
Appel à propositions (english version below)
De la polarité à la circumpolarité : l’avenir des études canadiennes en Europe
Colloque multidisciplinaire international
Université de Stockholm, 17-18 juin 2026
Les dichotomies, les dualismes et les binarités ont retenu une attention particulière dans les recherches académiques au cours des dernières décennies. L’œuvre majeure de Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes (1993), explore les origines de la dichotomie entre nature et société et montre que cette division n’a jamais été totalement efficace, puisque les « hybrides » ont proliféré malgré la posture philosophique moderne. Pour remettre en question un dualisme profondément ancré dans la tradition intellectuelle des sciences et des humanités, Donna Haraway a introduit le terme « natureculture » (2003), qui reconnaît l’inséparabilité de la nature et de la culture dans des relations écologiques à la fois biophysiques et sociales.
En s’appuyant sur les implications philosophiques des travaux de Niels Bohr en physique, Karen Barad (2007) propose un nouveau cadre épistémologique qui remet en cause les dualismes objet/sujet, connaissant/connu, nature/culture, et mot/monde. Leur théorie réaliste-agentielle soutient que les entités distinctes ne préexistent pas, mais émergent à travers des intra-actions au sein de phénomènes produits par des appareils « matériel-discursifs » : ils produisent des significations et des êtres matériels déterminés tout en excluant simultanément la production d’autres réalités. Puisque tout est enchevêtré avec tout, c’est l’acte d’observation qui opère une « coupure » entre ce qui est inclus et ce qui est exclu de ce qui est pris en considération.
La théorie queer a également remis en question les binarités en interrogeant le genre et le modèle hétéronormatif qui domine notre société. Par exemple, les travaux de Monique Wittig se sont concentrés sur la différence de genre et exposent la pensée hétérosexuelle comme un régime politique qui essentialise la différence sexuelle entre les hommes et les femmes. Une lecture féministe récente du concept de « neutre » de Roland Barthes (2023) a rappelé combien il constitue un moyen précieux d’échapper ou de déconstruire les oppositions binaires paradigmatiques qui structurent et produisent du sens dans la pensée et le discours occidentaux (Braunschweig, 2021).
Cette conférence pluridisciplinaire explore comment le mouvement de déconstruction des dualismes qui dominent la pensée occidentale depuis le XVIIe siècle prend forme dans les études canadiennes. En s’appuyant sur le paysage canadien et les recherches sur sa nordicité (Chartier, 2018), nous formulons l’hypothèse d’un passage de la polarité à la circumpolarité dans les études canadiennes menées en Europe. Le Canada s’est construit sur de nombreuses dichotomies structurelles : autochtone/colon, français/anglais, Nord/Sud, blanc/personne racisée, etc. Pourtant, en tant que pays, il prétend surmonter ces dichotomies, notamment grâce à sa politique multiculturelle. Les études canadiennes, comme d’autres études régionales, ont été établies en distinguant le Canada du reste du monde selon une approche comparative et contrastive. Cependant, grâce au développement des études culturelles au cours des dernières décennies, elles offrent désormais une perspective plus nuancée sur ces distinctions.
Les questions suivantes sont au cœur de cette conférence :
Comment les études canadiennes dépassent-elles les binarités dans leur analyse du Canada ?
L’idée de circumpolarité pourrait-elle décrire de manière pertinente un mouvement qui transcende les polarités de la pensée moderne au Canada ?
Comment ces polarités se sont-elles exprimées et s’expriment-elles encore au Canada ?
En quoi la notion de circumpolarité contribue-t-elle à la déconstruction d’une vision essentialiste du monde ?
Comment le dépassement des dualismes se manifeste-t-il dans la production culturelle canadienne ?
Comment ces réflexions influencent-elles les discours sur et autour du Canada ?
Comment l’alternance entre enchevêtrement et distinction se manifeste-t-elle dans le contexte canadien ?
Cette conférence pluridisciplinaire accueille des propositions issues de tous les domaines de recherche, dans l’espoir de réunir des perspectives complémentaires sur les (circum)polarités dans les études canadiennes.
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Pour soumettre une proposition de communication, veuillez envoyer un résumé de maximum 1000 mots (bibliographie incluse), accompagné d'une courte biographie d'environ 100 mots, avant le 15 mai 2025 aux adresses suivantes : ccs@su.se et sara.bedard-goulet@ut.ee
Les notifications d'acceptation seront envoyées au plus tard le 1er juin 2025.
Veuillez noter que la conférence ne pourra pas prendre en charge les frais de déplacement, mais se tiendra en format hybride pour celles et ceux qui ne pourront pas être présents sur place.
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Bibliographie
Barad, Karen. 2007. Meeting the Universe Halfway: Quantum Physics and the Entanglement of Matter and Meaning. Durham: Duke University Press.
Barthes, Roland. 2023. Le Neutre: Cours au Collège de France (1978). Paris: Seuil.
Braunschweig, Lila. 2021. Neutriser: Émancipation(s) par le neutre. Paris: Les liens qui libèrent.
Chartier, Daniel. 2018. Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord? Principes éthiques. Montréal: PUQ.
Haraway, Donna J. 2003. The Companion Species Manifesto: Dogs, People, and Significant Otherness. Chicago: Prickly Paradigm Press.
Latour, Bruno. 1991. Nous n'avons jamais été modernes: Essai d'anthropologie symétrique. Paris: La Découverte.
Wittig, Monique. 2008. La pensée straight. Paris: Amsterdam [1992].
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Call for proposals
From Polarity to Circumpolarity: The Future of Canadian Studies in Europe
International multidisciplinary conference
Stockholm University, 17-18 June 2026
Dichotomies, dualisms, binaries have received considerable attention in scholarship over the past decades. Bruno Latour’s seminal work We Have Never Been Modern (1993) explores the origins of the dichotomy between nature and society and shows that the divide was never completely successful, as “hybrids” have been proliferating despite the modern philosophical stance. To further question a dualism that is deeply embedded in the intellectual tradition of the sciences and humanities, Donna Haraway coined the term “natureculture” (2003), which recognizes the inseparability of nature and culture in ecological relationships that are both biophysically and socially formed. Building on the philosophical implications of Niels Bohr’s work in physics, Karen Barad (2007) offers a new epistemological framework that calls into question the dualisms of object/subject, knower/known, nature/culture, and word/world. Their agential realist theory posits that discrete entities do not precede but come to be through intra-actions in phenomena produced by apparatuses, which are “material-discursive”: they produce determinate meanings and material beings while simultaneously excluding the production of others. Since everything is entangled with everything else means, it is the act of observation that makes a “cut” between what is included and excluded from what is being considered. Queer theory has also challenged binaries by questioning gender and heteronormative model that dominates our society. For example, Monique Wittig’s work has focused on gender difference and exposes heterosexual thought as a political regime that essentializes the sexual difference between men and women. A recent feminist reading of Roland Barthes’s concept of “neutral” (2023) has reminded how it is a valuable way to escape or undo the paradigmatic binary oppositions that structure and produce meaning in Western thought and discourse (Braunschweig 2021).
This multidisciplinary conference examines how the deconstruction of the dualisms that have dominated in Western thought since the 17th century takes shape in Canadian studies. Building on the Canadian landscape and scholarship on its nordicity (Chartier 2018), we hypothesize a move from polarity to circumpolarity in Canadian studies conducted in Europe. Canada has been built on numerous structural dichotomies: native/settler, French/English, North/South, white/colored, etc. Yet, as a country, it claims to overcome these dichotomies, notably through its multicultural policy. Canadian studies, like other area studies, have been established by distinguishing between Canada and the rest of the world, in a comparative and contrastive approach. Yet, thanks to the development of cultural studies in the past decades, they present a more nuanced perspective on this distinction. How do they go beyond binaries in their examination of Canada? Could the idea of the circumpolar fruitfully describe a movement that goes beyond the polarities of the modern thought in Canada? How do these polarities express themselves in Canada? How does the notion of circumpolarity contribute to deconstructing of an essentialist vision of the world? How does moving beyond dualisms present itself in the Canadian cultural production? How does it infuse discourses in/about Canada? How does the alternationbetween entanglement and distinction present itself in the Canadian context?
This multidisciplinary conference welcomes proposals from all fields of research, in the hope of bringing together complementary perspectives on the (circum)polarities in Canadian studies.
Works cited
Barad, Karen. 2007. Meeting the Universe Halfway: Quantum Physics and the Entanglement of Matter and Meaning. Durham: Duke University Press.
Barthes, Roland. 2023. Le Neutre: Cours au Collège de France (1978). Paris: Seuil.
Braunschweig, Lila. 2021. Neutriser: Émancipation(s) par le neutre. Paris: Les liens qui libèrent.
Chartier, Daniel. 2018. Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord? Principes éthiques. Montréal: PUQ.
Haraway, Donna J. 2003. The Companion Species Manifesto: Dogs, People, and Significant Otherness. Chicago: Prickly Paradigm Press.
Latour, Bruno. 1991. Nous n'avons jamais été modernes: Essai d'anthropologie symétrique. Paris: La Découverte.
Wittig, Monique. 2008. La pensée straight. Paris: Amsterdam [1992].
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To submit a paper proposal, send an abstract of up to 1000 words (including the bibliography) with a bionote of approximately 100 words by 15 May 2025 to the following addresses: ccs@su.se and sara.bedard-goulet@ut.ee.
Notifications of acceptance will be sent out by 1 June 2025.
Please note that the conference cannot cover travel expenses but will be in hybrid format for those who cannot be on location.