
« VICTOR HUGO EN IMAGES »
Numéro de Textimage – Un auteur en images
dir. Camille Page (Université Grenoble Alpes, UMR Litt&Arts)
« Victor Hugo en images » : le titre de ce numéro entre en résonnance avec une tradition critique qui n’a cessé d’étudier le dialogue entre l’« homme-siècle » et la richesse, tout autant que la diversité, des productions iconiques qui entourent son œuvre. La Gloire de Victor Hugo[1], somme monumentale parue à l’occasion du centenaire de la mort de l’auteur, s’interrogeait déjà sur la manière dont le partage et la transmission des images permettaient de « faire communauté ». Qu’il s’agisse des éditions illustrées qui, selon l’expression consacrée par Ségolène Le Men, façonnent un véritable « musée pour lire[2] », des portraits de Hugo publiés dans la presse de l’époque (parfois selon un traitement caricatural), ou encore des adaptations cinématographiques[3] qui n’ont cessé de transmettre, de génération en génération, les récits de l’auteur, les images accompagnent et peut-être même assurent depuis le XIXe siècle la réception de l’œuvre de Victor Hugo, ainsi que sa permanence dans l’imaginaire collectif.
Mais quel sens attribuer aujourd’hui au déploiement de l’imagerie liée à Victor Hugo dans notre société ? La figure patrimoniale, si bien ancrée dans notre paysage visuel et culturel, semble en effet soumise à une extrême labilité qui autoriserait, en un sens, la manipulation, plus ou moins consciente, des images qui lui sont attachées, et cela selon des perspectives qui peuvent être bien différentes : artistiques, certes, mais aussi didactiques, ou même politiques. Sacré « écrivain national[4] » dans les dernières années de sa vie, comment l’image associée à l’œuvre et à la personne de Victor Hugo peut-elle toujours faire communauté, ou bien au contraire fonctionner comme ferment de la dissidence ?
Tout en nous situant dans une histoire des rapports entre texte et image qui s’écrit dès le XIXe siècle, l’approche choisie pour ce numéro se veut volontairement contemporanéiste, afin d’étudier d’une part la mutation de certains phénomènes sur un temps long, mais aussi de laisser une place plus grande à des manifestations iconographiques propres au contexte à la fois artistique, social, politique mais aussi numérique / médiatique qui est le nôtre.
Les propositions d’article pourront ainsi s’articuler autour des quatre axes suivants :
1. Images de Victor Hugo dans l’espace public
Les perspectives ouvertes ces dernières années par les approches méthodologiques de la littérature « hors les murs[5] » nous offrent la possibilité d’envisager des manifestations du phénomène littéraire et iconographique en dehors de l’espace du livre, et ainsi d’analyser la présence de l’imagerie hugolienne dans l’espace public :
- On pourra s’intéresser aux entreprises artistiques à visées commémoratives et pédagogiques, souvent soutenues par des politiques locales, qui perpétuent l’image topique du patriarche de la nation, défenseur de la République et de l’enseignement public. En avril 2022, le graffeur Heta One a ainsi été sollicité par le conseil municipal des jeunes de Saint-Aubin pour réaliser une fresque sur Victor Hugo. La rue devient donc le lieu privilégié pour célébrer la mémoire du grand écrivain qui fut aussi homme politique, et les artistes du street arts’emparent pleinement des possibilités offertes par le terrain de jeu proposé par les institutions.
- Certains gestes artistiques se servent de la forte agentivité de l’écrivain et de son œuvre pour engager ou nourrir une polémique, et au contraire s’opposer aux pouvoirs et politiques publics. C’est le cas notamment de Cosette, fresque réalisée en 2016 par le célèbre graffeur Bansky, près de l’ambassade de France à Londres, afin de dénoncer l’attitude des forces de l’ordre face aux migrants de Calais. Quels sont les ressorts propres aux images qui permettent de mobiliser la référence hugolienne en tant que force subversive, voire transgressive ?
- D’autres démarches peuvent aussi être prises en compte, comme le phénomène des affiches de spectacles qui, tout en mettant Hugo à l’honneur, tentent de le « dépoussiérer » et de faire valoir son étonnante modernité. L’affiche devient le médium favori pour contrecarrer l’image du patriarche à barbe blanche, et mettre en avant le côté transgressif et étonnamment « pop » du personnage[6].
2. Animer la vie de Victor Hugo
La vie de Victor Hugo a fait l’objet de nombreux récits, qui oscillent parfois de manière assez binaire entre l’hugophilie et l’hugophobie. Dès lors, quel est le rôle de l’image dans le portrait de l’écrivain transmis de génération en génération ? Quels épisodes de sa vie sont conservés dans ces œuvres et mis en scène par l’image ? On pourra s’intéresser à plusieurs formes biographiques imagées :
- les documentaires : ce type de production, rarement évoqué dans les études de réception, mérite une attention toute particulière. Ces dernières années, les téléspectateurs ont pu assister à plusieurs entreprises qui tentent d’attirer l’audimat par divers arguments, dont le plus aguicheur est certainement celui des nombreux mystères qui entourent la vie de l’homme : Secrets d’Histoire promet ainsi de dévoiler « la face cachée d’un grand homme » (2016), le reportage Les Égéries des grands hommes (2017) déplace l’accent vers Juliette Drouet, femme de l’ombre du maître, et la réalisatrice Anne-Sophie Martin s’intéresse à l’épopée des manuscrits des Misérables (2021), promettant aux spectateurs de partager le secret de fabrication du chef-d’œuvre. On pourra également s’intéresser aux quatre épisodes produits par Arte en 2024, L’Armée des romantiques, une série en animation traditionnelle 2D qui retrace le parcours des artistes romantiques et participe à la vulgarisation de l’histoire littéraire du mouvement.
- les fictions télévisées : alors même que les adaptations des œuvres de Hugo sont nombreuses, on pourrait s’étonner que la vie de l’auteur n’ait pas davantage attiré l’attention les réalisateurs[7]. On peut s’interroger sur le rôle et la portée de ces fictions dans un contexte politique actuellement marqué par une méfiance croissante à l’égard des institutions politiques, et par la crainte de certaines dérives autoritaires du pouvoir.
- les biographies illustrées : elles sont tantôt présentées comme le fruit d’un travail historique et scientifique, à l’instar de la Chronologie illustrée de Vincent Gille[8], conservateur du patrimoine à la maison de Victor Hugo, tantôt autorisant une plus grande liberté dans la narration comme l’album Victor le magnifique[9], à l’origine pièce en alexandrins écrite par Gilles Magréau et transposée sous forme d’un bande dessinée illustrée par Jérôme Lavoine. Dans quelle mesure la vie de Hugo, si romanesque, se prête-t-elle aisément aux débordements créatifs qui pourraient avoir pour conséquence de reconduire certains clichés que la critique littéraire s’efforce toujours de déconstruire ?
3. Victor Hugo illustré
Cet axe souhaite poursuivre les nombreux travaux qui se sont attachés à la description et à l’analyse des éditions illustrées de l’œuvre de Victor Hugo. Comment l’image contribue-t-elle à perpétuer la réception Victor Hugo comme classique de la littérature, ou bien à souligner le caractère disruptif de ses textes ? Quels aspects de l’œuvre sont mis en avant par l’image ? Plusieurs stratégies éditoriales pourront être étudiées :
- celle de la littérature jeunesse : ce type d’éditions s’appuie sur les potentialités de l’image pour assurer une médiation efficace de l’œuvre auprès du jeune public[10], que ce soit sous la forme de l’album, à destination des plus petits lecteurs et où l’image prend le pas sur le texte ; ou bien sous celle des éditions parascolaires illustrées où le dispositif iconographique accompagne une version abrégée du texte supposée correspondre au niveau de lecture du public visé.
- celle des bandes dessinées et romans graphiques : ces gestes graphiques novateurs reconduisent-ils une certaine lecture de Hugo ou bien promeuvent-ils de nouveaux aspects de l’œuvre qui résonnent avec leur contexte de publication et de nouvelles références artistiques et culturelles ? La collection du Monde, « Les grands classiques de la littérature en bande-dessinée », ou bien des éditions Glénat perpétuent une tradition de l’adaptation et remettent régulièrement à l’honneur les romans de Hugo comme Les Misérables ou Notre-Dame de Paris. D’autres productions au contraire s’inspirent de l’imaginaire créé par l’auteur pour inventer de nouvelles intrigues, comme dans Le Bossu de Montfaucon de Philippe Pelaez et Éric Stalner[11], et font ainsi basculer le classique vers le phénomène de la série. Certaines publications affirment pour leur part un caractère résolument artistique en se cantonnant à l’illustration des textes, sans proposer d’adaptation. On peut penser aux deux volumes de Notre-Dame de Paris illustrés par Benjamin Lacombe[12] ou à la proposition de Romain Cece dont la série de dessins en noir et blanc accompagne une sélection de poèmes de La Légende des siècles[13].
4. Images numériques de Victor Hugo
Si la question du numérique est envisagée au sens large dans tous les axes précédemment cités, on pourra également explorer des questionnements d’ordre méthodologique quant aux nouveaux usages du numérique dans le traitement de l’iconographie liée à Victor Hugo. On pourra s’interroger sur la manière dont ses outils permettent la recension, la diffusion mais aussi l’étude d’un vaste corpus. Ces dernières années, de vastes entreprises de numérisation ont été portées par des institutions publiques, comme à la BnF sous la direction de Thomas Cazentre en charge du fonds Victor Hugo et de la conservation des manuscrits, ou privées, à la Maison de Victor Hugo par exemple qui a notamment décidé de refondre entièrement son site internet pour offrir une plus grande visibilité à ses collections. Quels sont les enjeux pour ces institutions de ces nouveaux modes de diffusion et de traitement de l’image ? En quoi ces pratiques conduisent-elles à redéfinir ce qui fait patrimoine commun et la manière dont ce dernier est partagé avec la société ?
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On encouragera les approches croisées de ces quatre perspectives afin de nourrir l’analyse des rapports entre texte et image autour de Victor Hugo et de son œuvre.
Les propositions de contributions sont à adresser à camille.page@univ-grenoble-alpes.fr avant le 2 juin 2025.
Les articles seront à remettre au plus tard le 1er janvier 2026 pour une parution du numéro en 2026.
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[1] Pierre Georgel (dir.), La Gloire de Victor Hugo, Paris, Éditions de la Réunion des Musées nationaux, 1985.
[2] Ségolène Le Men, « L’édition illustrée, un musée pour lire », dans Pierre Georgel (dir.), La Gloire de Victor Hugo, op. cit., p. 527-568. L’historienne de l’art retrace dans cet article l’aventure des éditions illustrées de Victor Hugo, depuis les premières publications romantiques jusqu’aux bandes dessinées des années 1980.
[3] Voir notamment Delphine Gleizes (dir.), L’Œuvre de Victor Hugo à l’écran. Des rayons et des ombres, Paris / Québec, L’Harmattan / Presses de l’Université de Laval, 2005. L’ouvrage collectif est consacré aux adaptations de l’œuvre de Hugo au cinéma et à la télévision. Il interroge les phénomènes de médiation, les jeux de transferts et les lectures de l’œuvre proposées par ces différents médias. Ce travail a été complété l’année suivante par un numéro de CinéAction qui s’intéresse au legs de Victor Hugo au cinéma et au rôle de ce dernier dans la diffusion de l’œuvre (Mireille Gamel et Michel Serceau (dir.), "Le Victor Hugo des cinéastes", CinéAction, n° 112, 2006).
[4] Victor Hugo répond aux critères construits par Anne-Marie Thiesse puisqu’il est une « figure hybride entre culture et politique, individualité créatrice et identité collective » (Anne-Marie Thiesse, La Fabrique de l’écrivain national. Entre littérature et politique, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 2019, p. 11.)
[5] On pense notamment aux travaux comparatistes de Claire Gheerardyn dont l’un des axes de recherche privilégiés s’intéresse aux liens entre littérature et sculpture, ou encore aux manifestations de la poésie dans l’espace public (cf. la conférence donnée à l’Université Grenoble Alpes en octobre 2022, « Anthologies de poèmes à ciel ouvert : présences concrètes de la poésie dans l’espace public contemporain », URL : https://litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/fr/actualites/anthologies-poemes-ciel-ouvert-presences-concretes-poesie-lespace-public-contemporain, page consultée le 2.10.2024). On souligne également l’existence de la base de données créée par Mathilde Labbé et Florent Laroche, Monuments littéraires, qui, dans le cadre du programme La littérature dans l’espace public, recense et cartographie les « objets architecturaux ou matériels du paysage urbain sélectionnés pour leur lien avec des figures littéraires ou des œuvres », (URL : http://litep.huma-num.fr, page consultée le 2.10.2024).
[6] Pour Victor Victus : cabaret pop, création théâtrale de Pierre Grammont et Gaëlle Lebert, la célèbre photographie de l’écrivain en exil se colore d’un rose fuchsia étonnant qui contraste avec la palette colorimétrique d’ordinaire associée aux portraits officiels des grands hommes.
[7] Un biopic a toutefois vu le jour en 2018 sur France 2, Victor Hugo, ennemi d’État, une proposition plutôt intéressante en ce qu’elle met en scène la posture politique de Hugo dans ce qu’elle a de plus contestataire, en dépit d’une lecture assez consensuelle des événements de 1848-1851 laquelle oppose liberté de l’écrivain et oppression du pouvoir politique.
[8] Vincent Gille, Victor Hugo en son siècle. Chronologie illustrée, Paris-Musées, Maison de Victor Hugo Paris-Guernesey, 2022.
[9] Gilles Magréau et Jérôme Lavoine, Victor le magnifique : chronique dramatique versifiée en douze tableaux, Côté jardin éditions, 2022.
[10] Sur la question du lien entre Victor Hugo et la littérature jeunesse, voir le numéro dirigé par Nathalie Prince et Taïna Tuhkunen (dir.), « Adapter, récrire, ressusciter Notre-Dame de Paris : échos d’Hugo dans les films, illustrations, bandes dessinées, jeux vidéo et autres formes abrégées ou hybrides pour la jeunesse », Publije [ en ligne], n°1, 2022, URL : https://revues.univ-lemans.fr/index.php/publije/issue/view/24.
[11] Philippe Pelaez et Éric Stalner, Le Bossu de Montfaucon, 2 vol., Grand Angle, 2022.
[12] Victor Hugo et Benjamin Lacombe, Notre-Dame de Paris, 2 vol., Paris, Soleil, coll. « Métamorphose Romans, » 2013.
[13] Romain Cece, En lisant La Légende des siècles de Victor Hugo, Éditions Interférences, coll. « Illustres », 2023.