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"Le Théâtre ! Voilà un riche moyen de semer les idées, nom de Dieu." (Le Père Peinard, mars 1893). Genres, discours, esthétiques et représentations des pièces anarchistes, 1881-1914 (Reims)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurélien Lorig)

Université de Reims-Champagne Ardenne 

Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modèles Esthétiques et Littéraires ( EA331 CRIMEL)

Colloque « Le Théâtre ! Voilà un riche moyen de semer les idées, nom de Dieu. » (Le Père Peinard, mars 1893)

Genres, discours, esthétiques et représentations des pièces anarchistes (1881-1914)

Vendredi 5 décembre 2025

Appel à propositions

D’après Daniel Guérin, « l’anarchisme est en premier lieu et plus que toute autre chose, une révolte qui jaillit du plus intime de soi[1] ». L’essayiste associe la figure de l’anarchiste à celle d’un homme révolté. Cette colère repose sur quelques thèmes prédominants : la liberté de l’individu et la représentation – parfois polémique – des masses, la critique de la bourgeoisie, la défiance à l’égard des institutions (le vote des lois scélérates), le rejet d’un régime (la Troisième République). 

Si le roman a pu apparaître comme un lieu d’expression des idées anarchistes, le théâtre n’a rien à envier aux récits publiés au tournant du XIXe siècle. En effet, le « théâtre [de combat] qui s’est développé en France du retour des communards en 1881 à la guerre de 1914[2] » apparaît comme  un « outil de praxis évolutionnaire[3] » offrant de belles perspectives d’études tant du point de vue des corpus que de la manière d’envisager le théâtre et ses desseins. La société telle qu’elle est ne satisfait pas écrivains et militants anarchistes qui voudraient la transformer en agissant sur l’homme et son émancipation, en défendant un projet existentiel au service de l’individu. 

Pour ce faire, le drame semble être un moyen particulièrement intéressant. En mars 1893, la question est considérée dans les colonnes du Père Peinard : « Le Théâtre ! Voilà un riche moyen de semer les idées, nom de Dieu. En effet, si mal bâtie que soit une pièce, elle a cette supériorité sur un bouquin, c’est que le plus niguedouille saisit ce que l’auteur a voulu dire : y a pas besoin de se creuser la caboche, les idées nous défilent sous le nez, comme qui dirait toutes vivantes[4]. » Cet avantage que constituerait le recours au théâtre, Raymond Duncan l’assimile au drame, lequel, « parlant directement aux sens, […] est le véritable moyen que nous ayons de lutter pour le progrès même des individus en leur donnant la volonté en même temps que la force de briser tout ce qui les empêche encore de se libérer[5] ». De ce point de vue, le sérieux du drame est tout l’inverse du vaudeville que Labiche, pourtant représentant du genre, assimile à une certaine frivolité qu’il incarne à travers l’un de ses personnages dans Un jeune homme pressé : « Oh ! Dieu ! je les [les vaudevilles] ai en horreur ! … c’est toujours la même chose ; le vaudeville est l’art de faire dire oui au papa de la demoiselle qui dit non[6]… » Si le drame trouve sa place dans le théâtre anarchiste de « combat », ayant fait l’objet, en 2001, d’une publication en trois tomes avec des textes choisis, établis et présentés par Jonny Ebstein, Philippe Ivernel, Monique Surel-Tupin et Sylvie Thomas, il est bien antérieur aux années 1880. 

Apparu dans le Dictionnaire de l’Académie en 1762, le drame, bourgeois dans un premier temps, se fonde en partie sur l’opposition conjointe à la tragédie et à la comédie (Denis Diderot, Le Fils naturel). Après lui, le drame romantique poursuit sur la voie de l’imitation du réel et la volonté de proposer une forme théâtrale qui ne doive ni à la comédie ni à la tragédie, tout en récusant les règles classiques de composition d’une pièce (Victor Hugo, Préface de Cromwell). Le genre poursuit ensuite sa transformation au temps d’un symbolisme qui rejette l’imitation réaliste et cherche à établir des correspondances entre charnel et spirituel. Maurice Maeterlinck conserve ainsi – de manière discutable – le terme de drame pour sa pièce Pelléas et Mélisande

Cet usage d’un mot qui recouvre des réalités et des réalisations théâtrales somme toute très différentes, nous le retrouvons également dans les années 1880-1910 lorsqu’apparaît un théâtre anarchisant résolument tourné vers l’écriture de drames du soulèvement où l’énergie révolutionnaire puise dans l’actualité du moment : Louise Michel dans un drame en cinq actes et un prologue dont le thème principal est la dénonciation du système capitaliste et la nécessité de la révolte pour le peuple exploité (La Grève) ; Georges Darien dans un drame en un acte dont le sujet est la critique du bourgeois à Paris au moment de la chute des communards (L’Ami de l’ordre) ; Poinsot et Normandy dans un drame ouvrier (Les Vaincues) ; Han Ryner dans un « drame moderne » en deux actes (Jusqu’à l’Âme). Ces quelques exemples mettent au jour un théâtre devenu une véritable « arme[7] » pour des écrivains désireux d’aller bien au-delà des seules étiquettes génériques. Force est de constater que les combats engagés imposent de ne pas se laisser enfermer dans des classifications contraignantes. Ainsi, dans un même corpus théâtral, celui de Mirbeau par exemple, on peut aussi bien lire une « pièce » en un acte inspirée de l’épidémie de typhoïde qui frappe une caserne à Lorient en 1888 (L’Épidémie) qu’une « comédie » en trois actes portant sur une satire sociale (Les Affaires sont les affaires). 

Si le désir de prendre ses distances avec les codes classiques existe bel et bien chez les dramaturges de sensibilité anarchiste dont Mirbeau fait partie, ces auteurs ne sont pas à l’avant-garde d’un renouvellement complet des formes théâtrales. Ce qui prévaut, c’est l’utilisation des potentialités offertes par le théâtre pour mettre en scène des personnages et des situations où il est question de dénoncer les injustices, de défendre les libertés, de représenter une inhumaine comédie. Dès lors, drames, mélodrames, comédies, pièces, registres sont autant de classifications dont l’auteur anarchiste se sert afin d’agir. Il y a d’ailleurs bien des militants devenus auteurs de pièces à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle : Lucien Descaves (La Cage), Charles Malato (Barbapoux), Vera Starkoff (L’Amour libre), Nelly Roussel (Par la révolte), Jean Grave (Responsabilités !). 

Ce théâtre combatif bénéficie d’une médiatisation grâce aux journaux qui font la réclame de ces pièces : La Révolte, Les Temps Nouveaux. Mais au-delà de la seule publicité, la presse sert également à tenir un discours sur le théâtre : critiques, esthétiques, finalités de l’art théâtral, conditions de travail, etc. Théâtre populaire de Mirbeau, « Théâtre d’Aujourd’hui » de Darien, théâtre Civique de Louis Lumet, ou encore L’Art Social d’Auguste Linert défendant en 1893 l’idée d’un théâtre capable d’accueillir toutes les révoltes et d’éveiller les consciences de quelques-uns au service du plus grand nombre, sont autant d’éléments qui mettent en évidence la volonté d’aller vers une dramaturgie nouvelle où l’expression des révoltes et l’influence possiblement exercée par le théâtre sont au cœur des préoccupations. Il s’agit, entre autres, de faire du théâtre un genre capable « d'attirer l'attention des esprits cultivés et des artistes sur les iniquités de l'heure présente[8] ». De la promotion à la publication – si censure il y avait – les journaux de tendance libertaire donnent une visibilité aux combats menés par les dramaturges, lesquels sont aussi confrontés à une autre réalité, de terrain cette fois : la représentation. Maison du peuple de Montmartre (Émile Veyrin, La Pâque socialiste ; Mirbeau, L’Épidémie), Comédie-Française (Mirbeau et Natanson, Le Foyer), Universités Populaires (Poinsot et Normandy, Les Vaincues), autres scènes françaises (Théâtre Antoine, Grand-Guignol, etc.), sont autant de lieux où les pièces anarchistes sont représentées et souvent réceptionnées dans le tumulte. Louise Michel, Lucien Descaves, Georges Darien, Octave Mirbeau voient ainsi s’opposer partisans et détracteurs (Darien et Descaves, Les Chapons, 1890). Ces tensions s’accompagnent aussi de débats sur la réception d’une pièce : Jean Grave, à propos des Mauvais bergers et de la fin de la pièce de Mirbeau jugée trop pessimiste.  

Bâti sur la critique de la société et désireux de transposer le combat en faveur de l’individu sur scène, le théâtre anarchisant est incarné, au fond, par ceux qui veulent « rester cet homme impossible tant que ceux qui, actuellement, sont “possiblesˮ ne changeront pas[9] ». Le dramaturge anarchiste plongé dans un monde injuste et révoltant porte une voix émancipatrice où les catégories génériques, les discours sur le théâtre, les esthétiques et le rapport à la représentation n’aboutissent pas à une dramaturgie résolument nouvelle, mais favorisent l’expression des révoltes, incitent à la prise de conscience et poussent à l’action. 

Ce colloque qui s’inscrit dans la continuité de la parution prochaine (avril 2025) d’une pièce inédite aux Éditions et Presses Universitaire de Reims (un drame anarchisant en quatre actes écrit par Darien en 1907 et intitulé La Viande à feu / volume collectif dans la collection « Héritages critiques ») souhaite poursuivre et approfondir la réflexion sur un théâtre anarchiste qui offre encore bien des perspectives d’étude stimulantes.

Pour ce colloque, les pistes envisagées – sans êtres exhaustives – viseront à questionner le théâtre anarchiste :

-  Ses auteurs. Les pièces de ce corpus anarchisant peu, voire pas étudié, pourront faire l’objet d’une communication. 

-  Ses discours. Quelle est la vision du théâtre défendue par les dramaturges anarchistes au tournant du siècle ? Quels textes peuvent constituer un socle théorique intéressant pour appréhender la manière de faire théâtre lorsqu’il s’agit de dire ses colères ? Quels sont les supports privilégiés pour diffuser cette parole sur le théâtre ? 

-  Ses esthétiques. Quels critères esthétiques pour l’art théâtral au temps de l’anarchisme ? Quel drame ? Quelles pièces propose-t-on au lecteur, au spectateur ? Plus largement, quelles approches ? Quelles influences génériques ? Pour quel renouvellement formel ?

-  Ses représentations. Comment envisager la mise en scène des révoltes ? Comment réussir à être joué ? Comment aborder la réception (lors de la représentation ou ultérieurement dans la presse et les critiques), souvent conflictuelle, d’un tel théâtre ?  

Cette manifestation scientifique fera l’objet d’une publication (actes de colloque). Les modalités seront précisées ultérieurement aux participant.e.s.

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Modalités de soumission  

Les propositions de communication (entre 300 et 500 mots), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, seront à envoyer par courriel avant le 23 juin 2025 à l’adresse suivante : aurelien.lorig@univ-reims.fr

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Comité scientifique

Régine Borderie (Université de Reims)

Marie-Astrid Charlier (Université Paul-Valéry Montpellier 3 / IUF)

Nathalie Coutelet (Université Paris 8)

Guy Ducrey (Université de Strasbourg)

Vittorio Frigerio (Dalhousie University)

Aurélien Lorig (Université de Reims)

Séverine Reyrolle (Université de Reims)

[1] Daniel Guérin, L'anarchisme : de la doctrine à l'action, Gallimard, Paris, 1965.
[2] Michel Corvin, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris, Bordas, 2012, p. 79.
[3] Camille Mayer, « Le théâtre, outil de praxis évolutionnaire des anarchistes parisiens de la Belle Époque ? », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 150 | 2021, p. 121-140.
[4] « Le théâtre d’art social », Le Père Peinard, n° 209, 19 au 26 mars 1893, p. 4-5.
[5] Raymond Duncan, « L’art naturel », Les Temps Nouveaux, n° 34, 23 décembre 1911, p. 2.
[6] Labiche, Un homme pressé, 1848, scène IV, Libre Théâtre. Le théâtre du domaine public français.
[7] Georges Darien, L’Ennemi du Peuple, Paris, Éditions Champ Libre, coll. « Classiques de la subversion », p. 49. 
[8] Jonny Ebstein, Au temps de l’anarchie. Un théâtre de combat (1880-1914), Paris, Séguier / Archimbaud, 2001, t. 1.
[9] Correspondance de Michel Bakounine. trad. de Marie Stromberg, Perrin et Cie, 1896, p. 281. Lettre de Bakounine à Ogareff, 14 juin 1868.