sont pris dans des mouvements de contestation critiques de leurs objets – sans que le canon et le patrimoine ne se superposent. La dynamique de la patrimonialisation est-elle similaire à celle de la canonisation ? L’extension du patrimoine à de nouveaux corpus et de nouveaux objets ne vient-elle pas au contraire éroder, voire contredire, la logique hiérarchique et modalisatrice du canon ? Comment penser l’accélération éventuelle des effets de la consécration médiatique, au XXe et au XXIe siècles, sur la constitution d’un canon et sur les effets de consensus ou de dissensus qui peuvent y être associés ?

Le congrès souhaiterait également contribuer à une périodisation fine des mouvements canoniques et anticanoniques, de l’orée du XXe siècle jusqu’à l’extrême-contemporain. Les combats esthétiques et politiques des avant-gardes s’appuient à la fois sur une contestation du canon et sur la proposition d’autres canons. Dans quelle mesure ces contre-canons portent-ils un renouvellement non seulement des valeurs littéraires mais aussi des critères de littérarité ? Quelle est leur portée, au-delà du cénacle qui les défend ? Comment reconfigurent-ils, ponctuellement ou de manière plus durable, une certaine idée de l’histoire littéraire ? Quelles sont les œuvres qui circulent entre les différents canons et au prix de quelles relectures ?

Si le rôle structurant et prescripteur des institutions scolaires (du programme des examens et des concours de l’enseignement à la conception des manuels) est bien connu, le canon scolaire (dont les contours sont à réinterroger au regard tant des prescriptions que des pratiques) des « grandes œuvres » dites « classiques » (dont la nature même est soumise à fluctuations) coexiste avec des canons circonscrits à des espaces littéraires dominés ou marginalisés au regard de l’institution littéraire française. Quelles tensions existent-elles entre les différents canons ? Ceux-ci témoignent-ils de logiques différentes ? Y a-t-il une porosité et une évolution entre le centre et les marges, rebrassant les hiérarchies littéraires ? Leur multiplicité dissout-elle la notion même de canon ? On prêtera une attention particulière aux méthodes appliquées à la définition et l’étude du canon : les évolutions de l’histoire et de l’analyse littéraire, sur toute la période, sont un des moteurs des transformations du canon. Aujourd’hui, les studies contribuent fortement à mettre en cause les mécanismes et les effets de domination encryptés dans les canons, tandis que le développement des humanités numériques est un vecteur de leur élargissement, de leur assouplissement, voire de leur radicale mise en cause, en rendant accessibles de nouveaux corpus et en proposant de nouveaux modes de lisibilité de la littérature. Comment peut-on interroger, aujourd’hui, ces effets de continuum, de la visibilité à la consécration, de la remise en lumière à la réévaluation, de la sélection critique à l’expansion illimitée de la bibliothèque ?

Ces dynamiques impliquent d’observer les logiques à la fois institutionnelles, sociales, culturelles et médiatiques à l’œuvre dans la production, la diffusion et la contestation des canons. Comment ces canons s’inscrivent-ils dans l’espace social ? Quel.les en sont les acteur.rices et les relais ? Si le canon cristallise une conception de la littérature et de langue, il déborde aussi largement le champ littéraire, et est mis au service d’objectifs multiples et entrecroisés : didactiques, économiques, politiques, sociaux. Il rassemble des communautés comme il singularise : on peut ainsi interroger le rôle du canon pour les critiques, depuis l’écrivain qui exprime sa position dans la littérature en définissant son propre canon jusqu’aux lecteur.rices anonymes qui affichent en ligne leurs palmarès littéraires, en passant par le monde académique dont la structuration et les carrières peuvent aussi être pensées dans leur rapport aux canons. Modèle littéraire, l’œuvre canonique, paradoxalement, échappe au texte et à la littérature : elle suscite des objets, des lieux de commémoration, des pratiques culturelles, se métamorphose au gré de divers avatars médiatiques. Qu’apporte l’étude de ces dynamiques médiatiques et culturelles à la réflexion sur le canon ? En sont-elles une pierre de touche, ou marquent-elles sa disparition dans la plasticité des univers imaginaires et médiatiques ?

Le congrès accueillera des communications concernant la littérature d’expression française des XXe et XXIe siècles sans restriction d’aire géographique ni de genre littéraire.

Les propositions (titre, 500 mots), assorties d’une brève biobibliographie, sont à déposer sur la plateforme sciencesconf.org avant le le 20 juin 2025 : https://dynamiquescanon.sciencesconf.org/.

Comité d’organisation

Hélène Baty-Delalande (Université Rennes 2), Pierre-Louis Fort (Université CY Cergy), Mathilde Labbé (Université de Nantes) et Ivanne Rialland (UVSQ, Université Paris-Saclay).

Comité scientifique

·     Hélène Baty-Delalande (Université Rennes 2)

·     Nathalie Brillant (Université Rennes 2)

·     Simon Bréan (Université Sorbonne nouvelle)

·     Guillaume Bridet (Université Sorbonne nouvelle)

·     Florence de Chalonge (Université de Lille)

·     Maxime Del Fiol (Université Paul Valéry Montpellier)

·     Esther Demoulin (Université Paris Cité)

·     Pierre-Louis Fort (CY Cergy Paris Université)

·     Mathilde Labbé (Université de Nantes)

·     Mathilde Lévêque (Université Sorbonne Paris Nord)

·     Ivanne Rialland (UVSQ, Université Paris-Saclay)

.     Françoise Simonet-Tenant (Sorbonne Université)

Bibliographie indicative

• AHR, Sylviane, Nathalie Denizot (dir.), Les Patrimoines littéraires à l’école : usages et enjeux, Presses universitaires de Namur, 2013.

• ANDERSON, Benedict R. O’G., Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism. Revised edition, Verso, 2016.

• BAUDOIN, Anne-Catherine, et Marion Lata (dir.), Sacré canon. Autorité et marginalité en littérature, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2017.

• BERRANGER, Marie-Paule, dir., Évolutions/Révolutions des valeurs critiques (1860-1940), Presses universitaires de la Méditerranée, 2015.

• BISHOP, Marie-France, et Belhadjin, Anissa (dir.), Les Patrimoines littéraires à l’école. Tensions et débats actuels, Paris, Honoré Champion, 2015.

• BLOOM, Allan, The Closing of the American Mind: [How Higher Education Has Failed Democracy and Impoverished the Souls of Today’s Students], 25th anniversary ed. ; Simon & Schuster trade pbk. ed, Simon and Schuster Paperbacks, 1987.

• BLOOM, Harold, The Western Canon. The Books and School of the Ages, San Diego, Harcourt Brace, 1994.

• CASANOVA, Pascale, La République mondiale des lettres, Paris, Éditions du Seuil, 1999.

• FRAISSE, Emmanuel, Les Anthologies en France, Paris, PUF, 1997.

• FRAISSE, Luc (dir.), Pour une esthétique de la littérature mineure. Actes du Colloque Littérature majeure, littérature mineure, Strasbourg, 16-18 janvier 1997, Paris, Honoré Champion, 2000.

• HARDER, Marie-Pierre (dir.), Dossier « (Dé-)construire le canon », Comparatismes en Sorbonne, 2013 (4).

• JIPA, Dragoş, La Canonisation littéraire et l’Avènement de la culture de masse : la collection « Les grands écrivains français » (1887-1913), Frankfurt Peter Lang Academic research, 2016.

• “Le Canon littéraire”, Littérature, 196, (4), 2019.

• LEVINE, Lawrence W., The Opening of the American Mind: Canons, Culture, and History, [Nachdr.], Beacon Press, 1997.

• “Le XIXe siècle face aux canons littéraires. Persistance, remises en cause, transformations”, Revue d’histoire littéraire de la France, 114, (1), 2014.

• LÖFFLER Philipp (dir.), Reading the Canon: Literary History in the 21st Century, Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2017.

• LUCKEN, Christopher, « Sélections et comptes d’auteurs. Quelques jalons dans l’histoire du canon littéraire », Littérature, 2019/4, n° 196, p. 7-30.

• MAUBON, Catherine (dir.), Tradizione e contestazione. III, Canon et anti-canon, à propos du surréalisme et de ses fantômes : actes du colloque de Sienne, 29-30 janvier 2009, Firenze, Alinea editrice, 2009.

• MCDONALD, Christie, et Suleiman, Susan Rubin (dir.), French Global. Une nouvelle perspective sur l’histoire littéraire, Paris, Classiques Garnier, 2014.

• MEYER, Christine, Questioning the Canon: Counter-discourse and the Minority Perspective in Contemporary German Literature, Berlin/ Boston, De Gruyter, 2021.

• MORAN, Patrick, The Canons of Fantasy: Lands of High Adventure, Cambridge university press, 2019.

• MORTGAT, Emmanuelle, Clio au Parnasse - Naissance de l’« histoire littéraire » française aux XVIe et XVIIe siècles, Champion, coll. « Lumière classique », 2006.

• NEUHAUS, Stefan (dir.), et Schaffers, Uta, Was wir lesen sollen: Kanon und literarische Wertung am Beginn des 21. Jahrhunderts, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2016.

• PERETTI, Isabelle de, et Ferrier, Béatrice (dir.), Enseigner les classiques aujourd’hui : approches critiques et didactiques, Bruxelles, Peter Lang, 2012.

• POLLOCK Griselda, Differencing the Canon. Feminist Desire and the Writing of Art’s Histories, Routledge, New York, 1999.

• ROBINSON, Lillian S., In the Canon’s Mouth: Dispatches from the Culture Wars, Bloomington, Indiana UP, 1997.

• SINAIKO, Herman L., Reclaiming the Canon: Essays on Philosophy, Poetry, and History, New Haven (conn.), Yale UP, 1998.

• SOLANKI, Tanvi, “Introduction to Special Issue « Canonical Pressures: German Literature and its Voices of Difference”, The Germanic Review: Literature, Culture, Theory, 99, 2024, 1, p. 1-4.

• THIESSE, Anne-Marie, La Fabrique de l’écrivain national. Entre littérature et politique, Paris, Gallimard, 2019.

• UERLINGS, Herbert, et Patrut, Iulia-Karin (dir.), Postkolonialismus und Kanon, Bielefeld, Aisthesis Verl., 2012.

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• ZÉKIAN, Stéphane, L’Invention des classiques. Le siècle de Louis XIV existe-t-il ?, Paris, CNRS Éditions, 2012.