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L'abandon (CRHI, Nice)

L'abandon (CRHI, Nice)

Publié le par Marc Escola (Source : Valentin Poncet)

Journées d’études doctorales, les 15-16 octobre 2025

CRHI, Université Côte d’Azur

L’abandon

Qu’il s’agisse d’un jeu, d’une compétition, ou encore d’une guerre, l’abandon signe la défaite de celui ou celle qui abandonne. Abandonner, c’est perdre, ou encore échouer selon les cas, en renonçant à atteindre l’objectif qu’on s’était fixé, ou à assumer la responsabilité qui nous était échue. Le renoncement dont il est question dans l’abandon suppose en ce sens une forme de décision, même minimale, si bien que l’abandon n’est pas le résultat d’une pure passivité qui prendrait la forme de la fatalité. L’abandon repose sur un choix du sujet qui l’effectue alors même qu’il se sent acculé. De ce point de vue, abandonner peut parfois empêcher de verser dans l’acharnement, et de sauver ce qui peut encore l’être. Abandonner revient alors à se rendre à l’évidence, en cessant de lutter contre quelque chose qui nous dépasse. Le gain relatif relevant du sauvetage va de pair avec la reconnaissance de nos capacités réelles. Abandonner, c’est alors se rendre à soi-même, accepter les limites internes et externes de notre pouvoir d’agir, et ainsi retrouver un périmètre de capabilité en nous débarrassant d’un engagement qui nous tenait prisonnier.

Pour autant, abandonner ne se réduit pas à un simple changement d’avis ou à un renoncement. L’abandon présuppose l’existence d’un pacte initial entre le sujet et l’objet de l’abandon, tous deux pris dans un rapport de propriété, de pouvoir ou encore d’autorité. L’étymologie du terme « abandon » suggère déjà l’existence d’un tel engagement : issu du vieux francique, abandonner signifie laisser «­­ au pouvoir de », ou encore au Moyen-Âge « à la merci de ». Abandonner, c’est donc laisser « à la disposition de » (CNRTL). Dans l’abandon, je me décharge d’un pouvoir, d’une autorité, d’une obligation, si bien que cet acte se charge en retour d’une pesanteur morale et politique, qui vient jeter la suspicion et la culpabilité sur celui qui abandonne. En renonçant à l’engagement qui nous lie, qu’il relève de la morale, de l’éthique, du juridique, du politique ou encore du relationnel, ne s’abandonne-t-on pas également soi-même ? Abandonner un terme de l’engagement, n’est-ce pas aussi, dans une certaine mesure, s’abandonner soi-même en tant que second terme de ce même engagement ? Par exemple dans la vie religieuse, le renoncement va jusqu’à l’abandon de son propre nom, de ses intérêts propres, bref de l’individualité qui nous est propre. Quitter le monde revient à se libérer d’un poids, mais n’est-ce pas alors fuir ses responsabilités, ce qui suscite méfiance, incompréhension voire mépris de la part de ceux qui restent engagés dans ce monde ? Dans le même temps, entrer dans la vie religieuse - et cela vaut également pour la vie philosophique - c’est embrasser une autre vie, une vie visée comme plus authentique, la vie véritablement humaine. Pour un regard extérieur, un tel abandon de soi engendre de la fascination, un sentiment oscillant entre d’une part crainte et condamnation, et d’autre part admiration et engouement. On retrouve cette ambivalence dans d’autres figures, telles que celle de l’artiste inspiré ou celle de l’amant passionné. 

Mais le sujet est-il toujours à l’initiative de l’abandon ? Cette relation entre le sujet qui abandonne et l’objet qui est abandonné se complexifie si l’on ne pense plus l’abandon de soi comme une conséquence de l’abandon du monde, mais comme une conséquence d’un abandon par le monde de ses déterminations, possibilités, des caractéristiques qui faisaient son intelligibilité. Dans le cas d’un événement traumatisant, une certaine destruction de notre monde et de ses possibilités s’opère, ce qui conduit inévitablement le sujet à une perte de soi, de ses attentes, de ses projets, laquelle perte peut relever d’un blocage notamment psychologique si le sujet ne parvient pas à se reconstruire après l’advenue de cet événement. Il en résulte une anonymisation ou impersonnalisation de soi (comme dans les cas extrêmes de dépression ou de désespoir où l’apathie et l’inertie peuvent conduire au sentiment de n’être quasiment plus personne) ; ou bien, une étrangéisation de soi (comme dans les cas de folies et de psychoses engendrant une maladie dissociative du moi). Toutefois, ce sentiment d’une perte de notre ipséité n’advient pas uniquement à la suite d’un événement traumatisant qui viendrait de l’extérieur remettre en question ce que l’on pensait être. En effet, ce sentiment peut également survenir lorsque subitement nous prenons conscience du non-sens entourant le monde et notre existence, en raison de la contingence absolue de cette dernière. Ainsi, dans La Nausée, Antoine Roquentin se rend compte, face à la racine d’un marronnier, que son existence n’a pas plus de justification ou de nécessité que tout ce qui l’entoure et s’évanouit avec lui. “Jeté” dans l’existence, l’homme est alors irrémédiablement abandonné à soi-même, à sa propre vie. Dans ces deux derniers cas, l’ébranlement du monde produit en nous comme une onde de choc, un bouleversement de notre ipséité. D’une part, un événement extérieur vient fissurer notre monde et le sens qu’on lui donnait, ce qui peut conduire à un abandon de soi et à l’impossibilité de surmonter l’événement ; d’autre part, l’apparition phénoménale du monde dans son absolue contingence peut conduire à un sentiment d’abandon à soi, où notre propre existence n’a plus de sens. 

Ce sont toutes ces dimensions de la notion d’abandon que nous souhaiterions soumettre à l’exercice de la pensée philosophique, ainsi qu’aux travaux des autres sciences, et ce dans tous les champs qui se reconnaîtront dans les thématiques soulevées (ontologie, politique, éthique, morale, épistémologie, phénoménologie, métaphysique, psychologie…).

Bibliographie indicative

Camus A., Le mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, 1979.

Chrétien J.-L., De la fatigue, Paris, Les Editions de Minuit, 1996.

Fourneret E., Choisir sa mort : Les débats de l’euthanasie, Paris, PUF, 2012.

Freud S., Deuil et mélancolie, traduit en français par H. Francoual, Paris, Editions In Press, 2017.

Gontcharov I., Oblomov, traduit en français par A. Adamov, Paris, Gallimard, 2007.

Goulet-Cazé M.-O., Cynisme et christianisme dans l’Antiquité, coll. « Textes et Traditions », 26, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2014.

Hadot P., Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995.

Heidegger M., Être et temps, traduit en français par F. Vezin, Paris, Gallimard, coll. “Bibliothèque de philosophie”, 1986.

Hobbes T., Le Léviathan, traduit en français par F. Tricaud et M. Pécharman, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2004.

Kahn A., L’ultime liberté?, Paris, Plon, 2008.

Levinas E., De l’évasion, Fata Morgana, Biblio essais, coll. “Le livre de Poche”, 1982.

Maldiney H.,  Penser l’homme et la folie, Grenoble, Millon, coll. “Krisis”, 2021 (dernière édition).

Melville H., Bartleby, le scribe, une histoire de Wall Street, traduit en français par J-Y. Lacroix, Éditions Allia, 2003.

Menet N., Faire le deuil de soi, Paris, Le cherche midi, 2023.

Pascal, Pensées, Paris, Librairie générale française La Flèche, coll. “Le livre de Poche”, 2000.

Perec G., Un homme qui dort, Paris, Gallimard, 1998.

Romano C., L’événement et le monde, Paris, PUF, coll. “Epiméthée”, nouvelle édition revue et corrigée, 2021.

Rousseau J-J., Du Contrat social, Paris, Flammarion, 2012.

Sartre J.-P., La Nausée, Paris, Gallimard, coll. “Le livre de Poche”, 1966.

Modalités de soumission :

Les propositions de communication se tiendront dans la limite de 1500 signes. 

Elles comprendront un titre et seront accompagnées d’une courte biographie de l’auteur. 

Les communications dureront 30 minutes et seront suivies de 15 minutes de discussion avec la salle.

Les propositions sont à envoyer au plus tard le 19 mai 2025 à :

Maéva GUARDIA : maeva.guardia@univ-cotedazur.fr

Casimir LEJEUNE : casimir.lejeune@univ-cotedazur.fr

Valentin PONCET : valentin.poncet@univ-cotedazur.fr 

Alessandra RANDAZZO : alessandra.randazzo@univ-cotedazur.fr

Les notifications d’acceptation ou de refus seront envoyées au plus tard le 2 juin 2025.

Les journées d’études doctorales se tiendront à Nice les 15 et 16 octobre 2025.