
Appel à communications
Les corps autres dans la BD : métalliques, spongieux et non-humains
Les rencontres d’Angoulême. Penser et comprendre la BD (11e édition)
Corps et bandes dessinées.
Colloque 15, 16 et 17 octobre 2025
Les planches de bandes dessinées sont emplies de personnages qui n’appartiennent pas au genre humain ou du moins en sont fort éloignés à l’instar des « hommes singes rouges », ou du Goko, la bête hideuse, dessinés par Alex Raymond et présentés au lectorat en janvier et mai 1934. Quant aux robots ou androïdes, ils s’invitent en nombre comme dans Atlas mais ils sont dirigés par des êtres humains ; en revanche, d’autres sont autonomes, à l’instar d’Astro Boy créé par Ozamu Tezuka, qui fait ses premiers pas en 1952, la même année où Hergé livre le troisième album des aventures de Jo, Zette et Jocko, Le Manitoba ne répond plus. Sur la couverture le personnage principal est bien un être métallique. Dans la série de référence Sillage, un convoi multiracial composé de vaisseaux spatiaux, emporte avec lui des complotistes extraterrestres qui côtoient des brutes, des tueurs à gage, mais aussi, plus rarement, des personnages bienveillants. Défilent dans cette série une planète organique, des Ftoross d’une pauvreté absolue, d’intrigants métamorphes…
Dans un autre registre, de plus en plus d’animaux et d’insectes se font personnages de bande dessinée créant des fictions non anthropocentrées avec des albums comme Alyte (Moreau, 2024). Ces histoires ouvrent alors des potentialités nouvelles, car ces choix esthétiques « permettent de donner une voix au monde aussi bien animal que végétal et d’interroger la place de l’homme dans les écosystèmes » (Buekens, 2019).
On peut se demander pourquoi ce besoin de représenter des êtres différents s’est-il manifesté et a pris une telle ampleur ? À quel moment, dans la production des récits graphiques, apparaissent-ils ? Que nous disent-ils sur les imaginaires des autrices et auteurs et sur ceux de la société ? Les corps autres posent assurément les questions de l’altérité, du vivre ensemble et de l’imaginaire producteur qui, selon Paul Ricoeur, participe à « la constitution de l’objet en tant qu’objet, c’est-à-dire de l’objet en tant qu’il possède certaines caractéristiques d’universalité, de nécessité ». Il existe bien une manière de mettre en images des corps différents qui se caractérise par leur étrangeté car ils n’appartiennent pas à l’humanité tout en lui renvoyant un miroir de son organisation, de ses défis et de ses ambitions.
Les corps autres interrogent la possibilité de donner vie ou de rendre présents des corps absents dans la vie réelle. De la sorte, il convient, sans doute, de se demander tout d’abord de quelle manière a lieu la rencontre entre ces êtres et le genre humain. Comment s’établissent les premiers contacts ? Les corps autres renseignent sur les relations que les êtres humains entretiennent avec d’autres espèces. Calquent-ils leurs perceptions et leurs comportements sur celui des conquistadors massacrant indistinctement hommes, femmes et enfants ? Réservent-ils à d’autres êtres le sort dévolus aux indiens d’Amazonie ? Ces créatures ont-elles adopté le même comportement considérant que les habitants de la Terres sont des parasites ou de la vermine à éradiquer ? Le thème des invasions extra-terrestres est devenu un classique des albums de sciences fiction. On ne compte plus les adaptations, plus ou moins fidèles, de La Guerre des mondes de Herbert George Wells en récits graphiques. Il en est de même des planches plus anciennes de Marijac et Liquois publiées dans le magazine Coq Hardi entre 1946 et 1948. Dans le contexte de cette époque, des Martiens ont noués une alliance avec les Japonais pour faire la Guerre à la Terre. Le drame et l’humour sont parfois mêlé comme dans L’homme est-il bon ? qui ne porte sur la qualité morale des individus mais sur leur saveur ou la possibilité, pour des extra-terrestres de s’en nourrir.
Lorsque des êtres aussi dissemblables se retrouvent et acceptent de cohabiter, comment s’y prennent-ils ? En effet, ils expérimentent des formes de gouvernement parfois égalitaire entre espèces, d’autres fois plus proches des régimes autoritaires. Les autrices et auteurs posent des questions relatives à l’altérité, à l’incommunicabilité, ou, au contraire, au dialogue par-delà la physiologie, la culture ou les intérêts économique. Quelle gouvernance faut-il adopter… La série ambitieuse Renaissance, débutée en 2018, de Fred Duval, Emen et Blanchard met en scène une Fédération des Intelligences Mammifères qui préoccupent du sort des habitants, menacé d’extinction, de la planète Terre, par l’épuisement des ressources et les conflits permanents et évoque à travers la diversité des personnages la question du droit d’ingérence. Tous ces aspects font échos aux formes politiques humaines, des dictatures les plus féroces aux démocraties les plus souples.
Il reste que dans la plupart des albums les corps autres sont des enveloppes corporelles que l’on n’a jamais vues. De la sorte, comment les représenter ? À partir de quels éléments ou de quels visuels sont-ils assemblés où créer ? Les créatures nées de l’imagination des autrices et auteurs présentent une très grande diversité. Les pieuvres, poulpes et autres céphalopodes occupent une place importante dans de nombreux albums. La pieuvre classique du capitaine Nemo est revisitée par Benoît Peeters et François Schuiten, mais une de ses congénères, qui pourrait être aussi une sorte de méduse, joue le premier rôle dans un des albums retraçant les aventures de Valerian et Laureline, mais cette fois il s’agit d’un être pensant et érudit, passionné par l’histoire de la Terre et de ses habitants. La question de la typologie et celle des frontières corporelles apparaissent centrale. Des êtres hideux et repoussants, mais aussi des êtres proches des humains, et souvent animalisés s’invitent dans les cases et les planches. Enki Bilal fait revivre, dans La Foire aux immortels, des dieux égyptiens. La série Les naufragés du temps, créée en 1974 par Jean-Claude Forest et Paul Gillon accorde une grande place Tapir, personnage sombre et cynique. D’autres corps ont d’abord été humains, victimes parfois sur plusieurs générations de radiations, de virus et de métamorphoses génétiques. Ils n’appartiennent plus à l’humanité, ils sont devenus autres. Ainsi, la métamorphose, le processus, pourront être des pistes à explorer. La libre adaptation du roman de Kafka par Hideshi Hino dans L’enfant insecte (1975) montre la transformation d’un jeune garçon en une sorte de chenille après avoir été piqué par un étrange insecte. Plusieurs planches montrent l’horrible changement du corps humain vers la bestiole. Les super-héros posent d’autres interrogations : ils possèdent parfois des corps augmentés et sont dotés de pouvoirs singuliers mais Superman, vient de la planète Krypton, est-il un extra-terrestre ou bien viendrait-il d’une autre lignée humaine.
Enfin dans nombre d’albums, notamment dans la célèbre série Thorgal des êtres singuliers apparaissent, ce sont des gnomes, des gobelins et autres entités qu’il conviendrait de prendre en compte.
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Colloque organisé par la MSHS de Poitiers, avec la collaboration de la CIBDI et de Magelis. Avec le soutien de l’EESI, du CRIHAM, du FORELLIS, de BDGEN, et du Réseau Régional de Recherche en Nouvelle Aquitaine sur la bande dessinée (3RBD).
Les propositions de communications (1000-1500 signes) et une courte notice bio-biblio (300-500 signes) sont à adresser avant le 16 avril 2025 à :
- Arianna Bocca-Pignoni – arianna.bocca.pignoni[a]univ-poitiers.fr
- Frédéric Chauvaud - frederic.chauvaud[a]univ-poitiers.fr
- Denis Mellier – denis.mellier[a]univ-poitiers.fr
Le retour des expertises aura lieu le 21 mai 2025.
Les organisateurs prennent en charge les nuitées, les repas, les frais d’inscription et la publication des actes sous la forme d’un véritable livre.