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Sociopoétique des migrations (revue Sociopoétiques)

Sociopoétique des migrations (revue Sociopoétiques)

Publié le par Marc Escola (Source : Catherine Songoulashvili)

Appel à contributions  :

Dossier « Sociopoétique des migrations », n° 10 de la revue Sociopoétiques (Clermont-Ferrand, POLEN, 2025)

Sous la direction de

María de los Ángeles Hernández Gómez (Université de Grenade), Catherine Milkovitch-Rioux et Nathalie Vincent-Munnia (Université Clermont Auvergne, CELIS - UR 4280).

La revue Sociopoétiques (https://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/) s’intéresse à un concept critique, la sociopoétique, fondé sur les liens entre matière sociale et littérature dans une démarche qui croise les disciplines, en s’attanchant au plus près aux poétiques textuelles, aux micro-lectures et au tissu verbal. Ni sociocritique ni sociologie de la littérature, elle analyse les interactions sociales au regard de leurs représentations envisagées comme un réservoir d'éléments dynamiques de la création littéraire. Elle étudie la manière dont les représentations et l'imaginaire social informent le texte dans son écriture même[1].

 Le numéro 10 de la revue est consacré à la « Sociopoétique des migrations ». Il a pour objectif d’enrichir les recherches conduites au CELIS[2], parmi celles d’autres structures[3], dans le champ des migrations contemporaines, en particulier autour des réfugié.e.s, de la question de l’asile, de l’« encampement du monde »[4]. Il vise à interroger la façon dont les migrations, spécifiquement lorsqu’elles sont contraintes, forgent des représentations sociales dont la circulation participe à la création littéraire. 

Un ancrage spécifique est envisagé dans le champ des migrations contemporaines, point de fixation massif des discours politiques, médiatiques et sociaux actuels, et objet majeur de représentation dans les littératures du temps présent. En 2017, on estimait à 244 millions le nombre de per­sonnes exilées dans le monde, parmi lesquelles 100 millions relèvent de migrations forcées. 42 millions sont des déplacés environnementaux, 41 millions des déplacés internes – réfugié.e.s dans leur propre pays –, 3 millions des demandeurs ou demandeuses d’asile dans les pays déve­loppés. Un peu plus de 21 millions sont des réfugié.e.s qui ont obtenu le statut de la convention de Genève de 1951. 56% de ces réfugié.e.s sont accueilli.e.s dans huit pays du monde (Turquie, Pakistan, Liban, Iran, Jordanie, Kenya, Éthiopie, Yémen). L’Europe vient loin derrière ces pays : 1 million de réfugié.e.s accueilli.e.s en 2015 en Allemagne, 80 000 en France[5]. Dans le refus de l’accueil se perpétue dans l’histoire du temps présent ce qu’Achille Mbembe nomme les « politiques de l’inimitié »[6].

Les articles pourront s’inscrire dans les perspectives suivantes : 

- Les mémoires littéraires des migrations : depuis l’Antiquité, la littérature constitue un lieu de mémoire qui non seulement forge les représentations sociales sur les migrations, mais qui permet aussi de les interroger, voire de débusquer biais et stéréotypes. Elle offre également un répertoire de topoï, reconfigurés et diffusés au fil des productions littéraires[7]. La littérature, à cet égard, se présente à la fois comme un médium des mémoires des exilé.e.s et comme l’expression des mémoires qui les précèdent dans les terres d’accueil ; elle joue en outre un rôle actif dans la construction de la mémoire contemporaine des migrations[8].

- Les liens dynamiques entre écriture littéraire et témoignages d’exilé.e.s/sur les exilé.e.s, à travers le temps et l’espace – sans aucune limitation, de l’Antiquité à nos jours et dans toutes les aires géographiques et culturelles : la littérature est appréhendée comme espace de témoignage, et les témoignages littéraires sur les migrations comme l’expression des représentations sociales de ces événements. De quelles façons ces témoignages participent-ils à la construction et à la consolidation de représentations sociales sur les migrations ? Comment rendent-ils compte des réflexions politiques et sociales que ces déplacements ont engendrées ? Comment les contestent-ils ? Comment font-ils advenir de nouvelles voix littéraires ? Par exemple, celles de jeunes exilés, devenus auteurs, dont l’écriture donne corps à leur ex­périence de migration : les poètes Falmarès ou Hassan Yacine, Youssif Haliem qui publie notamment sur son blog refugee trip, les jeunes auteurs Mouhamed Sanoussy Fadiga, Dennis Kamerun, Stephen Ngatcheu, Baba Fotso Toukam Junior, publiés dans la collection « Ces récits qui viennent » des éditions Dacres…

- Les représentations littéraires de l’« encampement du monde » : aux frontières de l’Europe, en France comme partout dans le monde, la présence des camps est l’une des manifestations les plus symboliques de l’histoire des réfugié.e.s. Le 21e siècle s’engage comme cet autre « siècle des camps » qui l’a précédé, des camps dont la nature est certes différente, mais dont certains fonctionnements peuvent être comparés. « L’existence des camps est ainsi emblématique de temporalités entrelacées »[9] – celles de l’oppression et du refuge – en même temps qu’elle dessine l’architecture et les infrastructures de l’exil. Selon Fiona Meadows, six millions de personnes vivent dans les camps administrés par l’UNHCR ou HCR (le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés) et l’UNWRA (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) : « Dans un contexte qui se veut humanitaire, les réfugiés sont soumis à un régime d’exception, d’enfermement et de contrôle, de mise en marge »[10], qui interroge en outre notre « monde urbain qui vient et qui pourrait venir autrement »[11]. Comment la littérature se saisit-elle de ces phénomènes ? Comment côtoie-t-elle les sciences humaines sur ces questions ?

- Les représentations littéraires de l’exil et de l’asile : de nombreuses questions sociales et politiques se posent autour du statut de réfugié.e, que la politologue Karen Akoka examine dans L’asile et l’exil. Une histoire de la distinction réfugiés/migrants[12]. Or, l’écrivaine Marie Cosnay et le philosophe Mathieu Potte-Bonneville nous montrent à quel point les mots nous piègent : « “question des migrants” ou “question de l’accueil”, “exigence d’hospitalité” ou “crise des réfu­giés”, vous voilà déjà perdu, ligoté, étranglé. C’est que les noms, dans cette affaire, sont cousus avec les réali­tés qu’ils désignent, agissent sur elles et avec elles. »[13] Comment ces interactions entre les réalités migratoires et leurs expressions médiatiques ou politiques sont-elles représentées en littérature ? Dans quelle(s) histoire(s) s’ancrent-elles ? Comment les représentations littéraires prennent-elles en compte certaines expériences spécifiques de migrations : celles des jeunes exilé.e.s ? des femmes[14] ? Ou comment s’adressent-elles à différents publics[15] ?

- Le traitement de cette matière sociale par la littérature : La publication, en 2015, de la photographie du corps retrouvé sans vie sur une plage de Turquie du petit Syrien Alan Kurdi, qui « provoqua une onde de choc dans les représentations » de « ces migrations péril­leuses à travers la Méditerranée »[16], est fondatrice du plaidoyer, par Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris, d’Osons la fraternité ! Les écrivains aux côtés des migrants[17]. Comment des écritures littéraires s’articulent-elles à ces réalités migratoires voire à l’actualité ? Chez bien d’autres écrivain.e.s contemporain.e.s de langue française par exemple : Kebir Ammi, Nathacha Appanah, Claire Audhuy, Hakim Bah, Edmond Baudoin, Tahar Ben Jelloun, Arno Bertina, Maïssa Bey, Mahi Binebine, Veronika Boutinova, Jean-François Chanson, Maryse Condé, Marie Darrieussecq, Fatou Diome, Claude Favre, Laurent Gaudé, Mohamed Mbougar Sarr, Marie-Christine Navarro, Nadège Prugnard, Catherine Verlaguet, Ali Zamir…

- Les déclinaisons d’une « littérature-refuge »[18] : la littérature-refuge collecte des voix, les voix des protagonistes de l’exil ou du campement, de celles et ceux qui pensent le refuge en tant qu’acteur.rice.s, d’une manière ou d’une autre ; elle est une littérature de l’accueil[19]. Une littérature qui non seulement met en scène les migrations, les étapes qui sont celles des parcours des exilé.e.s, des réfugié.e.s, mais qui interroge également ce que réfugier signifie, qui s’intéresse à différentes possibilités (ou impossibilités) d’habiter le monde, et qui propose au fond diverses modalités du « refuge ». Cette littérature-refuge est à articuler à l’émergence d’une nouvelle dynamique dans la littérature contemporaine, qui se déploie entre narrations documentaires et enquêtes de terrain[20]. Comment est-ce que les écrivain.e.s s’y confrontent au réel et en restituent leur expérience, tout en proposant une nouvelle forme d’engagement à travers la valorisation des rapports horizontaux et des dynamiques d’empathie[21] ? Comment cette démarche, qui pourrait bien s’apparenter à ce qu’Alexandre Gefen nomme le care en littérature[22], repose-t-elle la question de l’éthique de la responsabilité en termes d’implication par l’écriture[23] ?

- L’inscription de ces écritures des migrations au sein de réorientations majeures du paysage littéraire et critique contemporain : parmi ces « écritures impliquées » se construit également un champ littéraire et artistique « hors le livre » qui permet d’examiner les modalités particulières de la présence de la littérature dans l’espace public[24]. Cette littérature d’intervention propose un riche dialogue entre les œuvres artistiques, interagit avec les témoignages et les textes, tout en ouvrant sur une redéfinition des domaines d'engagement de la littérature et une reconfiguration du rôle des actrices et acteurs impliqué.e.s : écrivain.e.s, artistes, témoins, militant.e.s et autres intervenant.e.s.[25]

Calendrier de publication: 

Envoi des propositions : jusqu’au 15 novembre 2024

Dépôt des articles : jusqu’au 3 février 2025

Retour aux auteurs : courant avril 2025

Publication : novembre 2025 

Modalités de soumission: 

Cet appel est ouvert à la fois aux chercheurs et chercheuses s’intéressant aux perspectives d’analyse proposées et aux auteurs et autrices dont les œuvres entrent en écho avec les thématiques mentionnées. 

Les propositions sont à adresser conjointement à María de los Ángeles Hernández Gómez (mhernandezgomez@ugr.es), Catherine Milkovitch-Rioux (catherine.milkovitch-rioux@uca.fr) et Nathalie Vincent-Munnia (nathalie.vincent-munnia@uca.fr) jusqu’au 15 novembre 2024 inclus.

Les textes acceptés, de 20 000 à 30 000 signes (notes et espaces compris), devront respecter les normes de publication de la revue Sociopoétiques : 

https://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1286 

Ils devront être adressés conjointement à María de los Ángeles Hernández Gómez (mhernandezgomez@ugr.es), Catherine Milkovitch-Rioux (catherine.milkovitch-rioux@uca.fr) et Nathalie Vincent-Munnia (nathalie.vincent-munnia@uca.fr) jusqu’au 3 février 2025 inclus.

 
[1] Extraits du texte de présentation de la revue. Pour une définition plus approfondie, nous renvoyons à l’article « Sociopoétique » par Alain Montandon, paru dans le premier numéro de la revue Sociopoétiques : https://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=640.
[2] Dernières publications et travaux : Réfugier [Carnets d’un campement urbain], La Boîte à Bulles, 2021. 

Expositions : Asile ! Histoire(s) du campement Gergovia (Clermont-Ferrand, 2021), Mer Navires Avions – La traversée de la Méditerranée racontée par des jeunes exilés (Mathias Gardet dir.) / Escale « Traversées de jeunes exilé.es – Parcours en littérature contemporaine » (Aubervilliers, Humathèque du campus Condorcet, 2022). Vidéos : Canal-U (https://www.canal-u.tv/85311, 2021).
[3] Notamment l’Institut Convergences Migrations (Paris), le laboratoire Migrinter (CNRS / Université de Poitiers), le programme R-EVE – Réfugier Enfance Violence Exil co-dirigé par Mathias Gardet (IHTP / CELIS / Université Paris 8, https://refugiereve.hypotheses.org/), Réfugié.e.s, étudiant.e.s d’ici, gens d’ailleurs (UCA), le projet AMICAL – Accueil et Migration par la Création : Arts et Littérature (Universidad de Granada), TransMigrArts (Université Toulouse Jean Jaurès)…
[4] Michel Agier (dir.), Un monde de camps, La Découverte, 2014. Voir aussi Michel Agier, « L’encampement du monde », in « Réfugiés clandestins », Plein droit, n° 90, 2011. https://shs.cairn.info/revue-plein-droit-2011-3-page-21?lang=fr.
[5] Chiffres repris par Patrick Boucheron en conclusion de Migrations, réfugiés, exil, Odile Jacob, 2017, p. 387. Source : Catherine Wihtol de Wenden, « Ouvrons davantage nos frontières », Les collections de l’Histoire, n° 73, 2016, p. 8-16.
[6] Achille Mbembe, Politiques de l’inimitié, La Découverte, 2016.
[7] Lila Ibrahim-Lamrous, « Passer "de Charybde en Lampedusa" », in Réfugier [Carnets d’un campement urbain], La Boîte à Bulles, 2021, p. 66-69.
[8] Cf. Catherine Milkovitch-Rioux, Jean-Yves Potel et Nathalie Vincent-Munnia (dir.), Mémoires de refugiées et refugiés, Numéro spécial Mémoires en jeu, n° 20, printemps 2024.
[9] Clara Lecadet, « Les temps des camps, la guerre, le refuge, la mémoire », in Michel Agier (dir.), Un monde de camps, op. cit., 2014.
[10] Fiona Meadows (dir.), Habiter le campement, Actes Sud, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2016.
[11] Marielle Macé, Sidérer, considérer : migrants en France, 2017, Verdier, coll. « La petite jaune », 2017.
[12] La Découverte, 2020.
[13] Marie Cosnay et Mathieu Potte-Bonneville, Voir venir. Écrire l’hospitalité, Stock, 2019, p. 8.

De Marie Cosnay, voir aussi : Entre chagrin et néant. Audiences d’étrangers (Éditions Laurence Teper, 2009), Comment on expulse. Responsabilités en miettes (Éditions du Croquant, 2011), Jours de répit à Baigorri (Créaphis éditions, 2016), Des îles, I à III (Éditions de l’ogre, 2021-2023), Nos corps pirogues (L’Ire des marges, 2022), ainsi que Stéphane Bikialo, Marie Cosnay, Warren Motte et alii, Marie Cosnay, Traverser les frontières, accueillir les récits, L’Ire des marges, 2022.
[14] Cf. Camille Schmoll, Les damnées de la mer – Femmes et frontières en Méditerranée, La Découverte, 2020.
[15] Cf. Anne Schneider, Magali Jeannin, Yann Calvet, Marie Cléren (dir.), L’écriture de la migration dans la littérature et le cinéma contemporains pour adultes et pour enfants, Peter Lang, 2023.
[16] Delphine Diaz, En exil. Les réfugiés en Europe de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Gallimard, coll. « Folio », 2021, p. 344-345.
[17] Éditions Philippe Rey, 2018 (Ouvrage collectif). De Patrick Chamoiseau, voir aussi Frères migrants, Seuil, 2017.
[18] Cf. María de los Ángeles Hernández Gómez, Catherine Milkovitch-Rioux et Nathalie Vincent-Munnia, « Réfugier en littérature. Histoire(s) et mémoire(s) du temps présent », in Florence Faberon, Corinne Benestroff et Arnaud Paturet (dir.), Mémoire(s), valeurs et transmission, Éditions Recherches sur la cohésion sociale, 2024, p. 147-159. 
[19] María de los Ángeles Hernández Gómez, « Entre attente et isolement : la demande d’asile dans le roman graphique français contemporain », Çédille. Revista de estudios franceses, n° 22, 2022, p. 331-352.
[20] Dominique Viart, « Les Littératures de terrain », Revue critique de fixion française contemporaine, n° 8, 2019, p. 1-13.

http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx18.20.
[21] Laurent Demanze, « Fictions d’enquête et enquêtes dans la fiction », COnTEXTES, nº 22, 2019.
[22] Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Librairie José Corti, 2017, p. 10.
[23] Bruno Blanckeman, « L’écrivain impliqué : écrire (dans) la cité », in Bruno Blanckeman et Barbara Havercroft (dir.), Narrations d’un nouveau siècle. Romans et récits français (2001-2010) [en ligne], Presses Sorbonne Nouvelle, 2013. 

http://books.openedition.org/psn/471.
[24] Cf. Alexis Nouss, « Littérature, exil et migration », Hommes & Migrations, n° 1320, 2018, p. 161‑164.
[25] Cf. Catherine Milkovitch-Rioux et Nathalie Vincent-Munnia, « Habiter dehors : sociopoétique du campement de réfugié.es », Sociopoétiques [En ligne], n° 7 (« L’étape »), 2022, mis en ligne le 7 novembre 2022. 

https://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1656.