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Vents et marées. Démons et merveilles (Univ. de l'Ile du Prince Edouard)

Vents et marées. Démons et merveilles (Univ. de l'Ile du Prince Edouard)

Publié le par Marc Escola (Source : Marie Pascal )

« Vents et marées : démons et merveilles » 

"Winds and Tides: Demons and Wonders"

UPEI, 21-23 août 2025

L’imagerie du vent est vaste dans le paysage littéraire.  Au-delà même des expressions qui lui sont relatives (pensons par exemple à « avoir le vent en poupe » ou « contre vents et marées ») et des nombreux ouvrages dont le titre chuchote son nom (comme l’anthologie La terre, le feu, l’eau et les vents [2010] d’Édouard Glissant, Violent était le vent de Zègoua Gbessi Nokan [1966] ou encore Les sept couleurs du vent de Bernard Tirtiaux [2008]), ce phénomène naturel revêt deux significations antagonistes : l’une renvoie à ce qui est changeant, ce qui génère du bruit sans rien accomplir, l’autre à un mouvement qui nous emporte ou apporte avec lui faveurs et défaveurs. 

Chez Montaigne, le vent s’apparente au néant, sous-tend l’idée d’un manque de solidité : « Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que du vent » (I, 31, p. 200) ; l’antonyme de la substance : « J’en ay tiré de suc et de substance, la plus part du temps je n’y treuve que du vent » (II, 10, p. 393) ; ou un mouvement sans sens : « Nostre façon ordinaire, c'est d’aller apres les inclinations de nostre apetit, à gauche, à dextre, contre-mont, contre-bas, selon que le vent des occasions nous emporte » (II, 1, p. 316). Dans tous les cas, le vent est pour l’humaniste une composante de l’éternel humain : « Mais quoy, nous sommes par tout vent. Et le vent encore, plus sagement que nous, s’ayme à bruire, à s’agiter, et se contente en ses propres offices, sans desirer la stabilité, la solidité, qualitez non siennes » (III, 13, p. 1087). Il apparaît, malgré son caractère aléatoire et déceptif, comme une présence nécessaire et désirable. Dans Moi Tituba sorcière, Maryse Condé donne une deuxième vie à sa protagoniste, une esclave mise à mort injustement et qui revient sous différentes formes pour communiquer avec sa fille : « Je me fais chèvre et caracole aux alentours de Samantha, qui n’est pas dupe. Car cette enfant mienne a appris à reconnaître ma présence dans le frémissement de la robe d’un animal, le crépitement du feu entre quatre pierres, le jaillissement irisé de la rivière et le souffle du vent qui décoiffe les grands arbres des mornes » (p. 273).

On ne peut pas douter du caractère essentiel et primordial des vents marins connotant les champs de la navigation, du voyage, en un mot de ce qui vit. Vents furieux et tempêtes décident du sort de l’être humain dans L’Odyssée de Homère : « [u]une grande lame, se ruant sur lui, effrayante, renversa le radeau. Et Odysseus en fut enlevé, et le gouvernail   de ses mains ; et la tempête horrible des vents confondus brisa le mât par le milieu ; et l’antenne et la voile furent emportées à la mer » (L’Odyssée, Chant V, p. 114). Plus loin dans l’histoire, Aiolos, le dieu des vents, se montre l’adjuvant du désir le plus profond d’Ulysse et donne son sens à l’errance à travers le retour du protagoniste chez lui : « Quand je lui demandai de me laisser partir et de me renvoyer, il ne me refusa point et il prépara mon retour. Et il me donna une outre, faite de la peau d’un bœuf de neuf ans, dans laquelle il enferma le souffle des vents tempétueux » (Chant X, p. 215). 

Dans la même veine, le vent, toujours vital, prend des atours humains dans la littérature acadienne, il crie et s’indigne, comme dans Pélagie-la-charrette d’Antonine Maillet : « Quoi c’est que les cris? », s’inquiète la protagoniste éponyme, à qui une voix anonyme répond, « … Les vents, Pélagie, les vents de marais. Le cœur de la bise, là où le nordet s’entortille dans le suroît. Les marais se lamentent sous les vents d’avril. Tu le sais, Pélagie » (p. 248). La caravane des pauvres charrettes tirées par des bœufs épuisés est ouverte aux quatre vents et lutte, pendant des années, pour retourner au pays. Mais le vent et la nature peuvent également se montrer indifférents au sort des hommes, comme le montre Kossi Effaoui dans sa Fabrique de cérémonies : « Le vent ne bouge pas. Ni le vent, ni le soleil, ni les hommes brutalement projetés dans le rayon d’action d’une force de pétrification qui prend en otage toute la présence dans la clairière. […] Et le vent s’est tenu à l’écart. Le regard ici ne se promène pas » (p. 72).

Le caractère maléfique du vent se remarque chez Anne Hébert, la romancière et poète québécoise, un vent sournois pousse les protagonistes aux pires exactions – meurtre, viol. Il en est ainsi dans Les Fous de Bassan où Stevens Brown tue ses deux cousines et en jette les corps à la mer. D’après lui (et d’autres dans le village de Griffin Creek), « [d]ans toute cette histoire il faudrait tenir compte du vent, de la présence du vent, de sa voix lancinante dans nos oreilles, de son haleine salée sur nos lèvres. Pas un geste d’homme ou de femme, dans ce pays, qui ne soit accompagné par le vent. Cheveux, robes, chemises, pantalons claquent dans le vent sur des corps nus. Le souffle marin pénètre nos vêtements, découvre nos poitrines givrées de sel. Nos âmes poreuses sont traversées de part en part. Le vent a toujours soufflé trop fort ici et ce qui est arrivé n’a été possible qu’à cause du vent qui entête et rend fou » (p. 26). Ici, le vent est tenu pour responsable d’avoir pris d’assaut la volonté de Stevens et de l’avoir poussé à ce geste de violence. 

Après le vent, vient en effet parfois la tempête, mais aussi le cyclone, le tsunami et le maelström. C’est ainsi le vent qui attise les cendres des Grands Feux du nord de l’Ontario dans Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier, c’est lui qui porte la vigoureuse « cosmovision » de Patrick Chamoiseau dans Le vent du nord dans les fougères glacées. De la même manière, c’est bien un spectacle apocalyptique que décrivent ces versets de Glissant : « Et le poète se connaît, pourtant s’adresse un plein d’autans, / De tempêtes : c’est une mer qui se requiert, ne se trouvant. / Comme une mer jalouse, elle-même amante, se déchire, / Déchaînée ― jusqu’aux arbres, qu’elle ne peut atteindre » (p. 324). 

Cependant, associé souvent au hasard, le vent peut engendrer un événement heureux. Le narrateur proustien essaie désespérément de trouver une habitude, une répétition, un cycle pour ainsi dire, autour du jour de la semaine, de ce geste, toujours le même, autour de la marée qu’il observe sur la plage de Balbec pour surprendre le groupe de jeunes filles qui ont enflammé son imagination. Un jour où, ennuyé, il finit par obéir à sa grand-mère « en sacrifiant pour une fois l’espérance de les voir » (p. 199) et rend visite, à contre-cœur, au peintre Elstir qui « habitait assez loin de la digue » (p. 190) donc loin de l’endroit où il imagine une rencontre possible, le miracle arrive. « Car où se trouve ce qu’on cherche on ne le sait pas, et on fuit souvent pendant bien longtemps le lieu où, pour d’autres raisons, chacun nous invite; mais nous ne soupçonnons pas que nous y verrions justement l’être auquel nous pensons » (p. 199). Le hasard, tel un coup de vent, ouvre la porte vers le moment fortuné, à savoir l’événement le plus désiré.

Vent favorable et marée haute sont les conditions sine qua non pour lancer le bateau, le plan, l’idée.  Ils signifient le moment et les conditions dans lesquelles une action peut être accomplie. Qu’est-ce donc qu’un moment opportun, faste, chanceux ? Une combinaison de vents et marées favorables qui nous poussent vers le succès ? Au contraire, une combinaison désastreuse de vents et marées apporte-t-elle nécessairement le malheur voire la disparition de ceux et celles qui se sont trouvé·e·s là au mauvais moment ? La connotation et l’ampleur que prennent ce personnage naturel, ses caractéristiques et sa place dans les œuvres sont donc grandement variées dans le champ littéraire francophone et nous aimerions ici ouvrir le dialogue à toute réflexion portant sur le vent et ses démons ou acolytes (marées, tempêtes en mer ou tempêtes de sable, etc.), incluant des réflexions éco-critiques, sur l’ensemble du corpus produit en français.

Date-limite pour soumettre une proposition : le 17 février 2025

Veuillez soumettre vos propositions (environ 250 mots) à mpascal@upei.ca et sbadescu@upei.ca

Les actes de colloque seront publiés à la Dalhousie French Studies.

Textes cités

Chamoiseau, Patrick, Le vent du nord dans les fougères glacées, Paris : Éditions du Seuil, 2022.

Condé, Maryse, Moi, Tituba sorcière, Paris : Gallimard, 1986.

Effaoui, Kossi, La fabrique de cérémonies, Paris : Éditions du Seuil, 2001.

Glissant, Édouard, La terre inquiète, Les Éditions du dragon, 1955.

Glissant, Édouard, La terre, le feu, l’eau et les vents – Une anthologie de la poésie du Tout-Monde, Éditions Galaade, 2010.

Hébert, Anne, Les fous de Bassan, Paris : Éditions du Seuil, 1982.

Homère, L’Odyssée, EDLED, 1987. 

Maillet, Antonine, Pélagie-la-charrette, Éditions Grasset, 1979.

Montaigne, Michel de, Œuvres complètes, Paris : Gallimard, 1963.

Nokan, Zègoua Gbessi, Violent était le vent, Présence Africaine, 1966.

Proust, Marcel, À la recherche du temps perdu tome 2. À l’ombre de jeunes filles en fleurs, Paris, Gallimard, 1988.

Saucier, Jocelyne, Il pleuvait des oiseaux, XYZ, 2011.

Tirtiaux, Bernard, Les sept couleurs du vent, Paris : Gallimard, 1997.