
InterCulturalia, 7e édition : « Interroger les savoirs et les canons : centres, périphéries, normes » (Iași, Roumanie & en ligne)
InterCulturalia : Colloque international pour les étudiants et les jeunes chercheurs
7e édition : « Interroger les savoirs et les canons : centres, périphéries, normes »
Université Alexandru Ioan Cuza, Iași, Roumanie
hybride (présentiel+distanciel)
Déroulement : 11-12.04.2025 ; délai d'inscription : 15.03.2025.
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Organisateur : Département de Langues et littératures étrangères, Faculté des Lettres, Université Alexandru Ioan Cuza, Iași, Roumanie
Public cible : étudiants / jeunes chercheurs (niveau licence, master, doctorat)
Durée de la communication orale : 15 minutes
Date limite de soumission des résumés : 15.03.2025 (formulaire d'inscription Google)
Modalité d'intervention : présentiel/distanciel
Langues du colloque : allemand, anglais, espagnol, français, italien
Frais d’inscription : non
Publication (choix de communications) : dans la revue Intercultural Perspectives / Perspectives interculturelles / Interkulturelle Perspektiven (ISSN : 2668‐3369, 2668-3520 online), en cours d’indexation dans les bases de données internationales
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Argumentaire et bibliographie (français)
On peut considérer chaque époque comme une époque de nouveauté et de réaction aux époques précédentes. Le réalisme et le naturalisme sont nés comme une réplique au romantisme. Le modernisme est une riposte au réalisme même au-delà du domaine artistique, tandis que le postmodernisme représente une réponse et un mouvement essayant de mélanger de manière unique des idées antérieures. Après toutes ces réactions en chaîne, qu’est-ce qui fait que notre époque, post-canonique, se distingue parmi la multitude de bouleversements ?
Voici la question à laquelle invite à réfléchir la 7e édition du colloque InterCulturalia. S’agit-il de la technologie ou de la science, de la manière dont nous nous y rapportons, de la façon dont nous produisons l’art, de la façon dont nous consommons l’art ? Les participants sont invités à explorer de telles questions et peut-être, pour les plus aventureux, à fournir des réponses possibles.
Tout en cherchant à comprendre les sentiers battus avant d’en sortir, une nouvelle approche vise ici un concept particulièrement polarisant : le canon. Les origines étymologiques de ce terme témoignent de sa capacité à s’étendre à diverses sphères de la connaissance. Issu du mot grec χανω ́ν, qui signifie « une barre utilisée par un tisserand ou un charpentier », le mot canon évolue, en latin classique, vers le sens de règle, standard ou norme dans des domaines tels que l’art, la littérature ou le droit. En latin chrétien, il désigne l’« ensemble des livres sacrés ». D’autre part, post-, en particulier dans les études critiques, sociales ou culturelles, est devenu un préfixe encourageant la critique du mot qui le suit, remettant ainsi en question la norme susmentionnée, pour l’interroger et la dépasser.
Les discussions sur les limites, les changements, les déplacements et l’éventuelle obsolescence des canons reflètent une préoccupation encore plus importante : le souhait de briser les murs et les frontières, de décentraliser, de re-centraliser et de réorienter le concept de canon tout en déplaçant l’attention du centre vers la marge, des cultures dominantes vers les cultures marginales. Reconnaître le centre et ses privilèges permet de voir la marge pour ce qu’elle est vraiment : « une partie nécessaire et vitale » de l’ensemble (Hooks, 1984). Une séparation complète des deux pôles ne tient pas compte de l’histoire de leur interaction et de leur influence mutuelle. Les avancées technologiques actuelles ont créé un espace apparemment sans frontières dans lequel la connaissance devient plus fluide et accessible que jamais. La mondialisation culturelle, la popularité et la nécessité de multi-, inter- et transdisciplinarité traduisent la tendance croissante à combler les vides et à réévaluer les anciennes normes, règles et valeurs.
L’une des manières dont cette propension se manifeste dans les études littéraires consiste à remettre en question l’autorité depuis longtemps établie des canons. Sous l’influence d’une « nouvelle modernité », le discours autour des canons culturels prend en compte principalement une différenciation fondamentale entre les mouvements culturels passés et la tentative courageuse du présent de créer un espace culturel sans frontières. Il s’agit d’une transition nécessaire vers une culture flexible, d’une libération des angoisses traditionnelles.
Le principal défi du présent culturel devient la confrontation légitime des règles conventionnelles, devenues parfois trop commodes et trop rigides pour ne pas être enfreintes. Ces métamorphoses et ruptures relèvent de tensions fondamentales, d’une relativité du goût, de l’esprit d’une époque : le « processus de canonisation » ou de dé-canonisation, tributaire de la théorie des « champs », voire de l’idée de « lutte » (Bourdieu, 1992), se déploie finalement comme une véritable « bataille canonique » (Cornea, 2000).
Au cours des dernières décennies, de plus en plus d’auteurs ont mis en avant leurs communautés sous-représentées, étant bien reçus par la critique et acquérant une renommée internationale. Alors que les canons littéraires s’étendent et que leurs frontières deviennent de plus en plus incertaines, énigmatiques et obscures, il convient de se demander si nous ne sommes pas dans une ère post-canonique. Nos anciennes classifications de la culture sont-elles toujours applicables aujourd’hui ? Notre ancienne conception de la valeur est-elle encore pertinente ? Dans les études littéraires, l’évolution vers une ère post-canonique semble évidente. Elle est attestée non seulement par la notoriété actuelle de littératures autrefois considérées comme « mineures » ou « populaires », mais aussi par l’augmentation du nombre d’ouvrages théoriques réévaluant notre ancienne conception des canons littéraires et de la littérature mondiale. Le but majeur du programme des « œuvres représentatives » lancé en 1947 par l’UNESCO et confié à l’écrivain français Roger Caillois est ainsi de traduire des œuvres littéraires non occidentales et de substituer au « canon européen gréco-latin des classiques » un « canon des littératures vernaculaires modernes » (Sapiro, 2024). Plus récemment, parmi les voix anglophones, l’article de David Damrosch, « Frames for World Literature » (2009), rend compte du passage d’une représentation binaire des canons à un modèle à trois niveaux, abandonnant la distinction entre littératures majeures et littératures mineures au profit de l’hypercanon, de l’anticanon et du canon fantôme (Damrosch, 2009).
Ce que l’on a appelé l’ère post-canonique s’étend à divers domaines de la connaissance. Il s’agit d’une possible remise en question non seulement des valeurs, mais aussi des raisons et des mesures de ces valeurs. L’esprit moderne, libéré de l’influence des « canons » obscurs et abstraits, ne se contente pas de réévaluer une liste d’œuvres dites significatives, mais critique les fondements et les motivations qui déterminent ces jugements. Il encourage l’interrogation et la fluidité, alors même que la mémoire culturelle est située « plutôt du côté du figé que du fluide » (Zschachlitz, 2007 : 546). Car les canons, paradoxalement, ont pour spécifique « d’intégrer l’exception », de « communiser la différence », étant simultanément « convention (littéraire) et écart » (Martin, 1997-1998 : 19). Cette discussion continue et fructueuse invite à des contributions portant sur l’interrogation des centres, des marges et des normes dans les domaines suivants (sans s’y limiter) :
● Critique et histoire littéraires
● Sciences du langage, linguistique
● TEFL, FLE, DAF, DELE, ILS, CILS
● Traductologie
● Sciences de l’information et de la communication
● Sciences de l’éducation
● Études culturelles : anglophones/(inter-)américaines, francophones, germanophones, hispanophones, italophones
● Études filmiques et adaptation
● Études de genre
● Anthropologie, ethnologie, études religieuses
● Philosophie, psychologie, sociologie
● Histoire, archéologie
● Sciences de la Vie, de la Santé et de la Terre
● Études environnementales et développement durable
● Presse, culture médiatique, réseautage social
● Arts, histoire des arts
● Études juridiques
● Études informatiques
● Sciences et techniques
● Approches interdisciplinaires
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Bibliographie indicative
Altieri, Charles. “An Idea and Ideal of a Literary Canon.” Critical Inquiry, vol. 10, no. 1, 1983, pp. 37-60.
Bernsen, Michael (éd.). Un Canon littéraire européen ?, Bonn, Cultures européennes – identité européenne, 2017.
Bloom, Harold. The Western Canon: The Books and School of the Ages. Riverhead Books, 1995.
Bourdieu, Pierre. Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.
Branca-Rosoff, Sonia, Ramognino, Nicole (éds). Les Normes pratiques, Langage et société, n° 119, vol. 1, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007.
Camille, Michael et al. “Rethinking the Canon.” The Art Bulletin, vol. 78, no. 2, 1996, pp. 198-217.
Compagnon, Antoine. « Le canon. Construction et déconstruction des classiques ». Dans Antoine Compagnon et Jacques Seebacher (dirs), L’Esprit de l’Europe, Paris, Flammarion, 3 vols, t. 3, 1993, pp. 177-197.
Cornea, Paul. « Canon et bataille canonique ». Dans Raymond Vervliet et Annemarie Estor (éds), Methods for the Study of Literature as Cultural Memory, vol. 6, n° 30, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 2000, pp. 107-120.
Crowther, Paul. Defining Art, Creating the Canon: Artistic Value in an Era of Doubt. Oxford University Press, 2011.
Damrosch, David. "Frames for World Literature". Grenzen der Literatur: Zu Begriff und Phänomen des Literarischen, edited by Simone Winko, Fotis Jannidis and Gerhard Lauer, Berlin, New York: De Gruyter, 2009, pp. 496-515.
Fiedler, Leslie A., and Houston A. Baker Jr., editors. English Literature: Opening Up The Canon. The Johns Hopkins University Press, 1981.
Gossman, Lionel. Between History and Literature. Harvard University Press, 1990.
Gugelberger, Georg M. “Decolonizing the Canon: Considerations of Third World Literature.” New Literary History, vol. 22, no. 3, 1991, pp. 505-24.
hooks, bell. Feminist Theory: From Margin to Center. South End Press, 1989.
Lucken, Christopher (coord.). Le Canon littéraire, Littérature, n° 196, vol. 4, Paris, Armand Colin, 2019.
Malița, Ramona. « Canons littéraires, horizon d’attente : l’histoire d’une idée », Acta Neophilologica, vol. 36, nos 1-2, 2003, pp. 143-151.
Malkani, Fabrice, Saint-Gille, Anne-Marie, Zschachlitz, Ralf (éds). Canon et mémoire culturelle. Œuvres canoniques et postérité, Paris, Didier Érudition, 2007.
Mincu, Marin (coord.), Canon și canonizare, Constanța, Pontica, 2003.
Muthu, Mircea. „Canonul hard și canonul soft”, Observator cultural, n° 13/270, 2005, pp. 14-15.
Myers, D. G. “The Bogey of the Canon.” The Sewanee Review, vol. 97, no. 4, 1989, pp. 611-621.
Provenzano, François. « Francophonie. Idéologie, variation, canon : modèles québécois pour la francophonie littéraire ». Tangence, n° 100, 2012, pp. 133-152.
Sapiro, Gisèle, « Créer un canon littéraire international. Roger Caillois et le programme des ‟Œuvres représentativesˮ de l’Unesco », Acta fabula, vol. 25, n° 8, « Nouvelles recherches sur la littérature », septembre 2024, en ligne : www.fabula.org/revue/document18468.php.
Shelton, Marie Denise. “Who Is Afraid of the Canon?” Pacific Coast Philology, vol. 32, no. 2, 1997, pp. 136-139.
Turner, Nick. Post-War British Women Novelists and the Canon. Bloomsbury Publishing, 2011.
Walter, Henriette. Le Français d’ici, de là, de là-bas. Paris, Jean-Claude Lattès, 1998.
Zschachlitz, Ralf, « ‟Blocage canoniqueˮ, ‟espace des possiblesˮ, ‟dialectique à l’arrêtˮ. Éléments d’une théorie du canon chez Assmann, Bourdieu et Benjamin », Études Germaniques, vol. 3, n° 247, 2007, pp. 543-557.