Pour la cinquième livraison de L’Impact, Revue électronique d’études littéraires, linguistique et audiovisuelles, éditée par le laboratoire LIMPACT de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech (Maroc) et hébergée par l’IMIST, le comité de rédaction lance un appel à contributioons sur le thème :
L’écrivain africain francophone et ses fictions
Dans la multiplicité de ses expressions et la diversité de ses formes, la littérature africaine continue à dire et à décrire la réalité du continent. Elle transpose ses mutations, ses héritages, son enracinement, mais également son cheminement dans la scène globale avec ses enjeux et ses défis. Fille de la colonisation, elle en charrie les stigmates, les relents, les promesses et les illusions. De la négritude à la migritude, à la postmigration, la littérature africaine se positionne avec force en donnant sens et contenance à un imaginaire qui se transforme.
S’il est vrai que la profusion éditoriale des écrivains africains francophones témoigne d’une vitalité incontestable que « les enfants de la postcolonie » (Waberi,1998) portent haut et fort, il n’en demeure pas moins vrai que cette littérature continue à arrimer son succès à une légitimation qui vient d’ailleurs et à hypothéquer sa gloire à des lecteurs majoritairement situés ailleurs. Cette réalité paradoxale qui subsume l’image de l’écrivain africain et détermine sa perception/réception nous engage à nous interroger dans cette dernière livraison de la revue L’impact sur l’écrivain africain francophone et ses fictions.
En effet, ce numéro ambitionne d’examiner le statut de l’écrivain africain francophone, les enjeux qui président à ses positionnements dans le champ littéraire, mais aussi et surtout l’imaginaire qui nimbe son existence et conditionne sa mise en récit. Perçu sous le signe de l’ambivalence, il incarne pour certains la figure de l’intercesseur, « l’interprétant culturel » susceptible de servir de trait d’union entre des univers difficilement conciliables. Pour d’autres il est non seulement le défricheur/déchiffreur des mystères et des énigmes de son monde, mais l’inventeur de fictions à même de réajuster l’image de l’Africain dans le monde des représentations. Tandis que pour d’autres, l’écrivain africain francophone n’est que le continuateur de l’ordre colonial qui l’a engendré.
L’écrivain africain francophone de ses débuts jusqu’aujourd’hui continue à être l’objet des considérations les plus ambigües et à s’affronter aux jugements les plus contradictoires. Encensé ou porté au pinacle, honni ou trainé dans la boue, son existence, sa reconnaissance, sa consécration et ses gloires demeurent précaires et tiennent de divers aléas. Son « sacre » comme son « massacre » sont le fruit d’enchevêtrement inextricable le dépassant, parfois, lui-même en tant que sujet écrivant (sujet-créateur). Il est tout le temps appelé, nous dit Sarah Burnautzki à élaborer des stratégies de passage dans « un ordre littéraire racialisé » (Burnautzki, 2017).
Cette situation, décrite dans ses fines nuances et à travers ses multiples facettes dans plusieurs romans, continue à animer les débats et à raviver les passions. L’un des plus récents et plus marquants, n’est autre que le Goncourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr, qui s’ingénie dans La Plus secrète mémoire des hommes, non seulement à déplier les différents écueils contre lesquels butent l’écrivain africain francophone dans son cheminement vers la reconnaissance, mais s’évertue à déployer, exemple à l’appui, comment le sacre peut se muer en massacre et la célébration se transformer en oblitération.
Ainsi, entre le mythe de l’écrivain mis en récit, T. C. Elimane, ce « Rimbaud nègre » qui décide de se murer dans le silence et se barricader dans le retrait et l’écrivain personnage Latyr Faye qui part à la recherche de ses traces, cherchant désespérément non seulement à restituer son parcours, à exhumer son œuvre, mais aussi à rétablir et à réhabiliter sa réputation, se profile en filigrane l’ombre tutélaire de l’écrivain malien Yambo Ouologuem (1940-2017). Certes, sa mésaventure éditoriale se donne à lire comme une énigme à résoudre et son silence comme un mystère à penser. Mais c’est surtout un cas emblématique susceptible de nous donner à voir et à comprendre les tensions patentes et latentes qui opposent l’écrivain aux pouvoirs et aux règles de l’art (Bourdieu,1992), qui président au fonctionnement d’un champ littéraire donné. Nous parlons ici, bien évidemment, de l’écrivain africain francophone au sein de la République mondiale des Lettres (Casanova,2008).
Cette même République semble d’ailleurs s’être prise de passion soudaine pour cette littérature africaine francophone. Rien de mieux, pour s’en rendre compte, que le plus prestigieux des prix littéraires, le plus beau fleuron des instances de légitimation de cette illustre République, à savoir le prix Goncourt. Ainsi, Mohammed Mbougar Sarr récompensé en 2021, à un siècle d’intervalle de René Maran, fait suite au sacre de Leila Slimani en 2016 qui s’inscrit dans le sillage d’un Tahar Ben Jelloun ou d’une Marie Ndiaye. Enfin, pour cette année 2024 l’académie du Goncourt décide de filer l’idylle puisqu’elle vient d’élire à son Olympe Kamal Daoud pour son roman Houris. Or, à chaque fois, une kyrielle de questions accompagnent ces reconnaissances qui, sans être à la hauteur de l’importance de cette littérature, connaissent une fréquence ascendante indéniable. Qu’est-ce qu’on consacre au juste ? L’œuvre, la personne de l’écrivain(e) ou le statut ? Peut-être la posture ? Et tout est posture jusqu’à l’imposture. Cela fait de la question des postures et des impostures sous le double prisme du désir de reconnaissance et des stratégies de création un des paradigmes d’analyse à la fois des mécanismes de fonctionnement de l’illustre république des lettres, mais aussi, et c’est ce qui nous intéresse, de la condition de l’écrivain africain francophone.
Pour Antoine Compagnon « Le point le plus controversé dans les études littéraires, c’est la place qui revient à l’auteur » (Compagnon, 1998) une telle place paraît davantage compliquée lorsqu’il s’agira de l’auteur africain francophone. Son émergence en tant qu’entité créatrice, susceptible de revendiquer sa singularité et de réclamer son autorité sur une création interpelle. Les questionnements quant à son rôle dans la société, sa place dans la communauté et sa fonction dans le champ culturel n’ont pas cessé d’intriguer.
On l’aura compris, notre exploration des fictions de l’écrivain africain francophone combine approches immanentistes et sociologie de la littérature. Elle s’intéresse tout autant au texte qu’au contexte, à l’écrivain réel qu’à celui imaginé et figuré à travers la fiction.
En effet, s’intéresser à l’écrivain africain francophone et à ses fictions, cela pourrait s’entendre selon plusieurs perspectives. La plus évidente porterait sur l’écrivain comme fiction, c’est-à-dire en tant que construction textuelle enfantée par l’imaginaire d’un écrivain réel. On y examinera comment celui-ci transparaît dans les plis du texte. Autrement dit, à partir de quelles stratégies énonciatives et à travers quelles modalités discursives l’image de celui-ci s’élabore et s’affine au sein de l’espace fictionnel ?
Cela pourrait référer également à la mise en « écriture de l’écrivain », c’est-à-dire voir de près comment écrit-on l’écrivain. S’agit-il d’une projection fantasmagorique faisant passer celui-ci de sujet écrivant à objet d’écriture, ou d’une subjectivité productrice qui se veut à la fois un travail autoréflexif et une sublimation compensatoire. Par ailleurs, écrire l’écrivain africain, cela renvoie également à une mise en scène de l’écrivain (Maingueneau et all, 2013), un éthos (Amossy, 2010) une scénographie de soi (Diaz, 2013), à une posture (Meizoz, 2007). Une mise en scène des tourments et des tactiques à faire advenir l’écriture et dans la même foulée l’écrivain : l’auteur, le créateur, signataire de l’œuvre.
Enfin, écrire l’écrivain africain pourrait s’entendre donc comme un récit spéculaire (Dällenbach, 1977) qui tente de mettre en texte la figure de l’auteur, comme personnage, comme double, comme masque ou comme posture auctoriale : une sorte de mise en abyme susceptible de dévoiler les misères et les splendeurs de l’écrivain réel. Une entreprise métatextuelle (Genette,1982) où la fiction devient un processus de réflexion susceptible de nous renseigner sur l’écrivain africain francophone tel qu’il transparaît dans les différents récits.
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Modalités de soumission:
Les contributeurs et les contributrices doivent soumettre leurs articles en ligne sur https://revues.imist.ma/index.php/limpact/about/submissions après s’être inscrits comme auteur sur la plateforme et les envoyer également au courriel suivant : numero5limpact@gmail.com
au plus tard le 1er mars 2025.
· Les articles seront évalués en « double aveugle »
· La notification des articles retenus : le 1 avril 2025
La date de parution du numéro est prévue pour en mai 2025
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Bibliographie indicative
Amossy, Ruth , La Présentation de soi. Ethos et identité verbale, Paris, Presses Universitaires de France, 2010.
Bourdieu, Pierre, Les règles de l'art : genèse et structure du champ littéraire, Paris, Point, 1992.
Burnautzki, Sarah, Les Frontières racialisées de la littérature francophone : contrôle au faciès et stratégies de passage. Paris : Honoré Champion, coll. Francophonies, 2017.
Casanova, Pascale, La République mondiale des Lettres, Paris, Seuil, 1999.
Compagnon, Antoine, Le Démon de la théorie : Littérature et sens commun, Paris, Seuil,1998.
Dällenbach, Lucien, Le récit spéculaire : essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil, 1977.
Delormas, Pascale & Maingueneau, Dominique et all(s/d), Se dire écrivain Pratiques discursives de la mise en scène de soi, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2013.
Dion, Robert & Fortier, Frances (s/d), Écrire l’écrivain Formes contemporaines de la vie d’auteur, Montréal, Presses de L’Université de Montréal, 2018.
Diaz, José-Luis, L’écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Champion, 2007.
Ducournau, Claire, La fabrique des classiques africains. Écrivains d’Afrique subsaharienne francophone, Paris, CNRS Éditions, 2017.
Elgas, Les Bons ressentiments. Essai sur le malaise post-colonial, Paris, Riveneuve, 2023.
Genette, Gérard, Palimpsestes. La Littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982.
Harchi, Kaoutar, Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne. Des écrivains à l’épreuve, Paris, Pauvert, 2016.
Heinich, Nathalie, Être écrivain, création et identité, Paris, Éditions La Découverte, 2000.
Lahire, Bernard, La condition littéraire. La double vie des écrivains, Paris, Éditions La Découverte, 2006.
Larrivée, Isabelle (cor), Qu’est-ce qu’un auteur maghrébin?, in Expressions maghrébines, vol. 1, no 1, été 2002.
Maingueneau, Dominique, Trouver sa place dans le champ littéraire. Paratopie et création, Louvain-la-Neuve, Éditions Academia, coll. « Au cœur des textes », 2016.
Meizoz, Jérôme, Postures littéraires. Mises en scènes modernes de l'auteur, Genève, Ed. Statkine Erudition, 2007.
Sapiro, Gisèle & Rabot, Cécile, Profession ? Écrivain, Paris, Editions CNRS,2017.
Sapiro, Gisèle, La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (XIXe-XXIe siècle), Paris, Seuil, 2011.
Sapiro, Gisèle, Qu'est-ce qu'un auteur mondial ? Le champ littéraire transnational, Paris, Seuil / EHESS / Gallimard, 2024.
Steemers, Vivan, Le (Néo)colonialisme littéraire. Quatre romans africains à l’institution littéraire parisienne (1950-1970), Paris, Karthala, 2012.
Tchak, Sami, La Couleur de l’écrivain, Lomé, Les éditions Continents, (2014)2022
Thiesse, Anne-Marie, La Fabrique de l’écrivain national. Entre littérature et politique, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 2019.
Coordination
HOUDZI Ahmad Aziz, Université Cadi Ayyad, Marrakech
MARTAH Amine, Université Cadi Ayyad, Marrakech
Comité scientifique
ADHAM Mouad, Université Cadi Ayyad, Marrakech.
AMRAOUI Abdelaziz, Université Cadi Ayyad, Marrakech.
AZOUINE Abdelmajid, Université Mohammed V, Rabat.
BENMANSOUR Houda, Université Mohammed V, Rabat
BERTHO Elara, CNRS LAM (UMR 5115), France.
BOUROUAHA Yassine, Université Cadi Ayyad, Marrakech
BOUZRARA Samir, Université Cadi Ayyad, Marrakech.
DE MEYER Bernard, University of KwaZulu-Natal, Durban, Afrique du Sud.
DEMIRCI Ercan, Université Nevşehir Hacı Bektaş Veli, Nevşehir, Turquie.
EDWARDS Carole, Texas Tech University, USA.
ELQADERY Abderrahman, Université Hassan 2, Mohammedia.
EL MOUAHIDI Khadija, Université Cadi Ayyad, Marrakech.
EL YAKOUBI Khadija, Université Cadi Ayyad, Marrakech.
HOUDZI Ahmad Aziz, Université Cadi Ayyad, Marrakech
KARRA Anouar, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès.
KHATTARI Salima, Université Mohammed V, Rabat.
KRIM Abdelillah, Université Ibn Tofail, Kénitra.
LAHLOU Mohammed, Université Cadi Ayyad, Marrakech
MABROUR Abdelouahed, Université Chouaïb Dokkali, El Jadida.
MARTAH Amine, Université Cadi Ayyad, Marrakech
MARTAH Mohammed, Université Cadi Ayyad, Marrakech.
NADIM Loubna, Université de Grenade, Espagne.
NOZHI Az-Eddine, Université Sultan Moulay Slimane, Beni Mellal.
SADIQ Abdelhaï, Université Cadi Ayyad, Marrakech.
SISSAO Alain Joseph, Institut des sciences des sociétés, Ouagadougou, Burkina Faso.
ZEKRI Khalid, Université Moulay Ismail, Meknès.