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Appels à contributions
Après le jeune théâtre (revue Textyles)

Après le jeune théâtre (revue Textyles)

Publié le par Marc Escola (Source : Pierre Piret)

Appel à contributions

Après le Jeune Théâtre

Tendances, enjeux et modalités des écritures théâtrales contemporaines

(en Belgique francophone)

Sous la direction d’Elise Deschambre et Pierre Piret

Un appel lancé par Textyles, revue des lettres belges de langue française, pour un numéro à paraître en mai 2026.

Les années 1970, marquées par l’émergence de ce qu’on a appelé le Jeune Théâtre, constituent un moment charnière dans l’histoire du théâtre belge francophone, qui a déjà fait l’objet de plusieurs travaux (Quaghebeur 1978, 1980 ; Creuz 1987 ; Aron 1995 ; De Decker 2003 ; Delhalle 2006, 2007). Contestant l’establishment, une nouvelle génération d’artistes revendique un accès au métier, à la création, et donc aux mécanismes de subventionnement. Ils appellent également à une véritable révolution esthétique, s’attelant à repenser la théâtralité en se référant à des modèles nouveaux. Ils placent ainsi la scène belge au diapason des innovations internationales, qui sont enseignées à l’INSAS ou à l’IAD, ces écoles de théâtre récemment fondées dans l’optique de se démarquer des Conservatoires d’alors, et par lesquelles beaucoup de représentants du Jeune Théâtre sont passés. Ce mouvement va participer au rayonnement de la scène belge, qui devient un foyer de création indépendant de la scène parisienne : à l’heure où l’on réfléchit à la belgitude ou à la culture wallonne, la relation privilégiée au centre parisien fait place progressivement à une relation d’échanges et de circulation au sein de l’espace francophone (dont le Théâtre des Doms reste une illustration). Il va conduire également à renforcer l’attention portée aux dramaturges belges, préoccupation qui s’inscrit jusque dans les contrats-programmes. Il soutiendra enfin une politique de décentralisation et de démocratisation de l’accès à la culture, via la mise en place d’un nouveau système de subventions. 

La redynamisation des années 1970 touche donc le théâtre dans toutes ses composantes : institutions, pratiques, enseignement, etc. Le Jeune Théâtre se conçoit ainsi comme un projet d’avenir, voire une utopie, où le contexte global de création est fondamentalement repensé. Or, ce projet concerne aussi l’écriture théâtrale ; il promeut des esthétiques nouvelles, des relations nouvelles entre texte et scène, comme entre les auteurs et autrices et les institutions, de nouvelles pratiques d’écriture également (écritures collectives, auteur en scène, etc.) Il affirme enfin le rôle-clé du dramaturge, dans ses deux acceptions (art de la composition des pièces de théâtre et pensée du passage à la scène des pièces de théâtre, pour reprendre la distinction de Joseph Danan).

Dans ce numéro, nous voudrions faire le point sur les suites données à ce projet, à cette utopie, quant à l’écriture théâtrale. Que reste-t-il des aspirations du Jeune Théâtre vis-à-vis de celle-ci ? Se sont-elles concrétisées ? Comment l’écriture théâtrale, et la conception que les artistes, les dramaturges (dans les deux sens du terme) et les institutions en ont, ont-elles évolué ? Dépassant l’approche thématique, qui consisterait à étudier les grands thèmes qui occupent nos scènes ces dernières décennies (féminisme, postcolonialisme, écologie, minorités, etc.), il s’agira de déterminer les tendances, modalités et enjeux de l’écriture théâtrale de ces quarante dernières années. Le pluriel s’impose car un modèle uniforme et unique ne s’est, à l’évidence, pas imposé, mais bien une production hétérogène, qu’il reste à préciser, analyser, situer.

Quant aux tendances, on repère un engouement :

– pour les spectacles qui se focalisent sur l’expérience partagée avec le spectateur, dont la portée peut être ludique mais aussi cérémonielle : de Jean-Marie Piemme et Paul Pourveur à Thomas Depryck et Laurence Vielle, de Transquinquennal et la Fabrique imaginaire à la Clinic Orgasm Society, au collectif Greta Koetz ou au Raoul collectif, il s’agit de penser le théâtre comme un art vivant, une célébration de l’instant et de la co-présence ;

– pour les pratiques documentaires, informatives ou militantes, parfois pédagogiques : le travail d’écriture du Groupov, du collectif La Brute ou du Nimis Group, celui d’autrices comme Céline Delbecq ou Adeline Rosenstein abordent sans détour les débats politiques et les enjeux sociaux du moment, dans une optique de transmission (de savoirs, de faits, d’archives...) ;

– parmi celles-ci, on pourrait distinguer une voie particulière en ce qu’elle fait appel spécifiquement au témoignage et à la théâtralité particulière qu’il implique : songeons au travail de Clémentine Colpin, Agnès Guignard, Veronika Mabardi, Myriam Saduis, etc.

– il pourrait être intéressant de s’interroger également sur l’atténuation de certaines tendances, comme la satire, le dialogue absurde, etc.

Quant aux modalités d’écriture, elles se sont nettement diversifiées : à côté de dramaturges (au sens 1), plus ou moins proches de la scène (certains montant même leurs propres textes), comme Paul Emond, François Emmanuel, Virginie Thirion, Eric Durnez, Geneviève Damas, Alain Cofino Gomez, Vincent Lécuyer, etc. (ou d’autres déjà cités), des collectifs prennent en charge l’écriture des spectacles, à partir d’improvisations parfois, produisant des textes publiés ou non. Une autre figure s’affirme aujourd’hui : celle du metteur en scène qui écrit le texte de son propre spectacle, comme Fabrice Murgia, et le publie parfois, comme Anne-Cécile Vandalem. On notera également la place importante des adaptations de romans, films, séries, BD par des dramaturges (comme Paul Emond, Thierry Debroux, Coline Struyf, Nicolas Ancion, etc.). Se pose également la question des cadres de production : le rôle des commandes et des artistes associés, mais aussi l’effet, sur l’écriture, des aides institutionnelles, des filières dédiées à l’écriture dans les écoles de théâtre et des dispositifs de soutien et d’accompagnement à l’écriture comme le CED-WB ou autres ateliers… Parallèlement à ces modes d’écriture du théâtre adulte, un secteur particulier se développe, le théâtre jeune public, avec ses pratiques de composition textuelle propres. Il retiendra également notre attention.

Quant aux enjeux, ils sont à l’évidence multiples et on peut se demander dans quelle mesure ils ont été véritablement modifiés par le projet du Jeune Théâtre. En nous concentrant sur les tendances et modalités de l’écriture théâtrale en Belgique francophone, nous espérons préciser cette question des enjeux et de la place du théâtre dans la société contemporaine, à l’heure où le théâtre est devenu, comme le montrait déjà Jean-Marie Piemme dans Le Souffleur inquiet, un « art minoritaire ».

Ces tendances et modalités ne sont pas exclusives. Elles sont à saisir comme clefs d’analyse, invitent à situer et penser les productions singulières vis-à-vis d’elles, et à dépasser les conceptions duelles qui structurent certains discours portés sur le théâtre (artistiques, institutionnels, critiques). Selon ces conceptions, il y aurait, d’un côté, un théâtre faisant usage du texte dramatique préécrit et, de l’autre, un théâtre qui invente sa propre matière à partir du plateau (pratique couramment désignée par l’expression, discutable, d’« écriture de plateau »). Les premières se baseraient sur les catégories issues de la mimèsis (personnage, action, espace-temps fictionnel…) tandis que les secondes seraient davantage inscrites dans le présent de l’événement théâtral. Les premières seraient plus traditionnelles, voire obsolètes ; les secondes, contemporaines, voire novatrices (Cofino Gomez e.a. 2006 ; Delaunoy 2017). En partant de l’identification de tendances et modalités, ce numéro essaie d’échapper à ces a priori. 

En résumé, l’objectif de ce numéro est de faire un état des lieux et de structurer ce qui paraît très hétérogène, en se positionnant par rapport au moment et à l’utopie Jeune Théâtre, cela via : 

– des études de cas, donnant lieu à un travail d’analyse et de contextualisation : il s’agit d’aller au-delà de la description et de montrer comment une démarche révèle un modèle, éclaire des tendances, modalités, enjeux ;

– des études transversales mettant en relation diverses œuvres pour dégager des cohérences et tenter de structurer ainsi la production contemporaine.

Les propositions de contributions, accompagnées d’une brève notice biobibliographique, sont à transmettre à Elise Deschambre et Pierre Piret pour le 15 juin 2025 : elise.deschambre@aml-cfwb.be ; pierre.piret@uclouvain.be

Les textes (30 000 signes, espaces comprises) devront leur être envoyés pour le 15 novembre 2025.

Le numéro paraîtra en mai 2026.

Bibliographie indicative

Aron, Paul. 1995. La Mémoire en jeu. Une histoire du théâtre de langue française en Belgique. Bruxelles : La lettre volée. 

Cofino Gomez, Alain, e.a. 2006. « La dramatique condition de l’auteur dramatique ». Carte blanche parue dans Le Soir, édition du 29/11/2006 [disponible à la consultation à la Bellone].

Creuz, Serge (dir.) 1987. En scène pour demain. Soixante ans de théâtre belge. Bruxelles : Presses de la Bellone. 

De Decker, Jacques. 2003. « 1960-1980. De l’Expo 58 au Jeune Théâtre : propos d’un électron libre ». Aron, Paul, e.a. (dir.) Un siècle en cinq actes. Les grandes tendances du théâtre belge francophone au xxe siècle. Bruxelles : Le Cri. 83-104. 

Delaunoy, Michael. 2017. « “Vous comprenez, nous ne faisons plus que les écritures de plateau” ». Études théâtrales. no 66 (« Corps vivant, corps parlant »). 161-168. 

Delhalle, Nancy. 2003. « 1980-2000. Un théâtre qui s’affirme : nouvelles écritures en jeu ». Aron, Paul, e.a. (dir.) Un siècle en cinq actes. Les grandes tendances du théâtre belge francophone au xxe siècle. Bruxelles : Le Cri. 105-136. 

Delhalle, Nancy. 2006. Vers un théâtre politique. Belgique francophone 1960-2000. Bruxelles : Le Cri.

Delhalle, Nancy. 2007. « Les pratiques théâtrales des années 1970 dans le théâtre belge francophone ». CHTP-BEG, no 18. 85-108. 

Deschambre, Élise, Feltz, Julie (dir.) 2024. Écriture et création scénique. Nouvelles collaborations au tournant des xxe et xxie siècles. Études théâtrales. no 75.

Piret, Pierre (dir.) 2021. Jean-Marie Piemme, quel théâtre pour le temps présent ? Textyles. no 60. 

Quaghebeur, Marc. 1978. « Le devenir du Jeune Théâtre en Belgique francophone ». Dossiers du Cacef, no 61. 21-43 

Quaghebeur, Marc. 1980. « Le théâtre après 1965 : axes du Jeune Théâtre ». D’Haenens, La Belgique, société et culture depuis 150 ans. Bruxelles : Ministère des affaires étrangères. 188-193.